Madaniya
Le Yémen entre unité et partition
René Naba
Lundi 10 août 2015
Le Hadramaout, une plate-forme
opérationnelle d’Al Qaida, au Sud Yémen,
avec l’aide des saoudiens et un coup de
pouce français.
Tawakol Karmane, Prix
Nobel de la Paix 2011, une «passerelle
entre la jeunesse saoudienne et le
gouvernement de Ryad».
Paris- En
exil depuis cinq mois à Ryad,
Khaled Bahah, premier
ministre et vice-président du Yémen, a
repris pied samedi 1 er Août 2015, à
Aden sur fond d’un paysage dévasté par
les bombardements inconsidérés de la
coalition pétromonarchique contre leurs
contestataires houthistes et par leurs
liaisons dangereuses avec les
groupements djihadistes, leurs alliés
souterrains quand bien même
inscrits sur la liste noire des
organisations terroristes.
Sans craindre la
contradiction, l’Arabie saoudite s’est
en effet appliquée à la faveur de la
nouvelle guerre du Yémen à aménager une
plate-forme opérationnelle pour Al Qaida,
son ennemi intime, dans la Hadramaout
(Sud-Yémen) afin de disposer d’un
débouché maritime qui lui permettrait de
contourner le détroit d’Ormuz, sous
contrôle de l’Iran.
Cinq mois après
l’offensive des pétromonarchies contre
le plus pauvre pays arabe, menée avec le
silence complice des pays occidentaux,
le Hadramaout est tombée sous la coupe
d’Al Qaida, paradoxalement, à la faveur
d’un coup de pouce de
la France à un mini débarquement des
troupes pro saoudiennes à Aden, depuis
la base militaire française de Djibouti
et l’encadrement français des troupes
saoudiennes assuré par le contingent de
la Légion Etrangère stationné à la base
aéro-terrestre française d’Abou Dhabi.
Le
Hadramaout, la plus importante province
du Sud Yémen, représentant le 1/5 du
territoire sudiste, est ainsi en passe
de devenir un sanctuaire d’Al Qaida, qui
y fait régner sa loi, accaparant ses
recettes, le transit de marchandises via
le port de Moukalla, les royalties
prélevés sur le transit du pétrole. Le
Hadramaout
est à Al Qaida ce que le nord de
la Syrie est à Daech, un levier
terroriste aux mains des Saoudiens quand
Da’ech remplit une fonction identique
pour le compte de la Turquie.
Français
et Saoudiens projetaient d’aménager une
plate-forme territoriale au président
fugitif Abdel Rabo Mansour Hadi afin d’y
asseoir symboliquement son pouvoir sur
le territoire national, mais, en
embuscade, Al Qaida a raflé la mise, en
un mauvais remake d’un mauvais film. Les
belligérants saoudiens et leurs alliés
français paraissent avoir perdu de vue
le fait que le Yémen est la patrie
d’origine du fondateur d’Al Qaida,
Oussama Ben Laden.
Embourbée
depuis cinq mois au Yémen, en dépit de
l’armada qu’elle a mobilisée (1.500
avions, 150.000 combattants et le
soutien discret de la V me flotte
américaine (Golfe arabo-persique/Océan
indien), la dynastie wahhabite baigne
dans la plus grande confusion,
s’appuyant sur le mouvement
Al Qaida, de même que le parti al
Islah, proche des Frères musulmans, deux
formations inscrites sur la liste noire
des pétromonarchies, promues à nouveau
au rang de partenaires de l’ombre.
La
criminalisation de la confrérie et de
son dérivé djihadiste Al Qaida apparaît
rétrospectivement comme un leurre
destiné à blanchir à bon compte l’image
dégradée du Royaume par la
dégénérescence djihadiste et ses
excroissances. Le bourbier Yéménite a eu
raison des velléités wahhabites
relançant de plus belle la coopération
entre les deux anciens partenaires
arabes de l’Amérique dans sa guerre anti
soviétique.
