MADANIYA
Jérusalem : La position de
l’Eglise d’Orient
René Naba
Jeudi 3 janvier 2018
«Israël ne peut pas s’appuyer sur le
terme de «Terre promise» figurant dans
la Bible pour «justifier le retour des
juifs en Israël et l’expatriation des
Palestiniens».
La décision de
Donald Trump de reconnaître
unilatéralement, au mépris des
résolutions internationales, Jérusalem
comme capitale d’Israël, remet en
mémoire la position de l’Eglise d’Orient
face à cet épineux problème, exprimé par
un synode des Eglises d’orient en
octobre 2010.
Du bon usage de la
Bible : La terre promise, le peuple élu
et la controverse théologique avec
l’Eglise d’Orient
Le génocide juif
n’est pas l’unique génocide du XX me
siècle, ni le premier, redoutable
honneur tristement revendiqué par les
Arméniens de Turquie, ni le dernier
(Cambodge et Rwanda 1995), ni l’unique
génocide de l’histoire de l‘humanité, ni
le plus important, un titre qui peut
être légitimement revendiqué, de par sa
durée, par les Amérindiens d’Amérique et
par l’Afrique, au point de constituer,
par leur ampleur, non un génocide, mais
un véritable sociocide, un
anéantissement de la société indigène.
Unique pays au
monde, avec le Kosovo, à avoir été crée
par une décision de l’ONU, Israël est
aussi l’unique pays au monde à refuser
de se soumettre au contrôle de la
légalité internationale, un des trois
pays au monde à avoir assassiné un
dirigeant de premier plan de l’ONU, en
mission de paix en Palestine, le comte
Folk Bernadotte, un acte qui vaut à
Israël d’être qualifié par le
politologue américain Jeremy R. Hammond
d’«Etat voyou» et les assassins de
l’émissaire de l’ONU, de «terroristes
sionistes» (1).
Un pays spécialiste
du jeu de billards à trois bandes, qui
compte à son passif un lourd bilan, en
termes de déstabilisation régionale,
comme en témoignent les attentats
antioccidentaux et antijuifs contre
l’Egypte nassérienne dans la décennie
1950 (Affaire Lavon), les attentats
antisémites en Irak commis par le Mossad
pour forcer au départ les juifs irakiens
(affaire Shulamit Cohen), dans la
décennie 1960, ou encore les raids
répétitifs et les assassinats
extrajudiciaires tant en Palestine,
qu’au Liban, dans la période 1970-2000,
ou enfin, le déploiement d’un important
réseau d’agents, y compris au sein du
commandement de l’armée, doublé du
noyautage du réseau des
télécommunications libanais.
Si la question
juive revêt, toutefois, une importance
particulière dans la sphère occidentale,
particulièrement en Europe, c’est
principalement en raison du fait que les
deux pays qui passaient pour les plus
civilisés de l’époque -l’Allemagne et la
France- ont massacré leurs propres
concitoyens du fait de leur origine
ethnico religieuse. Mais, osons
l’affirmation, si les Juifs avaient été
des Iroquois d’Amérique du Nord, des
Guaranis d’Amérique latine, des Bassas
Bamilékés, des Songhaïs ou des Soninkés
d’Afrique, voire même des Arabes,
particulièrement des Palestiniens,
gageons que l’Occident n’aurait jamais
sanctuarisé ce problème.
L’orchestration
d’une concurrence mémorielle sur des
sujets de grandes souffrances ne relève
pas de la victimologie. Elle révèle la
pathologie de leur auteur. Osons
l’affirmation, -n’en déplaise aux
nombreux intellectuels de cour qui
gravitent dans l’orbite du pouvoir-, les
trois grandes figures tutélaires du XX
me siècle pour leur contribution à la
morale universelle auront été, faut-il
le rappeler, trois personnalités du
tiers monde colonisé, le Mahatma Gandhi
(Inde), Nelson Mandela (Afrique du Sud),
et, pour l’espace francophone, le
Martiniquais Aimé Césaire, trois apôtres
de la non-violence, une consécration qui
retentit comme un camouflet pour les
pays occidentaux avec leur cortège de
nazisme, de fascisme, de totalitarisme
et d’esclavagisme.
Mais le fait est que le primat d’Israël
conditionne le discours politique
occidentale, tant en en raison de la
responsabilité des grands pays européens
dans le massacre de leurs compatriotes
de confession juive, dans une sorte de
solidarité expiatoire, que de
l’activisme d’un important groupe de
pression pro israélien dans un pays, les
Etats-Unis, qui se trouve être la
puissance majeure de l’époque
contemporaine et chef de file du camp
occidental.
