Madaniya
Yémen / Arabie Saoudite :
Arabie saoudite versus Al Qaida 1/2
René Naba
Vendredi 1er mai 2015
L’expédition punitive saoudienne
au Yémen : un test de la crédibilité du
Roi Salmane et de la viabilité de la
dynastie wahhabite.
Paris –
L’expédition punitive saoudienne contre
le Yémen, première épreuve de feu
ouverte depuis la création du Royaume
saoudien il y a 86 ans, paraît devoir
constituer un test de la crédibilité du
nouveau Roi Salmane, de la valeur
dissuasive du Royaume, en même temps
qu’un test pour la viabilité de la
dynastie wahhabite.
Salmane, un des plus
gros collecteurs de fonds pour les
djihadistes
Deux mois après son
entrée en fonction, la nouvelle guerre
du Yémen paraît répondre, sur le plan
interne, à un double objectif :
- Faire taire
les critiques sur l’aptitude du
nouveau roi, nullement juvénile, à
gouverner alors que des informations
persistantes font état d’une lourde
pathologie handicapante dont
l’octogénaire Salmane pâtirait. Le
gazouilleur le plus en vue du
Royaume, Moujtahed, réputé pour ses
informations corrosives de
pertinence, a ouvertement mentionné
l’Alzheimer, sans susciter ni
riposte, ni sanctions.
- Provoquer
l’Union sacrée autour de la personne
du Roi et de neutraliser les
pulsions vindicatives du prince
Mout’ab, le fils aîné du défunt Roi
Abdallah, brutalement évincé de la
course à la succession alors qu’il
avait été mis sur orbite par son
père en tant de 2me vice premier
ministre.
Contrairement aux
assertions de la presse occidentale, qui
soutenait inconsidérément que Salmane
bénéficie d’une « réputation de probité
» et d’un « grand respect » (1) au sein
de la famille royale, le nouveau roi est
en fait âprement contesté, notamment par
la branche Al Shammar, en raison de son
obstruction, en tandem avec le Prince
Saoud Al Faysal, ministre des Affaires
étrangères, à la politique de
libéralisation du Royaume menée par son
prédécesseur Abdallah.
Propriétaire d’un
important groupe de presse « Research
and Marketing ltd », l’homme a orchestré
pendant plus de trente ans, à travers la
totalité des 15 périodiques de son
empire médiatique les campagnes de
collecte de fonds au profit des « arabes
afghans », les ancêtres des djihadistes
salafistes, tant en Afghanistan, qu’en
Bosnie-Herzégovine, qu’en Tchétchénie,
qu’au début du printemps arabe contre la
Syrie.
Fondé en 1978 par
Kamal Adham, ancien chef des services de
renseignements saoudiens du temps du Roi
Faysal dont il était le beau frère,
-l’homme du voyage de l’égyptien Anouar
El Sadate en Israël- As Chark Al Awsat,
le fleuron de ce groupe de presse, sera
la pierre angulaire du dispositif
médiatique saoudien à une période
charnière du Moyen Orient à la veille de
la chute de la dynastie Pahlévi en Iran
et de l’instauration de la République
islamique iranienne (février 1979), de
la conclusion du traité de paix
israélo-égyptien (Mars 1979) et de la
guerre des pétromonarchies contre
l’Iran, via l’irakien Saddam Hussein
(septembre 1979).
À journées faites,
sur de pleines pages, As Chark Al Awsat
mentionnait, dans la pure tradition de
l’économie ostentatoire, les
contributions des donateurs dans un
style qui incitait à l’émulation. Des
annonces reprises, au diapason, par les
autres publications du groupe : Arab
News, Al Majalla, Urdu News, Arrajol, et
Al Iqtissadiyah.
Salmane diluera sa
participation dans ce holding, à la mi
2014, dans une démarche symbolique
destinée à prendre ses distances avec
les collecteurs de fonds des djihadistes
au moment où ses anciens compagnons de
route faisaient mauvaise presse dans les
pays occidentaux par leurs abus, alors
que la santé du Roi chancelante lui
laissait entrevoir les portes du
pouvoir.