La guerre frontale contre
le Yémen, engagée en mars 2015, deux
mois après l’accession au trône du Roi
Salmane, avec l’aide d’une coalition de
sept pays sunnites, principalement les
pétromonarchies du golfe, visait à
terrasser le petit voisin, afin de
l’arrimer définitivement à la sphère
d’influence saoudienne et à l’aseptiser
de toute velléité contestataire. A
défaut, la dynastie wahhabite
chercherait à provoquer une nouvelle
partition du Yémen, pour réinstaller son
homme de paille, le président Abd Rabbo
Mansour Hadi, qui a déserté le pouvoir
sous les coups de butoir de ses
adversaires houthistes.
Les projets saoudiens se
heurtent toutefois à la vive opposition
des tribus du Sud Yémen qui y voient
d’un très mauvais l’oeil la
ré-intronisation sur le territoire du
sud d’un mouvement qui a toujours été
perçu par les sudistes comme une
excroissance du wahhabisme
obscurantiste, alors que le Sud Yémen
est de nouveau animé d’une tentation
indépendantiste.
La présence d’Al Qaida sur
leur territoire est ainsi perçu, au
mieux comme un cadeau empoisonné, au
pire comme une bombe à retardement, à
l’effet d’aiguiser le sentiment anti
saoudien déjà vivace dans la province en
raison du fait que le Royaume est
considéré comme «l’usurpateur de trois
provinces yéménites (Jizane, Najrane et
Assir), annexées en 1932 et jamais
restituées.
Revers majeur de la
diplomatie wahhabite,
l’accord sur le nucléaire
iranien, signé le 14 juillet
correspondant au calendrier musulman à
la «Nuit du destin» -Leilat Al Qadar, a
suscité la fureur des Saoudiens qui ont
donné libre cours à leur mécontentement
en bombardant la raffinerie d’Aden,
occupant une large fraction de
l’ancienne base navale britannique à
l’EST de Suez. Outre le Hadramaout, via
la France, les Etats Unis ont offert aux
Saoudiens, par un puissant soutien
aéronaval, le contrôle de la majeure
partie de l’ancien capitale du sud Yémen
marxiste et à y faire atterrir un avion
militaire, le 21 juillet dernier. En
guise de cadeau compensatoire à l’Arabie
saoudite de l’accord nucléaire iranien.
Cinq mois après
l’offensive saoudienne, la mise au pas
du Yémen marque le pas. Le président
fantoche Abed Rabbo Hadi a été mis sur
la touche depuis sa désertion de son
poste, désormais encombrant même pour
ses parrains wahhabites.
L’Arabie saoudite vise désormais
la partition Yémen pour constituer un
glacis stratégique sur son flanc sud,
une position identique à celle
constamment défendue par les Frères
Musulmans, longtemps alliés des
Saoudiens, criminalisés l’espace d’un
printemps, à nouveau alliés à leur
ancien parrain, dans un éternel jeu de
dupes, dont ils pourraient être les deux
grands perdants.
3.100 morts, 15.000
blessés, un million de déplacés, 245.000
réfugiés, 21 millions de personnes
privées d’accès aux produits de première
nécessité (nourriture, eau potable,
soins médicaux).
Selon
l’Organisation des Nations Unies,
la guerre pétro-monarchique contre le
Yémen a fait plus de 3 100 morts et 15
000 blessés, 1 million de déplacés et
245 000 réfugiés, et a créé une crise
humanitaire sans précédent pour laquelle
l’ONU a décrété le niveau d’alerte
humanitaire maximal. Des frappes sans
discernement ciblent l’ensemble des
infrastructures civiles, jusqu’aux
quartiers résidentiels, marchés,
greniers, réservoirs d’eau, hôpitaux,
écoles, mosquées, et même les vestiges
archéologiques et tombeaux– ce qui
rappelle que l’idéologie destructrice de
l’État Islamique prend bien ses racines
en Arabie Saoudite –, sans épargner les
convois de civils fuyant les violences,
et un véritable état de siège est imposé
au Yémen.
