MADANIYA
Nucléaire-Monde arabe (1/4). «Bullshit»
(Foutaise) :
La réponse méprisante des États Unis
aux ambitions nucléaires de la Jordanie
René Naba
Jeudi 1er octobre 2020
Madaniya.info a le plaisir de soumettre
à l'attention de ses lecteurs une étude
inédite portant sur la problématique du
nucléaire arabe, un dossier en 4 volets
portant tant sur le comportement
méprisant des Etats Unis à l'égard de
ses alliés arabes, que sur les ambitions
de la Jordanie, de l'Arabie saoudite et
de l'Egypte, enfin sur l'attitude de la
Russie à ce sujet.
La réponse méprisante des États Unis
aux ambitions nucléaires de la Jordanie
La Jordanie, qui
dispose d’un gisement d’uranium dans le
centre du Royaume, ambitionne de devenir
un «centre régional de traitement de
l’énergie atomique», mais se heurte à
l’opposition résolue des États Unis,
lesquels ont rejeté sa requête en des
termes méprisants: «Bullshit» –
Foutaise), a cinglé la réponse
américaine.
Outré, le
négociateur jordanien, Khaled Toukane,
président de la Commission Jordanienne
de l’Énergie Atomique, a prié son
interlocuteur, Thomas Canterman,
assistant du secrétaire à la sécurité
internationale chargé de la non
prolifération atomique, de quitter la
salle où se tenait la négociation.
La scène s’est
produite le 19 avril 2018 à Amman. Cette
révélation est contenue dans une note du
Commissariat à l’Énergie Atomique
jordanien adressé au ministère jordanien
des Affaires étrangères rendant compte
d’une réunion de travail entre
l’organisme jordanien et des
responsables américains chargés de la
lutte contre la prolifération nucléaire.
La totalité de la
correspondance sur cette affaire est
publiée par le journal libanais «Al
Akhbar» le 8 Mai 2019, soit un an après,
sous un dossier intitulé «Nucléaire
Jordanie».
«Les États Unis ont
invité la Jordanie à porter son
attention sur les énergies
renouvelables, notamment l’énergie
solaire, laquelle est en mesure de
satisfaire les besoins à court et moyen
terme du Royaume. Sur les énergies
renouvelables et non sur l’énergie
atomique», révèle la note adressée au
ministère jordanien des Affaires
étrangères.
Ci joint
l’intégralité du vif échange entre
Jordaniens et Américains.
A l’injonction
américaine de se tourner vers l’énergie
solaire, les Jordaniens ont répondu en
ces termes: «La capacité nucléaire est
un impératif stratégique pour la
Jordanie et il lui incombe d’envisager
toutes les options qui s’offrent à elle
pour satisfaire ses besoins».
La Jordanie est
dépourvue de ressources énergétiques. Sa
survie économique est tributaire des
subventions des pétromonarchies qui les
conditionnent à l’alignement du Royaume
à leur politique, notamment en ce qui
concerne la transaction du siècle: la
renonciation de la tutelle de la
dynastie hachémite à la gestion des
Lieux Saints musulmans de Jérusalem
notamment la Moquée Al Aqsa, et à leur
soutien à leur politique anti-iranienne.
Pour contrer
l’argumentation américaine, le
négociateur jordanien a fait valoir que
«dans le groupe de travail jordanien
figurent trois experts américains parmi
les huit membres qui constituent le
«Haut Comité International chargé de
superviser le programmé nucléaire
jordanien». Une manière subtile de
suggérer que tous les experts américains
ne partagent pas les vues de
l’administration américaine et qu’il est
loisible à cette dernière de s’informer
de l’état des recherches nucléaires de
la Jordanie via ses nationaux opérant au
sein du Haut Comité Jordanien.
Comme pour réduire
la tension, le négociateur américain,
Thomas Casterman, a alors fait part de
sa «satisfaction des étapes parcourus
par le programme jordanien notamment en
ce qui concerne les réacteurs affectés à
la recherche et à la formation
scientifique».
Khaled Toukane:
«Plusieurs sociétés américaines ont fait
part de leur intérêt à coopérer dans le
domaine de la radio activité et du
traitement du combustible nucléaire,
notamment la firme CENTRAS. La nécessité
s’impose de parvenir à un accord pour
ratifier la convention 123 américaine
(prohibant la prolifération nucléaire)
afin de dégager la voie à une
coopération des entreprises américaines
et la Jordanie dans le domaine de
l’énergie atomique», a surenchéri le
jordanien.
Le CLASH
Thomas Canterman:
«Le moment n’est pas opportun de
soumettre un projet d’accord au Congrès
pour approbation. Il ne le sera pas non
plus lors de la mandature du prochain
congrès américain, dont la position ne
va pas différer de celle de l’actuel
congrès….(…) La convention 123
américaine signifie clairement une «non
prolifération nucléaire», un sujet
fondamental pour les États-Unis.