Gouverneur de Ryad
pendant 50 ans, il a fait office de
ministre occulte de l’information du
Royaume, protecteur de tous les
prédicateurs salafistes venus cherchés
refuge au royaume, en même temps qu’un
mécène de la presse arabe. Les fastes et
frasques de ses fréquents séjours
parisien à sa résidence de l’Avenue
Foch, de même que les prodigalités dont
les journalistes libanais ont largement
bénéficié en témoignent tout comme les
conditions scabreuses de l’acquisition
de la radio parisienne « Radio Orient »,
par le publiciste libanais Raghid
Chama’a, avant de tomber dans
l’escarcelle du milliardaire libano
saoudien, Rafic Hariri. Chargé de régler
les querelles domestiques au sein de la
famille royale, Salmane a siégé au
Conseil de famille qui a ordonné la
décapitation des « Roméo et Juliette
d’Arabie », en 1987. (2)
Le verdict de
Moujtahed
Moujtahed qui a
tenu en haleine le Royaume par ses
révélations sur les frasques et
manigances de la famille royale
saoudienne dans la phase crépusculaire
du règne du Roi Abdallah, ne s’est pas
résolu au silence à l’avènement de son
successeur le Roi Salmane. Bien mieux,
faisant preuve d’audace, il a accordé
une interview à un périodique du Golfe «
Affaires du Golfe »; un dialogue mené
par Riham Rifa’at.
Ci joint son
verbatim :
« Mout’ab : fils de
l’ancien Roi Abdallah, a été rétrogradé
lors du remaniement ministériel qui a
marqué la promotion du nouveau Roi. 2me
vice président du Conseil, c’est à dire
3eme dans l’ordre de succession, il a
été rétrogradé au rang de simple
ministre en charge de la garde
nationale. Il vit « DANS UN GRAND ETAT
DE VENGEANCE ET PLANIFIE POUR CELA ».
Personne ne sait exactement ce qu’il
trame. Il boycotte le Conseil de
Sécurité et de Politique » du Royaume,
présidé par le ministre de l’Intérieur.
Des assassinats ou des attentats ne sont
pas à exclure. Tout est possible avec
Mouta’b. En commençant par une guerre
médiatique qu’il peut déclencher dans
les médias relevant de son camp contre
Mohamad Ben Nayef, celui a lui a succédé
en tant qu’héritier du prince héritier…
jusqu’aux assassinats ou attentats voire
des affrontements armés avec l’autre
camp », assure Moujtahed.
Toutefois, les
revers enregistrés par l’Arabie saoudite
dans son expédition punitive contre le
Yémen (Mars-Avril 2015) a contraint
Salmane à mobiliser la Garde Nationale
pour la protection des frontières du
Royaume, replaçant Mout’ab au centre du
jeu politique saoudien.
Fondée par le
défunt Roi Abdallah, la Garde Nationale
est constituée de près de 100.000
combattants exclusivement recrutés au
sein des rugueux guerriers tribaux.
Tenue en suspicion par le clan Sideiry
au pouvoir à Riyad en ce qu’il s’agit
d’une création d’Abdallah, Chef du Clan
Al Shammar, elle était traitée comme un
détachement supplétif de l’armée
gouvernementale. L’intervention de la
Garde Nationale dans la guerre du Yémen
signe l’échec de l’armée traditionnelle
relevant de l’autorité du ministère de
la Défense placée sous l’autorité du
clan Sideiriy depuis près de 60 ans.
Sur le plan
bilatéral : Arabie versus-Al Qaida, un
conflit de légitimité sur fond de
contentieux territorial
La guerre
saoudienne contre le Yémen est en outre
destinée à purger le conflit de
légitimité qui oppose la dynastie
wahhabite au fondateur d’Al Qaida,
Oussama Ben Laden, yéménite de
naissance, ancien sujet du Royaume, en
même temps que de couper définitivement
court aux velléités yéménites de
revendiquer la restitution des trois
provinces yéménites annexées par
l’Arabie saoudite dans la décennie 1930.
Périmètre hautement
stratégique, cette zone à forte charge
symbolique est le lieu d’immersion
présumée d’Oussama Ben Laden, abritant
de surcroît en Arabie saoudite la plus
importante base de drone dans le
secteur, en charge de la traque des
djihadistes d’Al Qaida dans la péninsule
arabique.