Plus de
21 millions de personnes (soit 80% de la
population du Yémen) sont privées d’un
accès suffisant aux denrées et services
de première nécessité –nourriture, eau
potable, soins médicaux, électricité et
fuel. D’ores et déjà, il apparaît que
l’Arabie Saoudite a utilisé des armes
non conventionnelles (armes
à sous-munition, voire
armes chimiques)
et s’est rendue coupable de
crimes de guerre voire
de crimes contre l’humanité.
Sans la moindre protestation
occidentale.
La plus
grande confusion règne du côté
occidental dans la guerre du
Yémen en ce que leur alliance avec
l’incubateur du djihadisme planétaire
obère le discours sur une «guerre de
civilisations», dont Manuel Valls,
premier ministre, ne souhaite pas la
perdre. En s’alliant avec ses ennemis?
Effet second de la rationalité
cartésienne? Nouvelle illustration du
fardeau de l’«Homme blanc».?
Tawakol Karmane
La grande surprise est
venue toutefois du retournement
spectaculaire de l’activiste Tawakol
Karmane, Prix Nobel de la Paix, en
faveur de l’Arabie saoudite contre son
propre pays.
Tawakol Karmane s’était
distinguée par ses critiques incisives
contre le royaume saoudien et ses
ingérences permanentes dans la vie
politique du Yémen, ainsi que pour son
rôle dans le soulèvement contre le
précédent régime du Général Ali Abdallah
Saleh, ancien protégé de la dynastie
wahhabite.
Indice d’une grave
confusion mentale, Tawakol Karmane,
première femme arabe à être
distinguée du prestigieux Prix
Nobel de la Paix, s’est ralliée au
régime le plus restrictif
concernant les droits de la
femme. Sans la moindre objection sur le
statut ultra restrictif de la femme en
Arabie saoudite, sans la moindre
préoccupation quant à une possible
réforme future du statut de la femme
saoudienne, ni non plus sur une promesse
d’aide à la libéralisation du statut de
la femme au Yémen où 57 pour cent des
femmes, analphabètes, subissent la loi
patriarcale du «mariage forcé».
Tawakol Karmane a donné
son accord pour «servir de passerelle
entre la jeunesse yéménite et le
gouvernement de Ryad». Sans le moindre
marchandage. Par sectarisme en ce que la
pasionaria yéménite de la liberté est en
fait un membre influent du parti Al
Islah, l’émanation yéménite de la
Confrérie des Frères Musulmans.
Unique femme nobélisée
membre d’une confrérie qui servi de
matrice à Al Qaida. Son organisation,
l’ONG nord yéménite «Womens Withoud
Chains»- comble de paradoxe pour une
alliée effective de la dynastie
wahhabite- a bénéficié des subsides de
la NED (National Endowment for Democray),
durant les deux ans qui procédé le
déclenchement du mal nommé «printemps
arabe», de l’ordre de 150.000 dollars,
sur un total de 4,5 millions aux ONG
yéménites.
Tawakol Karmane a obtenu
le prix Nobel de la Paix, en 2011, du
temps de la lune de miel entre
l’administration américaine et les
néo-islamistes arabes dont plusieurs
dirigeants ont été distingués dans les
cénacles de Washington.
Au terme d’un entretien, à
sa demande, au siège de la mission
saoudienne aux Nations-Unies, Tawakol
Karmane a donné son accord non seulement
pour «servir de passerelle entre la
jeunesse yéménite et le gouvernement de
Ryad»
(avec le gouvernement de Ryad et
non avec la jeunesse saoudienne)
et de «prôner des réformes
politiques du pays dans un sens qui
soient
conformes à la politique
saoudienne».
