MADANIYA
Le Pakistan ou l’instrumentalisation de
l’Islam
à des fins politiques
René Naba
Mardi 3 décembre 2019 Interview de
René Naba par Golias Hebdo N° 562
semaine du 26 septembre au 2 octobre
2019,
Propos recueillis par Christian
Terras pour
Golias Editions
Interview co-publiée
par la revue trimestrielle
Les Zindigné(e)s
N°53/6ème année Juillet-Septembre
2019.
«Le Pakistan ou
l’instrumentalisation de l’Islam à des
fins politiques».
Le premier ministre
du Pakistan Imrane Khan Niazi entreprend
depuis octobre 2019 une médiation entre
l’Arabie saoudite et l’Iran les chefs de
file des deux principaux courants
spirituels de l’Islam…avec les
encouragements discrets des Etats Unis;
une démarche qui témoigne du
repositionnement diplomatique du
Pakistan jadis «body guard» de la
dynastie wahhabite. Retour sur la
nouvelle diplomatie pakistanaise initiée
par l’ancien play boy des soirées
londoniennes.
La fable selon
laquelle l’islamisme est la version
musulmane de la théologie de libération
du Monde occidentale est une imposture.
Golias Hebdo:
Vous êtes spécialiste du Monde arabe,
pourquoi ce livre ?
RN : Quatre
facteurs m’ont décidé à me pencher sur
le cas du Pakistan dans ce premier
ouvrage en langue française sur la
nouvelle stratégie pakistanaise:
- Primo: Le
Pakistan est, avec Israël, le
premier cas de l’histoire
contemporaine de
l’instrumentalisation de la religion
à des fins politiques.
- Deuxio: Le
Pakistan, à tout le moins des
penseurs pakistanais, a joué un rôle
majeur dans l’infléchissement de
l’islam Politique vers un
totalitarisme dogmatique.
- Tertio: Le
Pakistan, comme base arrière du
djihadisme, a joué un rôle majeur
dans l’implosion de l’Union
soviétique, et partant, dans la
propulsion du terrorisme islamique à
l‘échelle planétaire en tandem avec
l’Arabie saoudite.
- Quatro:
L’accession d‘Imrane Khan Niazi au
pouvoir Islamabad et le millésime
2019.
Golias Hebdo: En
quoi le Pakistan est avec Israël, le
premier cas de l’histoire contemporaine
de l’instrumentalisation de la religion
à des fins politiques ?
Pour surprenant que
cela puisse paraître, l’Occident est
l’artisan de l’instrumentalisation de la
religion comme arme politique à l’époque
contemporaine.
1948 constitue à
cet égard une date charnière avec le
démembrement de l’Inde et la création du
Pakistan, selon un critère religieux,
corrélativement à la création d’Israël,
selon le même critère religieux.
Israël: En guise de solde de tout compte
de l’Occident du génocide hitlérien, par
la sous-traitance aux pays arabes de
l’antisémitisme récurrent de la société
occidentale. Une compensation sur bien
d’autrui, génératrice d’une perversion
triangulaire dont les effets se font
sentir encore de nous jours.
Pour le sionisme la colonisation de la
Palestine a théorisé, par ricochet, une
idéologie de la discrimination,
justifiant a posteriori l’antisémitisme
en ce qu’elle établit dans les faits une
ségrégation entre Juifs et non Juifs.
Le Pakistan: dividende des États Unis à
l’Arabie saoudite pour sa conclusion du
Pacte de Quincy (1945) fondant le
partenariat stratégique entre la grande
démocratie américaine et le régime le
plus obscurantisme de la planète.
Golias Hebdo :
En quoi le Pakistan, à tout le moins des
penseurs pakistanais, a joué un rôle
majeur dans l’infléchissement de l’islam
Politique vers un totalitarisme
dogmatique ?
L’inclination au
totalitarisme au sein des mouvements
relevant de l’Islam politique revient,
en premier lieu à un pakistanais, Abu Al
Ala’ Al Maududi, premier islamiste du XX
me siècle à prôner le retour au Jihad.
Fondateur du parti
pakistanais Jamaat-e-islami, ce
théoricien fondamentaliste a envisagé la
création d’un État Islamique Uni, fondé
sur l’application rigoureuse de la loi
religieuse (Charia). Dans sa conception,
un tel état devait être hégémonique,
totalitaire sur les divers aspects de la
vie. La Gouvernance d’Allah (Al Hakimiya)
au Pakistan relevait de Dieu, le
gouvernement se devant d’être fidèle à
la Charia.