Matrice de la
culture arabe, son foyer de
civilisation, ce pays, placé selon son
étymologie à droite sur le chemin du
pèlerinage de la Mecque, n’a jamais été
colonisé. Situé à la pointe sud-ouest de
la péninsule arabique, frontalier de
l’Arabie saoudite au Nord, et du
Sultanat d’Oman à l’Est, le Yémen
possède une façade maritime d’une
longueur de 1.906 km de côtes et couvre
une surface de 527.970 km², soit presque
autant que la France.
Via ses trois îles,
-Kamran, Perrin, et Socotra- il commande
l’accès à la mer Rouge par le détroit de
Bab El-Mandeb, et l’île de Socotra (la
plus grande des îles) dans l’océan
Indien. Signe de l’importance
stratégique de la zone, le Royaume Uni,
du temps du protectorat britannique sur
l’Arabie du sud, avait fait du port
d’Aden, la grande ville du sud Yémen, la
place forte de la présence britannique à
l’Est de Suez pour la sécurisation de la
route des Indes.
La militarisation
des voies maritimes figure d’ailleurs
parmi les objectifs de Washington dans
cette zone de non droit absolu qui relie
la Méditerranée à l’Asie du Sud-est et à
l’Extrême-Orient par le canal de Suez,
la mer Rouge et le golfe d’Aden. À lui
seul, le Golfe d’Aden représente 660 000
kilomètres carrés, mais la zone de
rayonnement des pirates de Somalie
s’étend désormais jusqu’aux Seychelles,
soit deux millions de km2. Les côtes
somaliennes courent sur 3700 kilomètres,
relevant de trois États, mais le plus
souvent hors de toute juridiction. Vingt
mille navires empruntent cette autoroute
maritime chaque année, transportant le
tiers du ravitaillement énergétique de
l’Europe.
L’Éthiopie, pays
africain non musulman, a été désigné par
les États-Unis pour faire office de «
gendarme régional » dans la Corne de
l’Afrique, à l’instar d’Israël pour le
Proche orient. Toutefois l’échec de
l’Éthiopie à mater la rébellion du
régime des tribunaux islamiques a
conduit l’alliance occidentale à mettre
en place un dispositif de lutte contre
la piraterie maritime s’articulant sur
trois volets États-Unis, Union
européenne et OTAN.
En 2009, 168 actes
de piraterie ont été recensés, dont
douze navires et deux cents cinquante
otages détenus sur la côte somalienne au
1er décembre dernier. Le dispositif
international est déployé depuis
Djibouti (Golfe d’Aden) et les
Seychelles (sud océan Indien), qui
constituent les principales bases de
soutien des opérations maritimes et
aériennes d’anti-piraterie. Une
vingtaine de bâtiments de guerre
croisent en permanence dans le Golfe
d’Aden et patrouillent le long des côtes
somaliennes.
Le contentieux
territorial
Outre le conflit de
légitimité qui oppose les disciples de
Ben Laden à la dynastie wahhabite,
l’intervention saoudienne au Yémen, la
3eme de son histoire, vise à couper
définitivement court aux velléités
yéménites de revendiquer la restitution
des trois provinces yéménites annexées
par l’Arabie saoudite dans la décennie
1930.
Ces trois provinces
-Assir Jizane et Najrane avaient été
annexées dans la pure tradition
israélienne, par l’Arabie saoudite en
1932, annexion ratifiée par l’accord de
Taëf de 1934. Le Yémen s’oppose à la
reconduction pour vingt ans de cet
accord arrivé à expiration en 1992.
L’expulsion de près d’un million de
travailleurs yéménites d’Arabie saoudite
en 1990 pour l’alignement de Sana‘a sur
l’irakien Saddam Hussein dans son
contentieux territorial avec le Koweït,
a conduit le gouvernement yéménite, dans
l’espoir d’obtenir une aide économique
saoudienne, à mettre une sourdine à ses
revendications territoriales, au grand
dam d’une fraction de l’opinion
yéménite.
Israël et l’Arabie
saoudite sont deux des plus grands
colonisateurs de la planète. Pour
Israël, une colonisation de l’ordre de
20 fois la superficie de la Palestine,
alors que l’Arabie saoudite, sous la
bannière de la firme Ben Laden, la firme
familiale du fondateur d’Al Qaida, se
tournait vers l’Afrique et l’Asie pour
s’assurer des terres arables pour
parvenir à son auto suffisance
alimentaire. Israël, un des plus gros
pollueurs de la planète, est à la tête
des pays qui contrôlent les terres dans
les pays pauvres, avec les États Unis,
la Grande Bretagne et la Chine. Selon
cette étude de « The Journal of the
National Academy of Sciences of the
United States », 90 pour cent de ces
terres se trouvent dans 24 pays situées
pour la plupart en Afrique, en Asie et
en Amérique latine.
