Madaniya
Les gazouillis de Moujtahed sous le
règne d’Abdallah 1/2
René Naba
Mardi 2 juin 2015
Paris –
L’hospitalisation du Roi Abdallah, le 31
décembre 2014, a déclenché un rare
déchaînement de tweet, indice de la
vivacité de la lutte pour le pouvoir
entre les deux grandes branches
antagonistes du pouvoir de la dynastie
wahhabite, le clan Al Shammar,
représenté par le Roi, et le Clan
Sidéiry, le clan du Roi Faysal et de ses
six frères qui ont pratiquement gouverné
le pays depuis la disparition du
fondateur du Royaume, Ibn Abdel Aziz.
En phase crépusculaire, tirant profit
des revers stratégiques de la diplomatie
saoudienne dans la guerre de Syrie, -un
dossier géré auparavant par le clan
Sideiry en la double personne du Prince
Saoud Al Faysal (Affaires étrangères) et
son beau-frère, le prince Bandar Ben
Sultan, le chef des services de
renseignement-, Abdallah, 91 ans, a
procédé, en douceur, à une révolution de
palais, entraînant l’éviction des postes
de responsabilité de toute une fratrie,
le clan Sultan, responsable au premier
chef du désastre saoudien, avec la
promotion concomitante des propres fils
du roi Abdallah, fait sans précédent
dans les annales du royaume.
http://www.renenaba.com/arabie-saoudite-main-basse-des-fils-du-roi-sur-les-postes-strategiques/
Dès
l’hospitalisation du monarque, les tweet
ont fait état de l’intention du Roi
d’abdiquer, une rumeur qui a fait
l’effet d’une torpille dirigée
directement vers l’entourage royal et
attribuée par la rumeur publique au clan
Sideiry, à qui a été prêté l’intention
de vouloir établir un rapport de force
en vue d’obtenir des compensations à la
suite de sa perte relative de pouvoir.
Le camp du Roi, catégorique, a rappelé
le précédent du Roi Fahd, hémiplégique,
à la mobilité réduite, à la lucidité
aléatoire, sous assistance sanitaire
permanente animée par une cohorte de
médecins, qui a néanmoins gouverné le
pays dans cet état pendant une décennie,
à une période charnière de l’histoire du
Golfe, marquée notamment par les deux
guerres contre l’Irak.
http://www.al-akhbar.com/node/223227
Un résident en Arabie doit neutraliser
ses cinq sens pour sa survie et la bonne
marche de ses affaires : Ne rien voir,
ne rien entendre, ne rien dire, ni
sentir, ni toucher. Bravant ce quintuple
interdit, un homme, toutefois, est
désigné du doigt comme étant le plus
fébrile digitaliste des activistes en la
matière : Moujtahed.
Du bon usage des
techniques modernes de communications
pour contourner l’hermétisme d’un
royaume
L’homme défraie la
chronique. Il intrigue la classe
politique et met à vif les nerfs des
services de sécurité saoudiens. Il a
même ringardisé la presse internationale
par ses révélations fracassantes sur
l’attaque d’un convoi diplomatique
saoudien à Paris, le 18 Août 2014, une
première dans les annales diplomatiques
des grandes capitales occidentales.
Ses manifestations sont attendues, avec
curiosité, amusement ou crainte, selon
la teneur de ses révélations qu’il
distille au compte-goutte ; comme pour
faire durer le suspense ou le supplice ;
comme pour maintenir la menace, épée de
Damoclès permanente suspendue sur la
tête des contrevenants grands ou petits
de ce royaume permissif à l’excès pour
les puissants mais hermétique.