Tout cela au nom du
«combat contre les Houthistes», précise
un cable wikileaks sur les messages
diplomatiques saoudiens publié par le
quotidien libanais Al Akhbar
Un autre mouvement de
bascule a été opéré par le clan Abdallah
Hussein Al Ahmar, président de la
confédération
Hached, l’une des deux grandes
confédérations tribales yéménites,
ancien pivot de l’influence saoudienne
au Yémen en tandem avec les Frères
Musulmans. Du temps de la rivalité entre
les deux frères ennemis du Wahhabisme
(Arabie saoudite et Qatar), la
confédération tribale s’est ralliée à
son grand mécène, le Qatar, au début du
«printemps arabe» «pour plusieurs
centaines de millions de dollars».
Contre des arguments sonnants et
trébuchants, il a réintégré de nouveau
le giron saoudien depuis que le Royaume
a pris la tête de la coalition
anti-yéménite.
L’ambassadeur saoudien en
poste à Sana’a
avait pourtant
mis en garde Ryad, déconseillant
ses supérieurs de créer les conditions
d’une «guerre confessionnelle».
«La guerre confessionnelle
n’a pas lieu d’être au Yémen. Les
chiites Yéménites relèvent du Zayédisme,
un courant qui incline à la modération.
Les Houthistes, en tant que tels, ne
représentent pas un danger»,a fait
valoir le diplomate consignant ses
observations à la suite de l’adoption
d’un plan saoudien pour le Yémen au
titre évocateur «Projet saoudien au
Yémen pour faire face au projet
iranien».
Le rapport saoudien, révélé par
les Saudi Cables, impute les devoirs
saoudiens au Yémen au fait que les chefs
des tribus yéménites son davantage
intéressés par le trafic des armes et
des stupéfiants et qu’ils tirent
prétexte de la guerre pour exercer un
chantage sur l’Arabie saoudite pour lui
soutirer davantage de fric».
L’intégralité du
câble saoudien sur les raisons de
l’échec saoudien au Yémen sur ce lien:
Sur les autres aspects du
conflit Arabie Saoudite-Yémen, CF:
Retour sur la séquence de
la décennie 1990 avec la réunification
du Yémen et le contre-jeu de la
confrérie des Frères Musulmans
Le Yémen à
l’heure de l’Unification par René Naba,
responsable du Monde arabo-musulman au
service diplomatique de l’AFP (Revue «Machreq-Maghreb»
Documentation française 19 janvier 1990)
L’accord d’Aden et
l’accélération du processus
d’unification.
Sous le regard sourcilleux
des riches monarchies pétrolières
voisines, une expérience originale dans
le Monde arabe se déroule depuis le
début de l’année 1990.
Conséquence indirecte de
la «Glasnot» soviétique, de la réduction
drastique de l’aide soviétique à son
poulain sud yéménite, de la sanglante
lutte à Aden qui l’a considérablement
affaibli, de la faillite économique qui
s’est ensuivi et de la nécessité pour
les deux Yémen de faire contrepoids à
leurs voisins -l’Arabie saoudite et le
Sultanat d’Oman- cette expérience,
toutes proportions gardées, est à
rapprocher de ce qui se passe en
Allemagne consécutive
à l’effondrement du Mur de
Berlin.
L’ouverture politique et
économique s’est, en effet, doublée de
l’achèvement d’un processus
d’unification entre ces deux turbulentes
républiques, aux régimes politiques
diamétralement opposés: la République
démocratique populaire du Yémen (Sud) et
la République Arabe du Yémen (Nord). Les
deux Yémen sont avec le Soudan, la
Somalie et la Mauritanie les pays les
plus démunis du Monde arabe.
Mais ce nouvel ensemble de
10 millions d’habitants pour 700.000 km2
situé à la jonction de la Mer Rouge de
l’Océan Indien, via le Détroit de Bab El
Mandeb, présente un intérêt stratégique
de premier plan malgré sa pauvreté.
Le Nord comptait, selon le
recensement de 1986 7,3 millions
d’habitants sur 200.000 km2; Le Sud 2,5
millions d’habitants sur 450.000 km2.