L’Arabie saoudite,
elle, a mis sur pied une société
publique pour financer les entreprises
privées du royaume qui achètent des
terres à l’étranger. Elle s’est tournée
vers l’Afrique, en raison de sa
proximité avec le Royaume.
La firme saoudienne
« Haïl Hadco » loue ainsi des milliers
d’hectares au Soudan avec pour objectif
d’en cultiver 40.000, alors que le
groupe Ben Laden, spécialisé dans les
travaux publics, s’est engagé en Asie à
la tête d’un consortium, espérant, à
terme, gérer 500 000 hectares de
rizières en Indonésie, dans le cadre
d’un projet agricole de 1,6 million
d’hectares comprenant la production
d’agro carburant.
Le Yémen, un pays de
perdition dans la terminologie
saoudienne
Le Yémen, dans la
terminologie saoudienne, est désigné par
le terme de « Qaidat Al Hallak », la
base de perdition, un jeu de mot par
référence à Al Qaida qui a fait du Yémen
une de ses plate formes opérationnelles
: un « lieu de débauche » en raison du
nombre de femmes saoudiennes qui ont fui
leur pays pour se rendre au Yémen
participer au Djihad Al Nikah, le
mariage de confort pour le repos du
guerrier.
« La vie et la mort sont deux voies
inconciliables, sauf pour les
saoudiennes qui ont opté pour la fuite
vers le Yémen. Certaines d’être elles
ont fait le choix de la mort au prétexte
du djihad dans la base de dépérissement,
Qaidat al Hallak, qui a fait du Yémen sa
base de combat.
Sous prétexte d’un faux sentiment
d’amour, elles ont franchi la frontière
en compagnie de leurs amants en vue de
contracter mariage au delà des
frontières» (3). Wafa Al Shihri,
pionnière en la matière, est la première
et la plus célèbre des femmes à avoir
emprunté ce chemin. Dénommée Haygar Al
Azédi, elle a mis à profit la fameuse
tempête de sable qui plongé, en 2009,
Riyad, en plein jour, dans l’obscurité
la plus totale, pour s’échapper en
compagnie de la grande dame d’Al Qaida,
Mayla Al Qassir, afin de rejoindre son
époux, Said al Shihri, adjoint au chef
d’Al Qaida au Yémen, tué aux combats en
2013. Elle sera suivie par Wafa Yehya en
compagnie de ses enfants, puis par Arwa
Baghdadi, en compagnie, elle, de ses
enfants, son frère et de sa belle sœur.
Un chemin qu’emprunteront par la suite
May Al Tolq et Amina Al Rached, en
compagnie de six enfants, appâtés pour
leur transfert vers le Yémen par la
perspective du mariage.
Suprême insulte,
les opérations d’exfiltration des
saoudiennes vers le Yémen se sont faites
par l’intermédiaire des non saoudiens,
des nationaux arabes. Ainsi en mars
2013, une étudiante saoudienne
originaire de la région de Khamis Machit,
a été interceptée alors qu’elle
s’apprêtait à se rendre au Yémen, à la
suite à l’arrestation de cinq passeurs
de diverses nationalités arabes, dont le
chauffeur de bus qui la transportait
vers l’université. Le même mois, une
saoudienne a tenté de franchir la
frontière avec le Yémen en compagnie
d’un homme marié qui lui avait promis le
mariage, une fois la frontière franchie,
en dépit de ses liens conjugaux. En
avril 2014, enfin, un yéménite d’âge mûr
a tenté de mettre le grappin sur une
jeune saoudienne de vingt ans, en vue de
la transférer vers le Yémen et
l’affecter aux combattants d’Al Qaida.
L’étouffoir saoudien génère des
fugueuses de tous acabits, tous azimuts
en ce que les voies du Djihad Al Nikah
peuvent emprunter divers chemins aussi
bien vers le nord, la Syrie, que vers le
sud, le Yémen, que vers l’Ouest où la
sœur du prince Walid Ben Talal, Sara
Bint Talal, une princesse de sang royal
a quêté.