Corbeau ou justicier ? Délateur ou
garde-fou ? Moralisateur de la vie
publique ou chef d’orchestre clandestin
de l’agitation sociale ? Fou joyeux ou
dangereux subversif ? Émule de « gorge
profonde », à l’origine du scandale du
Watergate qui terni la présidence
américaine de Richard Nixon, dans la
décennie 1970, son nom d’auteur
constitue tout un programme. « Al-Moujtahed
» est, au choix, l’appliqué ou le
jurisconsulte, ou une combinaison des
deux, un jurisconsulte appliqué comme
pour signifier sa détermination à
traquer les mauvaises herbes du Royaume.
« Al Moujtahed » est à l’origine de
certaines des grandes révélations de
l’histoire récente de l’Arabie. De
l’asile politique à Londres de la sœur
de Walid Ben Talal, Sarah Bint Talal,
une première d’une princesse de sang
dans les annales du Royaume, à la
rocambolesque édification du somptueux
palais du Prince Abdel Aziz Ben Fahd,
fils du l’ancien roi Fahd d’Arabie, à la
prépondérance dans la gestion des
affaires du Royaume de Khaled Al
Toueijiri, le secrétaire particulier du
Roi octogénaire Abdallah. Sous cape se
murmuraient des faits de corruption et
de passe-droit. Moujtahed les
reproduisait texto officialisant en
somme les rumeurs en les authentifiant.
Les tweet de
Moujtahed
Le palais du prince Abdel Aziz
Ben Fahd
Reproduction à
l’identique du palais d’Al Hambra
(Espagne), dont il a scanné les murs pan
par pan pour l’édifier dans le désert
d’Arabie, le palais s‘étend sur un
millions de mètres carrés et comprend
autour du palais central plusieurs
mini-palais faisant office de résidence
pour les hôtes de marque, la famille
proche et les partenaires en affaires.
Les travaux ont duré neuf ans. De 1994 à
2003, soit de la crise d’hémiplégie qui
a frappé son père le Roi Fahd à
l’invasion américaine de l’Irak. Le coût
de ce joyau s’est élevé à 12 milliards
de dollars.
Mais, sibyllin ou sournois, Moujtahed
mentionne, laconique, que le coût réel
s’est élevé à 3 milliards de dollars et
que le reliquat est « à voir avec un
arrangement avec la famille de Rafic
Hariri », le milliardaire libano
saoudien, ancien premier ministre du
Liban, assassiné en 2005. Le surplus de
9 milliards de dollars aurait-il
constitué un tribut payé l’ancien
factotum de la dynastie wahhabite, Rafic
Hariri, au fils de son Roi, en
contrepartie de son adoubement comme
premier ministre du Liban ?
Quoiqu’il en soit «
Azouz », le fils chéri du Roi Fahd, a
été dégagé de son poste ministériel par
une supercherie montée par le secrétaire
particulier du Roi Abdallah, Khaled Al
Toueijiry, avec la complicité des trois
fils du souverain, désireux de se
débarrasser d’un personnage encombrant.
A l’insu du Roi, les complices auraient
suggéré à l’heureux propriétaire d’Al
Hambra saoudien d’anticiper la décision
du souverain, en présentant lui-même sa
démission de son poste de ministre
d’état auprès du Conseil des ministres.
Les frasques d’Azouz avec Yasmine
Bleeth
Le benjamin du Roi
Fahd s’était auparavant emballé pour
l’actrice de télévision Yasmine Bleeth,
aux origines juives. Abdel Aziz Ben Fahd
a dépensé sur elle une somme si
importante, quelle aurait suffit à
éradiquer définitivement le problème des
vieilles filles du Royaume. Compagnon
festif de l’ancien premier ministre
libanais Saad Hariri, ses frasques
parisiennes lui valurent une
interdiction de séjour dans un grand
palace de la capitale française. Au
terme d’une jeunesse agitée, Abdel Aziz
a fait acte de contrition et de
repentance: Il s’est laissé poussé la
barbe et est devenu prédicateur
wahhabite, financier de la chaîne
takfiriste « Wissal » (le lien).