Pour le Sud Yémen, le PNB par habitant,
s’élevait, en 1987, à 450 dollars contre
527 dollars en 1984; soit une réduction
de 77 dollars en trois ans qui
s’explique par les destructions
provoquées par la guerre intestine en
Janvier 1986. Un rapport officiel publié
après les combats évalue à 120 millions
de dollars (soit 10 pour cent du PNB de
1987) le montant des dégâts.
La guerre intestine a
abouti à l’éviction du président Ali
Nasser Mohamad, à la décapitation de
l’appareil du parti socialiste
sud-yéménite et la mort au combat de
l’idéologue du parti unique, Abdel
Fattah Ismail.
L’encours de la dette
publique extérieure s’élève en 1988 à
1,446 milliards de dollars, soit 134
pour cent du PNB. Facteur aggravant de
la crise économique du sud-Yémen, les
transferts de fonds des travailleurs
immigrés ont chuté de moitié depuis 1984
du fait du marasme économique générale
qui a frappé la région pétrolière du
Golfe depuis le début de la guerre
irako-iranienne (1979-1989) et
l’effondrement des cours du brut.
Enfin la réduction
drastique de l’aide soviétique, passée
de 400 millions de dollars en 1988 à 50
millions de dollars un an après, en
1989, a considérablement réduit la marge
de manœuvre d’Aden, ne lui laissant
pratiquement plus le choix.
En ce qui concerne, le
Nord Yémen, son PNB par habitant
s’élevait en 1988 à 500 dollars, sa
dette extérieure à 1,8 milliards de
dollars, alors que ses ressources, cette
année là, se chiffraient à 665 millions
de dollars. A cela s’ajoutaient 600
millions de dollars provenant des
transferts de fonds des travailleurs
immigrés.
Relativement plus prospère,
l’économie du Nord devrait pouvoir
profiter de l’ouverture du sud à ses
produits. Le Nord, exportateur de fruits
et légumes, envisage dans cette
perspective de développer des projets
industriels et agro alimentaires.
Le pétrole, dont la
découverte récente dans la zone de
Maarib, a constitué une source de
tension entre les deux pays, a
finalement favorisé l’amorce d’un
processus d’unification entre les deux
entités rivales. En 1988, une société
conjointe a été constituée afin de
procéder à l’exploitation pétrolière et
minière dans le périmètre Maarib–Shabwa,
démilitarisé pour la circonstance.
Les répercussions
politiques de l’accord d’Aden: une
course vitesse avec les islamistes.
L’accord portant
réunification des deux Yémen a été signé
à Aiden le 30 novembre 1989. La
proclamation de l’état yéménite unifié
est intervenue le 22 Mai 1990.
Tout
commence le 30 novembre 1989, à
l’occasion du 32 me anniversaire de
l’indépendance de la république
démocratique populaire du Yémen (RDPY)
du sud Yémen. Les dirigeants des deux
Yémen, Ali Abdallah Saleh (Nord) et Ali
Salem Al Baîd (Sud) signent un accord à
Aden prévoyant l’unification de leurs
pays respectifs dans un délai d’un an,
objectif poursuivi depuis de longues
années, mais sans cesse différé. Cette
fois, cependant, l’entente repose sur de
solides fondements: Le pétrole et les
espoirs qu’il ne manque pas de susciter.
La proclamation d’Aden prévoit en outre
la constitution dans un délai de deux
mois d’une commission politique
inter-yéménite chargée de définir les
modalités de participation des «courants
nationalistes et démocratiques» à la vie
politique du pays.
Vers le
multipartisme: l’entrée en jeu de
nouvelles forces politiques, notamment
les fondamentalistes du sud.
«Forces patriotiques» versus
fondamentalistes pro saoudiens
Douze jours plus tard, le
11 décembre 1989,le Comité central du
Parti socialiste sud yéménite (PSY),
parti unique de la seule République
marxiste du Monde arabe, accorde droit
de cité au multipartisme. La «libre
constitution de partis politiques» est
autorisée et le Parti socialiste
sud-yéménite est chargé de «prendre
toutes les mesures nécessaires visant à
promulguer une loi sur les partis
politiques» et de «réhabiliter tous les
éléments nationalistes et
démocratiques».