Sauf à considérer
l’intégrisme juif plus soluble dans la
démocratie que l’intégrisme musulman,
comment expliquer, sinon, cette dualité
de comportement à l’égard des principaux
protagonistes du conflit israélo-arabe.
Se féliciter de la propulsion au pouvoir
de la frange la plus radicale de
l’extrême droite israélienne et
ostraciser les formations paramilitaires
arabes ou islamistes, alors que tant le
Likoud que le Hamas ne prévoient pas
dans leur charte, le premier, la
reconnaissance de la Palestine, et le
second, Israël, et que les «Fous de
Yahvé» auront épinglé sur leur tableau
de chasse l’ancien premier ministre,
Itzhak Rabin, le négociateur des accords
israélo-palestiniens d’Oslo, signe
patent d’une volonté de paix. Une cible
qu’aucun intégriste palestinien, arabe
ou musulman, n’aurait jamais rêvé
d’atteindre
Israël représente,
en effet, le 3me pays par ordre
d’importance en terme de couverture
médiatique, derrière les Etats-Unis (300
millions d’habitants) et la Chine (1,5
milliards d’habitants).
Malgré les
conditions de sa naissance controversée,
Israël a réussi à occuper le devant de
la scène médiatique, captant constamment
l’attention de l’opinion occidentale,
réussissant le tour de force de placer
sur la défensive tous ses
contradicteurs:
-
les Européens, naturellement,
assignés à un complexe de
culpabilité éternel du fait du
génocide hitlérien,
-
les Américains, par
instrumentalisation d’un important
groupe de pression pro israélien
animé d’une volonté de domination
hégémonique sur la zone pétrolifère
du Moyen orient;
-
le Monde arabe, enfin, par son
indigence à maîtriser les techniques
de communication de la guerre
psychologique moderne, doublée d’un
défaut d’un argumentaire accessible
à l‘opinion occidentale, principal
champ de bataille de l’opinion
internationale, quand bien même il
dispose de considérables atouts, les
conditions historiques de la
naissance de l’Etat juif, ainsi que
le palmarès du tiers monde au titre
de la morale universelle.
Au-delà de la
présence d’un fort lobby pro israélien
au sein du Monde occidental, la synergie
entre Israël et les Etats-Unis repose
sur de fortes similitudes présidant aux
conditions historiques de la formation
de leur Etat. Une démarche identique, un
processus similaire, un langage
synchrone, un messianisme idéologique
commun, un partenariat stratégique hors
du commun, la spoliation, enfin, comme
ciment fondateur de leur état respectif,
un fait attesté tant par des acteurs
majeurs du projet sioniste que par des
sommités intellectuelles incontestables.
Pour la première
fois dans l’histoire, «une nation promet
solennellement à une autre (nation en
gestation) le territoire d’une troisième
nation», renchérira, comme en écho,
Arthur Koestler, auteur hongrois
anticommuniste philo sioniste (2).
Autrement dit, une fraction de la
Palestine a été promise aux Juifs non
pour les dédommager des atrocités
commises à leur égard par les
Palestiniens ou les Arabes, mais en
compensation des persécutions qu’ils ont
eu à subir en Europe. En somme, comme
cela se dit vulgairement, c’est à dire
dans le langage populaire, «on les
dédommage sur le dos de la bête».
«Ma perception de
la conjoncture israélienne reste
subordonnée à une autre à laquelle je
suis encore plus sensibilisée; celle qui
se produisit il y a quelques siècles, de
l’autre côté du monde, quand d’autres
persécutés et opprimés vinrent s’établir
sur des terres occupées depuis des
millénaires par des peuples plus faibles
encore et qu’ils s’empresseront
d’évincer. Je ne puis évidemment pas
ressentir comme une blessure fraîche à
mon flanc la destruction des Peaux
Rouges et réagir à l’inverse quand les
Arabes Palestiniens sont en cause»,
déclarera dans un mémorable rappel à
l’ordre à tous les activistes sionistes,
l’anthropologue Claude Lévi-Strauss,
dans son ouvrage «Tristes tropiques».
Accablant constant qui se passe de
commentaires.
La position de
l’Eglise d’Orient
Le retour à Sion,
la terre promise au peuple élu: Pour la
première fois dans le débat public
international, l’Eglise d’Orient a mis
en question le bien fondé théologique de
la mise en œuvre de la notion de «terre
promise» pour «justifier le retour des
juifs en Israël et l’expatriation des
Palestiniens» (3). Sujet tabou s’il en
est, cette position a été affirmée par
Mgr Cyrille Salim Bustros, à l’époque
Archevêque de Newton (Etats-Unis) à
l’occasion du synode des Eglises
d’Orient, qui s’est tenu du 14 au 24
octobre 2010, au Vatican. Les évêques et
patriarches orientaux y affirmaient
qu’il «n’est pas permis de recourir à
des positions bibliques et théologiques
pour en faire un instrument pour
justifier les injustices».