S’inspirant du modèle stalinien en
vigueur en Union Soviétique, Maududi a
substitué l’idéologie islamique à
l’idéologie marxiste, érigeant, le
premier, un «parti de Dieu» (Hezbollah)
équivalent au parti communiste, de même
que le Califat en guise de substitut au
Secrétaire général du PC.
Les Frères Musulmans lui emboiteront le
pas, adoptant la conception totalitaire
du stalinisme pour l’appliquer à la
religion musulmane. Hassan Al Banna,
fondateur de la confrérie, répétait, tel
un perroquet, les prescriptions de
Maududi, affirmant que l’Islam est une
soumission à Dieu, une obéissance au
gouverneur, un livre saint, une épée.
(CF. Hassan al Banna, «Mémoires de la
prédication et du prédicateur», page
173.
Première République islamique au Monde,
l’accession du Pakistan à l’indépendance
a été vécue par les Pakistanais et de
nombreux musulmans de par le Monde comme
la fin d’une longue période de sujétion
tant vis à vis du Royaume Uni que de
l’Inde.
Une victoire sur le colonialisme
britannique, leur bourreau
pluriséculaire, l’artisan de la promesse
Balfour, portant démembrement de la
Palestine. Une victoire sur l’Inde et la
fin du joug indien et de l’hindouisme
sur la minorité musulmane de l’Union
Indienne.
Golias Hebdo :
Quelle est la signification de la
propulsion au pouvoir d’Imrane Khan
Niazi
La propulsion d’Imrane
Khan Niazi aux commandes du Pakistan
n’est pas le fruit du hasard.
L’homme est
missionné par la nomenklatura militaire
pour être le maître d’œuvre de la
révision déchirante du partenariat du
Pakistan avec ses alliés de la guerre
anti soviétique d’Afghanistan, alors que
le «pays des purs» se hisse au rang de
partenaire privilégié de la Chine, la
puissance planétaire en devenir, dans le
projet OBOR.
Le Pakistan, le pompier pyromane du
djihadisme planétaire pendant des
décennies, est en passe de renoncer à
son ancien rôle de body guard de la
dynastie wahhabite comme en témoigne
l’incarcération de l’ancien protégé des
Saoudiens, l’ancien premier ministre
Nawaz Sharif, le rival de la chiite
Benazir Bhutto, ainsi que son refus de
participer à la coalition
pétro-monarchique contre le Yémen et la
fin de non-recevoir qu’il a opposée au
tandem saoudo américain de rééditer le
schéma afghan depuis le Pakistan contre
l’Iran.
Le Pakistan n’est d’ailleurs pas le seul
dans ce cas. Deux autres pays musulmans,
jadis alliés de l’Occident, lui ont
emboité le pas: la Malaisie, et sans
doute la Turquie, à moyen terme, engagée
dans une concertation poussée sur la
Syrie avec la Russie et l’Iran, via le
groupe d’Astana, le groupe contestataire
à la stratégie atlantiste dans la zone
et qui vient de surcroît de conclure une
transaction militaire avec la Russie
pour la fourniture d’un système
balistique russe (S.400) à la défense
anti aérienne turque.
Le ravalement cosmétique du Pakistan, un
pays à la réputation sulfureuse, semble
avoir été confié à cet être paré des
vertus du modernisme, séducteur et grand
sportif, parfaitement à l’aise dans les
cénacles internationaux.
En somme un personnage à l’opposé des
Barbus, imprécateurs: Imrane Khan Niazi,
est en effet un ancien champion du Monde
de Cricket, par ailleurs ancienne
coqueluche des nuits londoniennes,
diplômés d’Oxford, issue d’une grande
lignée pakistanaise et philanthrope.
Golias Hebdo:
Que représente 2019 pour le Pakistan ?
2019 marque le 40
me anniversaire de la guerre anti
soviétique d’Afghanistan à laquelle le
Pakistan a grandement contribué ne
serait-ce que par sa fonction de base
arrière des djihadistes.
Quarante ans après,
l’islamisme politique, c’est-à-dire
l’instrumentalisation de l’Islam à des
fins politiques, apparait comme une
vaste fumisterie et ceux qui tentent de
légitimer ou de réhabiliter ce courant
de pensée se livrent à une vaste
supercherie.
1979 est en effet une date charnière de
l’histoire contemporaine en ce qu’elle
marque le traité de paix entre Israël et
l’Egypte.