Discrets jusqu’à présent,
les fondamentalistes du sud, profitant
de la latitude qui leur est offerte,
développent une offensive contre les
«athées» sur lesquels ils ont une
revanche à prendre, et, contre «l’unité»
des deux Yémen, qu’ils combattent
craignant d’être minoritaires face à la
conjonction des «forces patriotiques»
des deux pays.
Objet de sollicitations
aussi pressantes que subites, les
«forces patriotiques» réhabilitées sont
en fait tous les «laissés pour compte et
les déçus du socialisme condamnés à
l’exil au Nord-Yémen, en Égypte, en
Arabie saoudite, en un quart de siècle
de régime mariste… c’est à dire les
Nassériens les baasistes, les
nationalistes arabes qui ont mené le
combat contre la présence britannique à
Aden sous le commandement du FLOSY du
nassérien Abdel Kader Makawi, disciple
de Georges Habbache, chef du mouvement
nationaliste arabe qui mutera par la
suite, à la chute du protectorat
britannique d’Aden, en Front Populaire
pour la Libération de la Palestine
(FPLP). Dans l’esprit des dirigeants
d’Aden et de Sana’a, tous deux inquiets
des poussées islamistes alimentées par
la monarchie wahhabite, ces «forces
patriotiques» devaient constituer le
socle sur lequel ils escomptaient
édifier le nouvel état unitaire.
Quand la confrérie
des Frères Musulmans combattait l’Unité
du Yémen
Le 5 avril 1990, le Comité
central du PSY, dans une démarche
destinée à prouver à la fois et sa
détermination et sa bonne foi, décide
d’élargir la représentativité du
parlement sud-yémenite, augmentant le
nombre des députés qui passe de 111
membres à 133 membres, attribuant un
quota de 20 pour cent des sièges aux
représentants des «forces patriotiques,
des personnalités indépendantes et des
représentants du capitalisme national».
Le conseil présidentiel,
l’organe collégial de l’exécutif dirigé
par Haydar Abou Bakr Al-Attas, est
élargi, passant de 19 à 25 membres.
L’identité des nouveaux membres n’est
pas révélée. Mais le PSY attaquait au
passage, sans les nommer, «les forces
obscurantistes qui entravent la marche
vers l’unité» des deux Yémen. Claire
allusion à l’agitation d’inspiration
intégriste dont le sud-Yémen a été le
théâtre à partir du mois de février,
soit deux mois après la conclusion de
l’accord d’unification.
Si, au Nord-Yémen, le
phénomène fondamentaliste est patent
-les Frères Musulmans ont obtenu 30 pour
cent des sièges, dont 5 sur 7 à Sana’a à
l’occasion des premières élections
législatives qui se sont déroulées dans
ce pays en juillet 1989- il n’en n’était
pas de même au Sud Yémen.
Sous le règne du Parti
unique et du dogme marxiste, rien
n’émergeait au delà des certitudes
officielles. Dans les mosquées, les
vendredis, les sermons étaient assurés
par des religieux respectueux de l’ordre
établi. La dissimulation était de mise.
En Février 1990, pourtant, des cassettes
pré-enregistrées contenant les mots
d’ordre des islamistes ont fait leur
apparition au Sud-Yémen. Celle qui fut
le plus de bruit fut celle d’Abdel Wahid
Al Zindani, un des chefs de file des
fondamentalistes yéménites, dont
l’influence est grande sur les tribus du
Nord. La cassette s’en prenait à «l’état
unitaire yéménite» et lançait un appel
pour que le projet de l’unification soit
combattu.
Prenant le relais, fait
sans précédent, dans les annales de la
presse sud-yéménite, l’officieux
quotidien 14 Octobre met en cause, dans
un éditorial publié le 20 Février 1990,
la «minorité athée» ciblant
implicitement l’équipe marxiste.
L’auteur de cet article,
Mohamad Abdo al-Amari, invitait le parti
au pouvoir à «renoncer aux idées
importées et à amender sa conduite».
