MADANIYA
Arabie saoudite : Un royaume de coupeurs
de têtes 2/2
Jaafar Al Bakli
Mercredi 9 octobre 2019
«J’ai visé son pied. Il trébucha avant
de s’étaler par terre. Je lui ai
aussitôt asséné un 2me coup à la nuque
avant de le décapiter. Puis un 3me coup
sur la poitrine avant qu’elle n’explose
en deux. Je me suis alors réjoui et
adoré mon sabre».
La décapitation collective de 370
membres de la tribu Al Shammar, en 1902,
acte fondateur du royaume wahhabite.
Cent seize ans
avant l’équarrissage de Jamal Kashoggi,
l’opposant saoudien découpé à la scie au
consulat saoudien d’Istanbul, le 2
octobre 2018, la décapitation collective
de 370 membres de la Tribu Al Shammar,
lors de la chute de Riyad aux mains des
Wahhabites a constitué l’acte fondateur
du royaume saoudien, justifiant le
qualificatif de «Royaume de coupeurs de
têtes» qu’il traine depuis plus d’un
siècle.
Retour sur cette
journée d’épouvante. Récit de Jaafar Al
Bakli.
«J’ai visé son
pied. Il trébucha avant de s’étaler par
terre. Je lui ai aussitôt asséné un 2me
coup à la nuque avant de le décapiter.
Puis un 3me coup sur la poitrine avant
qu’elle n’explose en deux. Je me suis
alors réjoui et adoré mon sabre».
Ce passage est
extrait d’un message adressé par le Roi
Abdel Aziz Al Saoud, -père du Roi
Salmane et grand père du prince héritier
Mohamad Ben Salmane-, que le fondateur
du Royaume Wahhabite rédigea, en mars
1904, à l’intention de son allié l’Emir
du Koweït, Cheikh Khalifa Moubarak Al
Sabah.
Ce courrier est
conservé aux archives du «Bureau de
l’Inde» (India Office), ancien
département du gouvernement britannique
chargé de la supervision de l’Inde à
l’époque colonie britannique
(1857-1947).
Son contenu a été
révélé par l’historien britannique
Robert Lacey dans son ouvrage sur
l’Arabie saoudite intitulé «Inside The
Kingdom» paru en 2010.
I – «Nous l‘avons
possédé grâce à notre sabre tranchant»
Abdel Aziz, à
l’époque Gouverneur de Riyad, relate
avec délectation comment il a tué de ses
propres mains, un jeune de la famille Ar
RACHID, OBEID BEN HAMMOUD, qui a eu la
malchance d’être capturé par les
Saoudiens lors d’un raid contre un
campement de son frère MAJED Ar RACHID,
dans le secteur de HAMLANE, dans la
province du Najd.
De l’aveu même
d’Abdel Aziz, les assaillants ont réussi
à décapiter 370 membres de la tribu Al
Shammar, la propre tribu du Roi
Abdallah, le prédécesseur du Roi Salmane
au trône wahhabite. Le comportement du
fondateur du Royaume n’avait rien
d’exceptionnel. Il était plutôt de
pratique courante.
Dès l’instant où il
s’est emparé de Riyad, le 13 janvier
1902, Abdel Aziz avait à son actif un
imposant bilan macabre. Ainsi Abdallah
Ben Jellou, cousin du roi Abdel Aziz et
son délégué pour le secteur oriental du
Royaume, a éventré son prédécesseur à ce
poste pour y extirpé les reins, les
balançant sur les contreforts de la
citadelle d’Al Masmak, dans un geste
annonciateur de sa victoire.
Ce fait a marqué le
début d’une nouvelle ère inaugurée par
la dynastie Al Saoud, s’articulant sur
un triptyque: viol, assassinat,
décapitation. Il n’est donc pas étonnant
que l’expression «je l’ai possédé grâce
à mon merveilleux sabre tranchant» soit
d’usage courant parmi les dignitaires
saoudiens. Personne d’autre que les
Wahhabites ne fait usage d’une telle
expression. Une expression dont ils
usent et abusent avec morgue.
Ci joint pour le
locuteur arabophone, une ode ironique à
la gloire du «merveilleux sabre
tranchant».
https://www.youtube.com/watch?v=iSNSkJoXr1k
A ceux qui plaident
pour une réforme du mode de gouvernance
du royaume, les dignitaires saoudiens
répondent sur un ton au diapason de leur
morgue: « Al Saoud sait mieux que
quiconque ce qui est bon pour le
royaume».