Si le traité de Washington, en Mars
1979, a restitué la Péninsule du Sinaï à
l’Egypte, il a soustrait du même coup le
plus grand état arabe du champ de
bataille, privant ainsi le Monde arabe
de toute possibilité de déclencher une
guerre contre Israël tant pour récupérer
leurs droits (le plateau syrien du
Golan, les fermes de Cheba’a du Liban),
que les Droits Nationaux Palestiniens et
les territoires y afférents (Jérusalem
Est, Cisjordanie, Gaza).
Depuis cette date, plus aucune guerre
conventionnelle n’a opposé les états
arabes et Israël. La guerre d’octobre
1973 aura été la dernière guerre livrée
par les Etats arabes avec leurs armées
régulières contre l’état Hébreu.
Sauf que la défection de l’Egypte du
champ de bataille a été compensée par la
chute de la dynastie Pahlévi en Iran,
-le gendarme du Golfe et le ravitailleur
énergétique d’Israël- et son
remplacement par la République Islamique
Iranienne.
Cela a induit un nouveau rapport de
force au niveau régional en conférant
une profondeur stratégique aux
contestataires à l‘ordre hégémonique
américano israélien dans la zone.
Depuis lors toutes les confrontations
ultérieures au Moyen orient ont pris la
forme de guerres asymétriques, marquées
par la mise en échec de l’unique
puissance atomique du Moyen Orient face
à ces contestataires furtifs pratiquant
une guerre hybride, combinant guerre
conventionnelle et guerre asymétrique.
Ainsi au fur et à mesure que les
contestataires de l’ordre hégémonique
israélo-américain gagnaient en
efficacité, la Palestine, jadis la cause
principale des Arabes, était
progressivement bradée par ceux-là même
qui étaient supposés en avoir la charge,
notamment l’Arabie saoudite, en sa
qualité de gardien des lieux saints de
l’Islam.
Golias Hebdo:
Pourquoi estimez-vous que «l’Islamisme
politique, en guise de théologie de
Libération, une vaste supercherie» ?
La fable selon
laquelle l’islamisme est la version
musulmane de la théologie de libération
du Monde occidentale est une imposture.
La théologie de la
Libération en Occident, notamment en
Amérique latine, a été une «alliance de
classe». Une «alliance horizontale»,
c’est à dire une alliance des paysans,
ouvriers, croyants ou non croyants,
chrétiens ou non chrétiens, des femmes
et des hommes, des civils et des prêtres
contre la hiérarchie religieuse, la
hiérarchie militaire, la junte au
pouvoir en Amérique Latine, de même que
les capitalistes.
Quiconque ne participait pas au combat
de libération était contourné, mis de
côté. Pas de viols, ni de profanation
encore moins la destruction des symboles
religieux à l’instar des Bouddhas de
Bamyan ou des stèles de Tombouctou de
l’Islam noir. L’objectif était la
Libération du peuple de toute forme
d’oppression.
L’Islamisme, présentée comme étant la
théologie de libération dans l’Islam,
est une «alliance sectaire». Une «
alliance verticale» regroupant
EXCLUSIVEMENT BIEN EXCLUSIVEMENT des
musulmans sunnites de la mouvance
salafistes takfiristes.
L’objectif est le primat sunnite de rite
wahhabite et sa soumission à l’imperium
américain, le principal protecteur
d’Israël, et non le renversement de
l’ordre social. Quiconque ne relevait de
l’Islam sunnite wahhabite subissait le
contrecoup, décapitation ou conversion
forcée au wahhabisme
La théologie de Libération en Amérique
s’est appuyée sur le peuple pour lutter
à la libération du peuple.
L’Islamisme s’est appuyé sur les ennemis
du peuple arabe et musulman pour faire
triompher leurs anciens colonisateurs.
Youssef Al Qaradawi, le mufti du Qatar,
qui supplie l’Otan de bombarder la
Syrie, -un pays qui a mené 4 guerres
contre Israël- demeurera une souillure
morale indélébile. Ce milliardaire
polygame avait lancé son appel depuis
Doha où il était à l’abri d’une attaque
israélienne, protégé par l’importante
base du CentCom située à 30 km de Doha,
dont la zone de compétence s’étend
d’Afghanistan au Maroc.
Pour aller plus
loin sur ce thème
-
https://prochetmoyen-orient.ch/un-ete-avec-pierre-pean-rene-naba-et-tigrane-yegavian/
-
https://www.monde-diplomatique.fr/2019/10/YEGAVIAN/60480
Le sommaire de René Naba
Le
dossier Pakistan
Les dernières mises à jour
|