Provocation ou ballon d’essai? La
publication de cet article dans un
quotidien pourtant sous contrôle du
gouvernement pose en tout cas la
question de l’étendue des ramifications
et des connexions islamistes dans les
organes du pouvoir à Aden. La sanction
n’a d’ailleurs pas tardé à s’abattre. Le
Rédacteur en chef, Mohamad Hussein
Mohamad, a été démis de ses fonctions.
Selon «Al Hayat»,
quotidien libanais paraissant à Londres,
l’événement n’était pas sans rapport
avec la venue au Sud-Yémen du Colonel
Ali Abdallah Saleh, président du
Nord-Yémen, pour une rencontre au sommet
avec Ali Salem Al Baîd, secrétaire
général du PSY, à Mikras, au nord-est
d’Aden, pour accélérer une unification à
laquelle les islamistes sont hostiles.
Le rapprochement
inter-yéménite au sommet s’est
accompagné, parallèlement, d’une
ouverture politique entre les divers
protagonistes de l’échiquier yéménite.
Des exilés du Nord retrouvaient leur
pays
d’origine, alors que ceux du sud
entreprenaient une démarche identique.
C’est ainsi que Jarallah Amr, secrétaire
général du Parti de l’Unité populaire
yéménite effectuait une visite à Sana’a
après huit ans d’absence. Originaire du
Nord-Yémen qu’il avait quitté en 1982,
Jarallah Amr avait exercé des fonctions
dirigeantes au Sud Yémen en tant que
membre du parti socialiste yéménite.
Pareils chassés-croisés
ont été fréquents: Ainsi Abdel Fattah
Ismail, une des figures historiques de
la guerre d’indépendance du Sud-Yémen et
ancien Secrétaire du Front National de
Libération (FNL) sud-yéménite, était
originaire du Nord. En revanche,
Abdallah al Asnaje, longtemps chef de la
diplomatie nord-yéménite est originaire
du sud, qui plus est, ancien dirigeant
du FLOSY (Front of Liberation Of
Occupied South Yemen).
Initiateur de la guérilla
anti britannique à Aden, le FLOSY avait
été éliminé par le FNL qui l’avait
coiffé au poteau au moment du retrait
britannique de la base d’Aden.
La visite de Jarallah Amr
à Sana’ a été interprétée comme relevant
de la volonté des dirigeants des deux
pays de constituer une sorte d’alliance
entre les forces politiques des deux
Yémen, les fameuses «forces
patriotiques» en vue de faire pièce au
fondamentalisme et favoriser le retour
des hommes d’affaires, représentatif du
«capitalisme national».
Nouveau bond vers
l’assainissement du climat
inter-yéménite:Le 16 mars, alors que
Vladimir Poliakov, directeur du
Département du Moyen-Orient et de
l’Afrique du Nord au ministère
soviétique des Affaires
étrangères venait remettre à Aden
un message du Kremlin soutenant le
processus d’unification, un groupe des
dirigeants de l’opposition sud-yéménite
arrivait à Aden pour des discussions
avec les autorités. Cette visite peut
être considérée comme symétrique de
celle effectuée le 21 février par
Jarallah Amr. Selon l’organe des
syndicats sud-yéménites, Saout Al Amal
(la voix des travailleurs), cité par Al
Hayat, de nombreux opposants
sud-yéménites ont alors regagné Aden:
Abel Rahman Al-Jaafari, président de la
Ligue des Fils du Yémen, Mohsen Mohamad
Ben Majid, secrétaire général
du mouvement.
Dans un communiqué publié
à Sana’a peu avant ce déplacement, le
mouvement, fondé à l’indépendance du
Sud-Yémen en 1967, avait annoncé qu’il
ne se considérerait plus comme un parti
d’opposition. D’autres personnalités ont
emprunté la même démarche, notamment
Hussein Achal, Mohamad Ajrama, Abdallah
Darwiche, Hussein Abdo, Abou Bakr Chafic,
Ali Al Ghafes, Abdel Karim Chahed.