Pis, Moujtahed s’est distingué l’été
2014 par un scoop de retentissement
mondial en révélant l’identité du prince
saoudien victime d’un hold up à Paris
dans la pure tradition des western du
Far West. La victime n’était autre que
le Prince Abdel Aziz Ben Fahd, attaqué
par deux voitures lourdement armées,
alors qu’il se rendait en convoi
diplomatique de dix voitures de Paris au
Bourget pour s’envoler vers Ibiza. Alors
que la presse française se perdait en
conjectures, ce justicier anonyme
précisait que les assaillants ont pris
en otage l’assistant du prince, Hatem As
Sahim, et dérobé 250.000 euros de même
que des documents diplomatiques
d’importance. L’identité de ce
mystérieux justicier intrigue, mais AL
Rai Al Yom, le journal de l’influent
éditorialiste arabe, Abdel Bari Atwane,
a avancé, à l’occasion de ce hold up, le
nom du Dr Saad Al Faqih, Président du «
Comité de la réforme » d’Arabie, un
mouvement d’opposition.
http://www.raialyoum.com/?p=138997
La fortune du Prince Talal Ben
Abdel Aziz
Talal Ben Aziz,
frère du Roi, disposerait de dix
millions d’hectares de terrain situés
dans le périmètre des grandes villes.
Nul n’ignorait que le père de Walid
était riche. Cela relève même de
l’évidente banalité. Mais en révélant le
patrimoine foncier du prince et son
emplacement, la périphérie des grandes
villes sur fond de boom immobilier, ce
texto suggérait la colossale fortune de
son heureux propriétaire du fait de la
plus-value des propriétés en zone
péri-urbaine. Dans la fougue de sa
jeunesse, Talal avait rallié l’idéologie
nationaliste arabe, dans la décennie
1950, et fondé sur le modèle nassérien,
le « groupement des princes libres »,
épousant au passage Mona El Solh, la
fille de Riad El Solh, l’ancien premier
ministre libanais assassiné et un des
pères de l’indépendance libanaise.
De cette péripétie juvénile, dont il
paiera le prix par un long exil au Caire
et à Beyrouth, il glanera le titre de «
Prince rouge », suscitant une solide
méfiance au sein du clan ultra
conservateur de la dynastie wahhabite.
De par la
programmation de cette fuite, nullement
le fait du hasard, Moujtahed est apparu
comme un redoutable joueur de billards à
trois bandes. En novembre 2011 sur fond
d’une vive compétition pour
l’attribution du poste de prince
héritier à la suite du décès de son
titulaire, Sultan, cette fuite doublait
une campagne de presse déclenchée au
niveau arabe et international contre son
propre fils, faisant état d’abus sexuels
de Walid à Ibiza et en Autriche,
perturbant les démarches de son père en
vue de sa confirmation comme prince
héritier. Talal, le père de Walid, a
ainsi été une nouvelle fois écarté de la
succession au mépris de la loi de la
primogéniture, entraînant sa démission
et de celle de douze autres princes du
Conseil d’allégeance en charge des
transitions dynastiques.
Optant pour un saut de génération afin
d’épargner au Trône une gangrène
gérontocratique, le Roi Abdallah, 91
ans, s’est en effet choisi comme
successeur, un jeune prince de 78 ans,
Nayef, ministre de l’Intérieur, décédé
un an après sa nomination, auparavant
qualifié de « boucher » par l’ancien
premier ministre libanais Saad Hariri
dans une impertinence coûteuse pour sa
crédibilité auprès de la famille
régnante saoudienne.
Inlassable défenseur des réformes
politiques en Arabie saoudite, le prince
Talal a réclamé le droit de conduire
pour les femmes dans le royaume
ultraconservateur. Des militantes
avaient lancé en juin 2011 une campagne
pour braver cette interdiction, et
plusieurs d’entre elles ont été forcées
par la police à signer un engagement à
ne plus récidiver. Il a estimé en outre
qu’en attendant la tenue d’élections
dans le royaume, il est nécessaire « de
donner des pouvoirs au Conseil
consultatif ».