L’accord international conclu avec
l’Iran, le 14 juillet 2017, va réduire
la prolifération et garantir la sécurité
nucléaire régionale. La Jordanie doit
s’inspirer de cette règle, adoptée par
les Émirats Arabes Unis, qui ont fait
preuve de leur souci de refréner le
changement climatique. La Jordanie doit
prendre exemple sur les Émirats Arabes
Unis».
Khaled Toukane: «La
Jordanie ne s’engagera pas dans le
processus de l’enrichissement de
l’Uranium ni dans le recyclage des
combustibles. Toutefois, a fait valoir
le jordanien, la Jordanie n’est pas le
seul pays arabe dans ce cas.
Deux grands pays
arabes -l’Arabie saoudite et l’Égypte-,
n’ont pas souscrit à la convention 123
américaine. La Jordanie, en revanche, a
adhéré à des traités internationaux
confirmant son engagement à préserver la
sécurité nucléaire et la non
prolifération.
Thomas Canterman:
«La tournure que prend la conversation
n’est pas dans l’intérêt de nos
négociations». Puis, d’un ton méprisant,
avise son interlocuteur en ces termes:
«Je ne suis pas venu discuter des
orientations des autres pays arabes,
mais de régler un problème technique
précis».
Le relayant,
l’ambassadrice des États-Unis à Amman,
réitère la position américaine à
l’intention des négociateurs jordaniens:
«La prolifération est une source
d’inquiétude pour l’ambassade
américaine», a-t-elle dit.
Khaled Toukane: «La
Jordanie ambitionne de devenir un
«Centre Régional de Traitement du
Combustible nucléaire» de manière à
pourvoir aux besoins de tous les états
de la région désireux d’édifier des
centrales nucléaires».
Thomas Canterman
l’interrompt abruptement: «Bullshit»
Foutaise.
Piqué sur le vif,
Khaled Toukane met fin brutalement à la
négociation, sommant l’américain de
quitter les lieux, à défaut de quitter
lui même la salle. Aussitôt après cet
incident, l’ambassadrice, alertée, prend
contact avec le Jordanien, lui demandant
de bien vouloir la recevoir le lendemain
pour lui présenter les excuses de
l’ambassade.
Foutaise…. Une
réponse méprisante, d’une rare violence.
S’agissant d’un diplomate, une
expression d’une grossièreté
exorbitante, symptomatique des dérives
de la grande démocratie américaine et du
délire de ses servants.
Mais au delà de
l’interdit américain, la Jordanie se
heurte aux convoitises de l’Arabie
Saoudite, désireuse de profiter de
l’opposition américaine au programme
nucléaire jordanien pour s’y insérer en
tant que partenaire paritaire. Pour ce
faire, le prince héritier saoudien
Mohamad Ben Salmane soumettra la
Jordanie au chantage.
Devant tant de
mépris, alors que les États-Unis
envisagent de confier la gestion des
Lieux saints musulmans notamment la
Mosquée al Aqsa de Jérusalem, à l’Arabie
saoudite, dans le cadre de la
«transaction du siècle», la Jordanie a
décidé d’abroger l’accord conclu avec
les Israéliens, en 1994, permettant aux
agriculteurs israéliens d’exploiter les
terres jordaniennes de l’enclave
frontalière de Naharim.
Le Roi Abdallah II
de Jordanie, chef de la dynastie
hachémite, rivale ancestrale de la
dynastie wahhabite, a ainsi mis fin au
statut temporaire gérant ses terres et
le retour des enclaves frontalières en
Jordanie, Bakoura et Al Ghomra.
Épilogue
Au terme de trois
ans de vacance de poste, consécutive au
rappel à Washington de l’encombrante
ambassadrice américaine, Alice Wells, la
détente est intervenue entre les États
Unis et la Jordanie sous forme d’un
cadeau de Noêl anticipé: A une semaine
du Sommet du G20 à Ryad, –qui devait
refermer diplomatiquement la hideuse
parenthèse du feuilleton Jamal Kashoggi,
le journaliste saoudien découpé à au
Consulat saoudien à Istanbul, le 2
octobre 2018–, Donald Trump, a dépêché à
Amman un nouvel «Ambassadeur
extraordinaire», avec en prime un don de
745 millions de dollars portant le total
de la subvention américaine pour 2019 à
1,5 milliards de dollars.
Cauda : Le volet
deux du dossier portera sur «le chantage
saoudien».
Atlas of Jordan –
Figure I.11 — Jordan Mineral Resources.
Illustration
Atlas of Jordan –
Figure I.11 — Jordan Mineral Resources :
https://books.openedition.org/ifpo/4863
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