«Pour nous,
chrétiens, on ne peut plus parler de
Terre promise au peuple juif», terme qui
figure dans l’Ancien testament, car
cette «promesse» a été «abolie par la
présence du Christ». Après la venue du
Jésus, «nous parlons de Terre promise
comme étant le royaume de Dieu», qui
couvre la Terre entière, et est un
« royaume de paix, d’amour, d’égalité
(et) de justice», a ajouté le prélat,
s’exprimant en sa qualité de président
grec melkite catholique de la commission
pour le message du synode pour le
Moyen-Orient.
Ce synode est le premier synode de
l’histoire de la chrétienté qui se tient
au Vatican, en présence des
représentants de l’Islam et du Judaïsme.
Les Chrétiens
d’Orient sont les Chrétiens originels,
les Chrétiens des origines de la
chrétienté. Leur nombre serait de
l’ordre de 13 millions de personnes,
soit la population du Benelux, vivant
aujourd’hui au Proche-Orient, en Turquie
et en Iran et autant dans les pays de la
diaspora en Amérique du nord, en
Amérique latine, en Australie et en
Europe occidentale, soit un total de 26
millions de personnes. Selon les
estimations les plus généralement
admises, le Liban compterait environ 30%
de chrétiens, la Syrie 10%, la Jordanie
2%, l’Irak 3%, la Palestine 2%, l’Egypte
8%, Israël enfin 10% essentiellement des
Arabes israéliens, un borborygme qui
désigne les Palestiniens porteurs de la
nationalité israélienne.
Véritable
électrochoc, cette déclaration
inhabituelle tant sur le fond que sur la
forme, en tout cas dans les sphères
occidentales a été accueillie par un
silence glacial par les élites
politiques et intellectuelles
occidentales, tétanisées par le fait
juif, entraînant une réplique du Centre
Simon Wiesentahl accusant son auteur d’
«antisémitisme». La controverse suscitée
à propos de cette déclaration épiscopale
témoigne de la sensibilité du sujet.
Mais, au-delà des
considérations bibliques et des
justifications morales, l’impératif
stratégique a prévalu dans la création
d’Israël au Moyen orient. Une entité
occidentale au coeur du Monde arabe à
l’intersection de sa rive asiatique et
de sa rive africaine, scellait la
rupture définitive de la continuité
territoriale de l’espace national arabe,
la rupture du point d’articulation entre
la voie continentale et la voie maritime
de la «Route des Indes», la voie
marchande des caravanes reliant le
couloir syro-palestinien à son
prolongement égyptien, une rupture
stratégique du continuum au point de
confluence des voies d’eau arabes (le
Jourdain, le Yarmouk, le Hasbani et le
Zahrani) et de ses gisements pétroliers,
source de sa richesse, de son décollage
économique et de sa puissance future
Autrement dit, le
«Foyer National Juif» s’est déployé en
Palestine, précisément, et non à
Madagascar ou en Argentine comme cela
était prévu dans le projet originel pour
l’évidente raison que la mise en place
de cette entité occidentale au cœur du
Monde arabe répondait avant tout à un
géotropisme permanent des puissances
coloniales: le verrouillage de l’espace
arabe au prétexte de la liberté de
navigation et de la sécurité de la route
des Indes: Gibraltar, le Canal de Suez,
l’Ile de Massirah, la côte des pirates
auront ainsi tout au long de l’histoire
moderne constitué autant de jalons de
l’expansion européenne, autant de places
fortes de garnison et de vigiles de
l’Empire britannique.
Le choix de la
Palestine s’est fait en vertu du
principe de la vacuité géographique.
L’habillage idéologique à cette
entreprise de prédation se résumait par
ce slogan «Un peuple sans terre pour une
terre sans peuple». Un slogan
mystificateur car il revenait à nier
l’existence d’une population dont les
ancêtres s’étaient frotté
victorieusement aux Croisés, en
Palestine. Nier l’existence d’une
civilisation, marquée par une économie
agricole réputée pour son huile, ses
vins, le vin de Latroun, ses agrumes,
les oranges de Jaffa célèbre dans
l’ensemble de la Méditerranée, bien
avant la fertilisation du désert par les
vaillants Kibboutzim, autre
mystification de la légende sioniste.