L’Arabie saoudite n’a pas de Parlement
mais un Conseil de la Choura de 150
membres désignés par le roi, une
instance purement consultative. Le
royaume a organisé des élections
municipales à deux reprises et les
femmes vont participer au prochain
scrutin en 2014, par décision du roi, un
prudemment réformateur.
Le prince Talal a enfin appelé à la
création d’un Fond souverain, à l’instar
des autres pays du Golfe, dans le
royaume qui avait annoncé un excédent
budgétaire de 102,9 milliards de dollars
en 2012, grâce notamment à la hausse des
prix du brut. « Le pétrole peut se
tarir, mais il y a aussi des substituts
qui apparaissent sur les marchés, et
nous craignons qu’un jour la demande
baisse sur le brut », a-t-il ajouté. Le
prince Talal préside le Programme arabe
du Golfe pour les organismes de
développement des Nations Unies
(AGFUND), chargé de promouvoir
l’éducation et la santé dans les pays en
développement.
À 85 ans, Talal est présenté comme un
prince libéral. Mais alors comment
expliquer la fuite de sa propre fille
Sarah et sa requête en vue d’obtenir
l’asile politique du Royaume Uni ?
Comment expliquer la sortie de son fils
aîné Khaled tançant son cadet Walid Ben
Talal d’avoir déshonoré la famille en
laissant son épouse se dévoiler la face
lors d’une réception à Londres, alors
que leur maman commune Mouna Al Solh a
vécu le visage dévoilé sa vie durant ?
Il y a quelque chose qui ne tourne pas
rond au royaume wahhabite.
Le tweet de Walid Ben Talal
Reprenant à son
compte les préoccupations de son père,
le prince milliardaire a suscité
l’hilarité des réseaux sociaux pour le
tweet qu’il a diffusé à l’occasion de la
fête nationale saoudienne, le 24
septembre 2013. Dans son message de
vœux, le petit-fils du fondateur du
royaume presse ses pairs de « prendre en
compte les aspirations et les besoins du
peuple saoudien ». La réponse d’un
activiste, Majed Al Moukhallafi, fusa,
implacable : « Commence par toi-même ».
Un autre
gazouilleur répondant au nom de Victor a
énuméré à l’intention du prince les
règles de bonne gouvernance saoudienne :
« Songe aux sacrifices consentis par tes
aïeux. Tu commences par voler les
richesses du pays, tu continues par
dilapider l’argent public, tu termines
par faire des dons et des cadeaux
uniquement pour te faire de la publicité
et devenir célèbre ».
Pour le lecteur arabophone, Cf.
l’article du Qods Al Arabi en date du 24
septembre 2013
http://www.alquds.co.uk/?p=87344
Khaled Al Toueijiry ou Les
manigances du secrétaire particulier du
Roi
Outre Azouz, Khaled
Al Toueijriry s’est appliqué à piéger
Sarah Bint Talal, la princesse qui a
demandé l’asile politique à Londres.
Multipliant promesses et propositions,
il a cherché à la faire revenir sur sa
décision et à la retenir en Arabie.
Sarah, nullement dupe de ces manœuvres,
a réussi à s’enfuir et à préserver son
pactole que sa famille convoitait.
Une fois à Londres, le secrétaire a
cherché à l’attirer dans un piège pour
l’enlever et la ramener manu militari en
Arabie.
Mais « Princesse Barbie », son surnom du
fait qu’elle se déplace constamment en
Rolls Royce, y compris pour faire ses
emplettes au supermarché, a déjoué ses
plans. Pas folle la guêpe. La fuite de
Sarah, petite fille du fondateur du
Royaume est une première depuis la
fondation de la monarchie et un point
noir dans le palmarès de Khaled Al
Toueijiry que des dignitaires se sont
précipités de mettre à profit pour
l’évincer.