Relance de
l’agitation islamiste…contre la mixité
et pour le renforcement de
l’enseignement religieux.
Presque simultanément, la
police intervenait à Aden, le 23 Mars,
pour disperser un rassemblement de
plusieurs centaines d’étudiants qui
réclamaient la suppression de la mixité
et de l’enseignement du marxisme, de
même que le renforcement de
l’enseignement religieux.
Plus grave encore, deux
jours plus tard, le 25 Mars, des
accrochages éclataient à Moukalla, à 600
km à l’est d’Aden, chef lieu de
l’Hadramaout, où les structures tribales
sont encore vivantes et les liens avec
l’Arabie saoudite et le Sultanat d’Oman
demeurent étroits à travers une
émigration fort ancienne. Ces
accrochages mettent aux prises forces de
l’ordre et un groupe d’étudiants acquis
aux idées fondamentalistes. Selon le
ministère de l’Intérieur, des «éléments
hostiles à la démocratie» se sont
infiltrés parmi les manifestants,
blessant un soldat.
Faisant suite à ces
accrochages, une temporisation est
intervenue. Des hommes de religion et
des Imams des mosquées, réunis à Aden,
le 28 Mars, en présence du Dr. Seif Sael,
membre suppléant du Politburo et Abdel
Rahim Abdel Latif, vice-ministre des
Biens religieux. Un hommage a été rendu,
à cette occasion au rôle des hommes de
religion. Les participants ont souligné
«la nécessité de faire revivre le visage
honorable du patrimoine arabe et
islamique» et de s’opposer avec force à
ceux qui cherchent à le dénaturer; une
attaque à peine voilée contre les
islamistes.
La réunion du clergé
institutionnel s’est doublée sur le
terrain d’une manifestation de
protestation contre l’agitation
fondamentaliste, animée par les
partisans du pouvoir sud-yéménite au
même endroit où s’était déroulée la
manifestation que celle des
fondamentalistes.
Des assurances avaient été
données, par ailleurs, par Sana’a à Aden
quant à la neutralisation de l’ancien
président sud-yéménite Ali Nasser
Mohamad, réfugié au Nord-Yémen depuis
1986, à la suite de l’échec de son coup
de force contre l’aile pro-soviétique du
Sud-Yémen. Dans un geste de bonne
volonté destiné à surmonter les
séquelles du passé, le conseil
présidentiel sud-yéménite a promulgué,
le 13 avril 1990, une amnistie à l’égard
du frère de l’ancien chef de l’état,
Suliman Nasser Mohamad et de trois
anciens membres du politburo: Abou Baker
Bas-Dhib, Anis Yahya Hasssan, et Abdel
Ghani Rada. L’amnistie a englobé tous
les partisans d’Ali Nasser Mohamad.
L’Unité a finalement été
ratifiée par les deux parlements et
proclamée solennellement le 23 mai 1990,
au terme dune course de vitesse engagée
par les dirigeants des deux Yémen contre
les opposants islamistes, dont les
représentants au parlement nord-yéménite
ont boudé le scrutin.
Avec plus de dix millions
d’habitants, le nouvel état yéménite
devient l’un des pays les plus peuplés
de la Péninsule arabique. Une force avec
laquelle les états de la zone devront
compter, alors que les liens se
resserrent entre les états du Conseil de
Coopération du Golfe (CCG) et que les
deux monarchies voisines -Arabie
saoudite et Yémen-, ont signé le 22
mars, deux mois avant l’unification
yéménite, un accord de délimitation de
leurs frontières. Face à un tel
développement, il est vraisemblable que
le nouvel état unifié souhaitera adhérer
au Conseil de Coopération Arabe, la
structure concurrente du syndicat
pétro-monarchique, dont le Nord- Yémen
faisait déjà partie, en même temps que
l’Égypte, l’Irak et la Jordanie.
Reçu de
René Naba pour publication
Le sommaire de René Naba
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Yémen
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