La notion de
vacuité s’est depuis lors déclinée dans
toutes ses variantes. De la vacuité
géographique nous sommes ainsi passés à
la vacuité culturelle puis à la vacuité
politique, enfin à la vacuité
stratégique du monde.
Références
1 – Affaire
Bernadotte: L’un des actes les plus
notoires du terrorisme israélien a eu
lieu en 1948 quand des forces juives,
membres de la faction LEHI (aussi connue
comme le groupe Stern) ont assassiné le
comte Suédois Folk Bernadotte, médiateur
appointé par l’ONU. Bernadotte a été tué
le 17 septembre 1948, au lendemain de sa
présentation de son second plan de
médiation qui réclamait notamment le
rapatriement et des dédommagements pour
les réfugiés palestiniens, dont le sort
constituait un des points de discorde
entre Israël et les Etats-Unis. A la
présentation de son rapport, les
Israéliens avaient déjà expulsé plus
d’un demi million de Palestiniens hors
de chez eux. Les deux autres attentats
contre des émissaires de l’ONU ont eu
Lieu, le premier, au Congo contre Dag
Hammarskjöld, Secrétaire Général en
fonction à l’époque, (1953-1961), le 18
septembre 1961, et, en Irak, contre le
siège de l’ONU, le 19 Août 2003,
provoquant la mort d’une vingtaine de
personnes, dont le chef de la mission,
le brésilien Sergio Vieira de Mello.
Jeremy Hammond énumère soixante dix neuf
(79) résolutions internationales
qu’Israël viole ou se refuse à
appliquer, au terme d’une étude, publiée
dans «Foreign Policy», couvrant 61 ans
de vie diplomatique, la période allant
de 1948, -(résolution 57 du 18 septembre
1948 adoptée par le Conseil de sécurité
de l’ONU dans la foulée de l’assassinat
par les Israéliens du Comte Bernadotte,
médiateur du conflit entre juifs et
arabes), à 2009 avec la résolution 1860
du 8 janvier 2009 concernant la
destruction de Gaza.
2-Cf. «Israël et
ses tribus: l’Etat Hébreu fête ses 60
ans»-Courrier international N° 913 du 30
Avril au 6 Mai 20083 «Les cent clés du
Moyen-orient» Alain Gresh et Dominique
Vidal -Edition de l’Atelier
A propos
chrétiens d’Orient:
Déclaration du
Synode/Moyen-Orient:
Israël ne peut
s’appuyer sur la Bible pour justifier
l’occupation (AFP- 23 octobre 2010).
Déclaration de l’Archevêque de Newton
(Etats-Unis) Mgr Cyrille Salim Bustros,
président Grec Melkite Catholique de la
commission pour le message du synode
pour le Moyen-Orient
CITE DU VATICAN-
Israël ne peut pas s’appuyer sur le
terme de «Terre promise» figurant dans
la Bible pour «justifier le retour des
juifs en Israël et l’expatriation des
Palestiniens». «On ne peut pas se baser
sur le thème de la Terre promise pour
justifier le retour des juifs en Israël
et l’expatriation des Palestiniens». Les
évêques et patriarches orientaux
affirment qu’il «n’est pas permis de
recourir à des positions bibliques et
théologiques pour en faire un instrument
pour justifier les injustices». «Pour
nous, chrétiens, on ne peut plus parler
de Terre promise au peuple juif», terme
qui figure dans l’Ancien testament, car
cette «promesse» a été «abolie par la
présence du Christ». Après la venue du
Jésus, «nous parlons de Terre promise
comme étant le royaume de Dieu», qui
couvre la Terre entière, et est un
«royaume de paix, d’amour, d’égalité
(et) de justice». «Il n’y a plus de
peuple préféré, de peuple choisi, tous
les hommes et toutes les femmes de tous
les pays sont devenus le peuple choisi»,
a ajouté le prélat. Il a par ailleurs
mis en avant deux problèmes dans la
solution préconisée par la communauté
internationale et le Vatican d’instituer
un Etat juif et un Etat palestinien pour
résoudre le conflit au Proche-Orient.
Dans le cadre d’un
Etat juif, il s’est inquiété du risque
d’exclusion «d’un million et demi de
citoyens israéliens qui ne sont pas
juifs mais arabes musulmans et
chrétiens». Pour lui, il vaudrait mieux
parler d’«un Etat à majorité juive». La
question du «retour des déplacés
palestiniens» est «aussi très grave»,
a-t-il ajouté. «Quand on va créer deux
Etats, il va falloir résoudre ce
problème», a conclu Mgr Bustros,
désormais Archevêque de Beyrouth.
Illustration
https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Church_of_the_Nativity_2010.jpg
Reçu de René Naba pour publication
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