« Comment va le Roi Khaled ? »
Nonagénaire, de santé déclinante, le roi
a été hospitalisé pendant près d’un mois
en novembre et décembre 2013, déléguant
une large fraction de son pouvoir à son
secrétaire particulier, lui confiant
l’ultrasensible mission de gérer la
Garde Nationale, la garde prétorienne
due la Dynastie. La prépondérance d’un
roturier sur les « royaux » a suscité
aigreur, rancœur et courroux au sein de
la royale famille. Un frère du Roi a
entrepris de le faire savoir sans
ménagement à son royal Frère. Apercevant
à distance sa Majesté, son frère
Micha’al Ben Abdel Aziz, se dirige vers
lui, lui donne l’accolade et s’enquiert
de la santé du roi Khaled. S’ensuit ce
dialogue surréaliste :
– Micha’al : « Comment va le Roi Khaled
»?
– Le Roi Abdallah : « Le Roi Khaled
»?????
Puis se ravisant, craignant d’avoir
affaire à un frère atteint d’Alzheimer,
le roi Abdallah prend la peine de lui
préciser… « Tu sais, je suis le Roi
Abdallah, le Roi Khaled est décédé en
1982, notre frère Fahd lui a succédé,
puis j’ai succédé à Fahd, en 1995 »,
soit il y a seize ans. Ulcéré d’avoir
était pris pour un mono synapse,
Micha’al, du tac au tac, rétorque… « Le
Roi Khaled, je veux dire par Roi Khaled,
ton secrétaire particulier Khaled Al
Toueijiry, qui se vit comme un roi à la
place du Roi, qui se mêle de tout et
décide de tout.
Le Roi Abdallah,
comprenant sa méprise et voulant calmer
la colère de son frère, lui octroya sur
le champ un grand projet
d’infrastructure : La construction de la
2ème tranche du projet de chemin de fer
Djeddah-La Mecque d’une valeur estimée
de trente milliards de dollars. Foi de
Moujtahed. Si en France tout finit par
des chansons, en Arabie, le pétrodollar
est roi, la meilleure assurance royale.
Septième pays au Monde pour l’importance
de ses réseaux sociaux (tweet et YouTube)
l’Arabie saoudite se place en tête des
pays arabes pour le nombre des usagers
du twitter. Les gazouillis de Moujtahed
(1) sont suivis par 1.410.000 abonnés
depuis leur lancement en novembre 2011,
déclenchant une mobilisation générale
des services de sécurité pour tenter de
démasquer l’impertinent. En vain.
Le royaume compte trois millions
d’usagers, soit depuis l’apparition des
gazouillis, une augmentation de 3000%,
(bien trois mille pour cent) en un an.
Moujtahed assure que ses pourvoyeurs ont
pris l’exacte mesure de l’ampleur de la
corruption et sont conscients de la
nécessité de dénoncer les faits
scandaleux pour favoriser les réformes.
Il se défend de tout règlement de compte
et soutient que le monde se situe dans
son viseur.
La personnalité de Moujtahed intrigue et
effraie. La rumeur publique lui attribue
la paternité de la « révolution de
palais » opérée en Arabie saoudite, le
14 mai 2014, aboutissant à la mainmise
des enfants du Roi Abdallah sur les
principaux rouages de l’État,
l’exclusion des postes clés du pouvoir
du clan Sultan, du nom du Prince Sultan,
l’inamovible ministre de la défense
pendant trente ans (Bandar, Khaled et
Salman Ben Sultan), et l’affaiblissement
consécutif, du clan Sideiry, la branche
rivale de la famille royale le clan Al-Shammar
représentée par l’actuel roi.
http://www.raialyoum.com/?p=88478
Facebook la voie
royale des polémiques inter-monarchiques
: la version moderne du Lion et du
Moucheron
L’efficacité des
réseaux sociaux et surtout leur
crédibilité dans des pays fortement
autocratiques a conduit leurs
dignitaires à en faire usage pour
d’invraisemblables règlements de compte.