Le sabre brandit
au-dessus des têtes des sujets du
royaume demeure la marque de gouvernance
du pays, la source de sa légitimité, le
symbole de verte bannière.
Le sabre aiguisé
pointé derrière la nuque de tout
récalcitrant relève d’une pratique.
Depuis l’accession d’Abdel Aziz au
pouvoir, le sabre gère la vie politique
du royaume.
II- «Va dire aux
habitants du désert comment les fils
d’Al Saoud administrent la justice ».
C’est par cette
apostrophe annonciatrice d’un grand
malheur que le clan Al Hazzani, en 1910,
a subi un châtiment collectif. La tribu
Al Hazzani gouvernait la ville de Leila,
à 300 kms au sud de Riyad. Elle a voulu
résister à l’assaut d’Abdel Aziz, mais
ont été vaincus et décapités, non sans
une certaine théâtralité en vue de
servir d’exemple et de terroriser le
voisinage.
Abel Aziz avait
pris d’assaut les possessions du clan
Ajmane relevant de la tribu Al Hazzani
(zone de pâturage, cheptel). Il envahit
les maisons et donna l‘ordre à deux
compagnies de détruire deux localités:
Al Qatif et Al Houla. Ibn Saoud avait
décidé d‘éliminer toute trace de
présence humaine dans ce secteur et,
dans la foulée, condamna à mort 19
membres de la tribu vaincue.
Puis se ravisant,
il ordonna la suspension de l’exécution
des condamnés de 24 heures afin de
donner la possibilité aux habitants de
la province de venir assister à ce
spectacle macabre, dans un but
dissuasif. Il fit dresser une grande
tribune sur la place centrale de la
localité pour qu’elle soit visible de
tous et de partout.
A l’aube, Abdel
Aziz traversa la place dans un silence
imposant, gravit les marches vers la
tribune et ordonna la présentation des
condamnés au public. Il fit signe au
bourreau d’avancer. Ce géant au torse nu
se présenta le sabre à la main
accompagné de ses deux collaborateurs et
s’immobilisa devant les condamnés.
Un juge lut la
sentence, relatant les circonstances de
leur capture et les raisons qui ont
conduit à ce que ce verdict de mort soit
rendu.
Le bourreau
entreprit alors de décapiter
méthodiquement les condamnés, l’un après
l‘autre, d’un coup sur la nuque. 18
têtes roulèrent sur le sol.
Au 19eme condamné,
le Roi fit signe au bourreau de
s’écarter et s’approcha du futur
supplicié et lui annonce qu’il est
gracié: «Je te gracie. Tu es libre.
Raconte partout ce que tu viens de voir.
Va raconter aux gens du désert comment
Al Saoud administre la justice».
Puis s’adressant à
la foule, Abdel Aziz, Roi du Najd, a
expliqué les raisons qui ont conduit les
suppliciés à être condamné et les
sanctions terribles auxquels s’exposera
quiconque franchira les limites qui lui
sont assignées.
La tribu Al Hazzani
a été la première famille politique du
Najd à subir la loi du sabre wahhabite
en raison de son opposition à la
conquête de la famille Al Saoud.
Après la tribu Al
Hazzani, le sabre wahhabite n’a pas
cessé de s’abattre sur la nuque des
Saoudiens: la nuque de la tribu Ar
Rachid, gouverneur de Haël; de la tribu
Al A‘ess, gouverneur d’Al Assir; la
nuque de la tribu Ad Darssa, gouverneur
de Jizane; Puis sur les Hachémites,
gouverneur du Hedjaz; sur la tribu Ad
Douway, gouverneur de Matir; sur la
nuque de la tribu Bou Bijjad, province
d’Al Outeiba; sur la nuque de la tribu
Hathline, gouverneur d’Al Ajmane;
Le sabre wahhabite
n‘a jamais cessé de fonctionner à grande
échelle. Sans répit. Depuis que la
famille Al Saoud s’est emparée de la
nuque des Saoudiens…. Ce fut tour
à tour les nuques de la population de
Taêf, de Haêl, d’Ouneiza, d’Al Ahsi, de
Matir, d’Al Hajarat, du Hedjaz, puis ce
fut le tour aux nuques du Koweït, du
Yémen, du Levant (Syrie et Irak), pour
se poursuivre avec les nuques des
Chiites et les nuques des Sunnites, les
nuques des Arabes d’une manière
générale, enfin les nuques des Iraniens.
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