Sur fond de vive tension internationale
consécutive à la controverse à propos
des armes chimiques en Syrie, l’été
2013, l’Arabie saoudite et le Qatar, les
frères ennemis wahhabites, ont poursuivi
leur guerre picrocholine, à l’ombre de
leurs derricks respectifs, pour le
leadership régional du titre envié de
principal commanditaire du mercenariat
djihadiste. Agacé des ambitions du
Qatar, le Prince Bandar Ben Sultan,
alors chef des services de
renseignements saoudiens, d’un terme
méprisant, a expédié le rôle du Qatar
dans le ravitaillement de la rébellion
syrienne. « Le Qatar…tout juste une
population de 300 personnes et une
chaîne de télévision et ceci ne suffit
pas pour constituer un pays », par
allusion Al Jazira, qui eut longtemps un
rôle prescripteur de l’opinion arabe
avant de se dévoyer dans la couverture
des combats de Libye et de Syrie.
Bandar a ainsi voulu signifier son
mécontentement de la livraison, via la
Turquie, par le Qatar de missiles
thermiques à l’opposition islamiste.
Le propos rapporté
par le journal conservateur américain
Wall Street Journal n’a pas été démenti
par l’intéressé, au point que des
intellectuels et des académiciens
qatariotes se sont étonnés de l’absence
de réaction officielle saoudienne à ce
qu’ils ont considéré comme une «
atteinte à la dignité du Qatar, son état
et son peuple ».
Contrairement à tous les usages
diplomatiques, le premier à porter la
polémique sur la place publique a été,
Khaled Attiyah, le nouveau ministre des
affaires étrangères du Qatar en personne
: « Un citoyen du Qatar vaut à lui seul
tout un pays et le peuple du Qatar vaut
la totalité d’une nation (arabe ou
islamique). Voilà ce que nous enseignons
à nos enfants. Avec mon entière
considération ».
La « gracieuseté royale » saoudienne à
l’armée libanaise via la France.
Le don de trois milliards de dollars
octroyé par le royaume pour l’équipement
de l’armée libanaise, via la France, a
été salué par un gazouillement critique
ininterrompu de médiactivistes, se
gaussant de cette générosité mal placée
alors qu’une fraction de la population
saoudienne pâtit du chômage et de
précaires conditions d’existence.
La plus cinglante réaction est venue
d’un impertinent postant sur sa page
Facebook un drapeau libanais barré du
sabre saoudien et du premier verset du
Coran : « Il n’y a de Dieu que Dieu »
comme pour signifier la saoudianisation
du Liban.
Un don royal qui a eu l’heur d’agacer
fortement en ce que les rues des grandes
villes du Royaume avaient été obturées,
l’automne 2013, par une montée des eaux
des égouts du fait de la vétusté des
canalisations.
Une page Facebook présentait un vieux
couple désargenté et triste avec cette
légende : « Notre argent est dilapidé
chez nos voisins, alors que ce couple
est prioritaire qui n’a plus qu’à
compter sur Dieu, le meilleur sur lequel
il puisse compter (hasbyallah wa nihma
al wakil)
Pour le lecteur
arabophone
- http://www.al-akhbar.com/node/204050
- http://www.al-akhbar.com/node/197937
La contestation par
internet
Moujtahed a eu un
rôle pionnier et demeure à ce jour
inconnu. Son mérite est d’avoir lancé le
débat dans l’espace public, ouvert en
quelque sorte « la boite de pandore ».
L’engouement pour ce moyen de
communications a en effet suscité des
vocations au sein des autres couches de
la population, les jeunes et les
prédicateurs religieux. Mais tout le
monde n’a pas le doigt heureux. Ainsi
Abdel Aziz Al Khojja, le flamboyant
ministre de l’information et de la
culture et ancien ambassadeur au Liban,
a été sur le champ rejeté dans les
ténèbres pour avoir ordonné par tweet la
fermeture d’une chaîne fondamentaliste
saoudienne ; un signe de mépris
indiscutable dans ce fief de
l’intégrisme, dont cet enfant chéri de
l’intelligentzia saoudienne s’en mord
encore les doigts.
La pétition par
internet :
Cinq mois après l’entrée en scène de
Moujtahed, les jeunes se mettaient de la
partie. Faisant preuve d’un courage
inhabituel dans un pays régit par la
police religieux (Al Mouttawah’a), 2.400
jeunes saoudiens lançaient une pétition
en ligne proclamant le « refus de la
tutelle paternaliste », s’insurgeant
contre « la mainmise du pouvoir
politico-religieux sur la vie publie et
privée des saoudiens » et la « tutelle
paternaliste qui bride nos pensées ».
Le collectif des jeunes activistes
déplore que « la génération précédente
se soit égarée dans de conflits
secondaires, une déviation des grands de
causes nationales vers des débats
sectaires, partiels et parcellaires ».
(2) Leur emboîtant le pas, un dignitaire
Abdallah Al Ouwaydate, s’est attaqué à
une pratique ancestrale, sujet tabou
s’il en est : La cessation des activités
profanes durant les heures de prière.
« La fermeture des centres commerciaux
durant les heures de prière est une pure
invention qui ne repose sur aucun
fondement religieux ou rationnel. Ces
centres ferment par crainte des
représailles de la police religieuse,
alors que les propriétaires de fonds
pâtissent en premier du préjudice de
cette mesure », a-t-il soutenu non sans
témérité.
Les prédicateurs
faussaires (3)
L’engouement pour
ce moyen de communications qu’il a
contaminé la strate sociale la plus
réfractaire à la modernité : les Oulémas
en personne qui vont se livrer à une
lutte acharnée pour asseoir leur
audience et revendiquer le leadership en
nombre d’adhérents…par de petits
arrangements avec le Bon Dieu. De
prédicateur traditionnel, les hommes de
religion, à tout le moins certains
d’entre eux, se sont transformés en
prédicateurs informatiques, achetant des
adhérents, au point qu’un prédicateur
s’est vanté de disposer d’un million de
« Follower », se hissant au premier rang
du classement tweet du Royaume.
En fait, ces hommes de foi, de bonne ou
de mauvaise foi, offraient une prime à
tout adhérent et plaçait des icônes ou
des coquilles vides de photo en guise
d’identification de leur suiveur.
S’inspirant des achats de voix dans les
pays à régime démocratique, Abdel Rahman
Al Kharrachi s’est assuré la fidélité de
ses suiveurs par le versement d’une
prime mensuelle, faisant faire un bon
phénoménale à son compte, passant de 600
à 166.000 adhérents.
Une étude de l’Université Northeastern
de Boston portant sur 380 millions de
tweets, postés entre octobre 2010 et mai
2012 sur un total de 500 millions de
messages, ont permis de localiser leur
provenance et de quantifier leurs
expéditeurs, au nombre de 6 millions
répartis dans 191 pays, dont les plus
actifs auront été les Saoudiens et les
Koweïtiens. Face à ce qui a pu être
perçu comme le début d’une contestation
généralisée qui pouvait être fatale à la
dynastie, devant tant de dérives, la
monarchie a sifflé la fin de la partie
et a sorti l’artillerie lourde.
L’arme de destruction massive pour
dissuader toute contestation à l’ordre
monarchique : Une Fatwa. Cheikh Abdel
Aziz Al Chacca s’est proposé, de bonne
grâce, à cette besogne, invitant les
Saoudiens à renoncer au Twitter, «
promoteur de mensonge et de
prescriptions sans fondement,
attentatoire à la dignité des Oulémas ».
La criminalisation des Frères Musulmans
le 4 mars 2013 par l’Arabie saoudite a
d’ailleurs relancé le débat sur la
liberté d’expression dans le Royaume en
ce que l’inscription de la confrérie sur
la « liste des organisations terroristes
» a frappé d’interdit de facto tous les
sympathisants de la confrérie, y compris
les prédicateurs saoudiens dont les
sermons servaient de relais médiatiques
à leur thématique religieuse.
Sous couvert de lutte contre le
terrorisme, un digitaliste d’un compte
twitter, Mohand al Mohaymid, a même été
condamné à huit ans de prison sous
l’inculpation de « crime informatique »
pour avoir alimenté les réseaux sociaux
de vidéos en vue d’attirer l’attention
de la population sur les conditions de
détention des prisonniers saoudiens.
Plusieurs milliers d‘islamistes
comparaissent en justice pour des
activités en rapport avec le terrorisme.
Un autre à mille coup de fouets.
http://rue89.nouvelobs.com/2015/01/16/jesuisraef-lindigne-flagellation-blogueur-saoudien-257140
Pis les techniques
modernes de communications constituent
non seulement un levier de démocratie,
mais également une menace pour le
machisme du mâle saoudien en ce que leur
usage intensif éloigne les utilisateurs
des valeurs de l’Islam et favorise le
divorce. Le ministère de la Justice a
avancé le chiffre de 33 964 divorces en
2014 du fait de l’usage des réseaux
sociaux, notamment au niveau des jeunes
couples où le mari passerait des heures
à s’y connecter, donnant ainsi à son
épouse le sentiment d’être délaissée.
Facebook et WhatsApp sont cités comme
étant à l’origine de plus des 25% des
divorces dans ce pays selon Moustapha
Al-Males, conseiller conjugal et
familial.
Ces réseaux sociaux, qui permettent plus
facilement des relations
extra-conjugales sont également
responsables de plus de 20% des
divorces. Les religieux sont également
sommés d’intervenir afin d’éduquer la
jeunesse contre les méfaits des réseaux
sociaux.
Le Royaume d’Arabie n’est assurément pas
le paradis.
Pour le lecteur
arabophone
http://www.alquds.co.uk/?p=141669
Références
- 1 -Taghridat Moujtahed (Les gazouillis de Moujtahed)
CF. le journal libanais « Al Akhbar
» 12 février 2012.
En ce qui concerne les gazouillis du
djihadisme en Syrie particulièrement
de la structure de commandement de
l’État Islamique d’Irak et du Levant
(EIIL) dont l’acronyme en arabe est
Da‘ech et le sigle en anglais ISIS,
voir
http://www.al-akhbar.com/node/198403
- Le texte intégral de cette pétition a été publié par
le journal libanais As Safir en date
du 3 avril 2012. La pétition a été
référencée sous le lien suivant
http://youthpetition.worldpress.com
Les signataires proclament notamment
ce qui suit : « Nous dénions à
quiconque le droit de mettre en
doute notre appartenance à l’Islam
et à notre pays. Nous veillons à
réaliser les objectifs islamiques
auxquels nous sommes fiers
d’appartenir, conscient de nos
droits et de nos obligations.
Nous sommes opposés à l’idée que
quiconque puisse mener nos propres
combats, (en notre place) au
prétexte de nous défendre. La
tutelle paternaliste bride notre
pensée. La génération précédente
s’est égarée dans des conflits
secondaires, par des moyens
immoraux. Nous déplorons la
déviation du débat des grandes
causes nationales vers des débats
sectaires, partiels et parcellaires
».
- Les prédicateurs faussaires. Cf. Al Qods Al Arabi,
journal trans arabe édité à Londres,
en date du 7 août 2012.
- Déchaînement de twitter à l’annonce de
l’hospitalisation du roi Abdallah le
31 décembre
2014 http://www.al-akhbar.com/node/223227
Reçu de
René Naba pour publication
Le sommaire de René Naba
Le
dossier Arabie saoudite
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