Le redéploiement
d’Al Qaida au Yémen, un camouflet à ses
anciens parrains
Al Qaida a procédé à une
décentralisation de son mouvement dans
une démarche symétrique à la nouvelle
doctrine américaine de la furtivité,
conférant une large autonomie aux
commandements régionaux, en application
de la nouvelle stratégie du « combat
disséminé » mise en œuvre avec succès
par le Hezbollah libanais contre Israël,
en 2006.
Depuis la reprise des hostilités à
grande échelle au Yémen, « Al Qaida » a
ainsi procédé à la réunification des
deux branches opérant dans la zone,
l’Arabie saoudite et le Yémen, pour
lancer, en 2008, « Al Qaida pour la
Péninsule arabique », s’attaquant aux
objectifs stratégiques, l’ambassade de
États-Unis, en 2008, et un centre de
sécurité d’Aden où étaient détenus des
membres de son organisation, en juin
2010 en vue de peser sur la pulsion
séparatiste des sudistes yéménites et
contribuer à délégitimer le pouvoir
central.
Al Qaida dispose en
outre d’une filiale strictement
somalienne « les fameux chebab » (les
jeunes), qui se sont signalés à
l’opinion internationale par un raid
meurtrier sur l’Ouganda, le 11 juillet
2010, faisant une soixantaine de morts,
et de deux raids particulièrement
meurtriers contre le Kenya, en 2013 et
2015. Et d’une légendaire branche
maghrébine, faisant la jonction
opérationnelle entre le Monde arabe et
le Monde africain, « Al-Qaida au Maghreb
islamique (AQMI) ».
Résultante d’un processus de
scissiparité, AQMI est la
transformation, en janvier 2007, par
intégration dans le réseau de Ben Laden
du Groupe salafiste algérien pour la
prédication et le combat (GSPC), fondé
lui-même en 1998 par dissidence du
Groupe islamique armé (GIA). Officiant
généralement dans les déserts algérien,
malien, nigérien et mauritanien, Al
Qaida a mis à profit la porosité des
frontières pour étendre son théâtre
d’opérations dans la zone désertique du
Sahel.
L’implication d’Al Qaida dans le conflit
inter yéménite, son environnement
somalien et leur prolongement sahélien a
retenti comme un camouflet à ses anciens
partenaires, l’Arabie saoudite et les
États-Unis, en même temps qu’elle a
souligné la dérision de la stratégie
américaine dans son objectif majeur, «
la guerre mondiale contre le terrorisme
», la mère de toutes les batailles.
Al Qaida au Yémen
est en fait un retour aux fondamentaux
du conflit de légitimité qui oppose le
chef du mouvement à la famille Al Saoud.
Oussama Ben Laden se considère détenteur
d’une légitimité glanée sur les champs
de bataille d’Afghanistan, qui a eu pour
effet de valoriser la position
saoudienne auprès de ses alliés
américains, un rôle que lui dénie la
famille Al-Saoud.
Bénéficiant d’une
audience certaine tant au sein de
l’Islam asiatique (Afghanistan Pakistan)
que de l’Islam africain (Sahel
subsaharien), Oussama Ben Laden a
longtemps souffert d’un handicap majeur
au sein du noyau historique de l’Islam
-le monde arabe- du fait de son passé
d’agents de liaison des Américains dans
la guerre anti soviétique d’Afghanistan
(1980-1990), détournant près de
cinquante mille combattants arabes et
musulmans du champ de bataille
principal, la Palestine, alors que
Yasser Arafat, chef de l’OLP, était
assiégé à Beyrouth par les Israéliens
avec le soutien américain (juin 1982).
S’il peut se targuer d’avoir contribué à
précipiter l’implosion d’un « régime
athée », l’Union soviétique, ses
censeurs lui ont reproché d’avoir privé
de leur principal soutien militaire, les
pays arabes du « Champ de bataille »,
l’Organisation de Libération de la
Palestine (OLP), l’Égypte, la Syrie,
l’Irak, ainsi que l’Algérie, le Sud
Yémen, le Soudan, la Libye et la
Somalie.
Son autorité de ce
fait s’est heurté sur la scène arabe au
charisme d’authentiques dirigeants à la
légitimité avérée aux yeux de larges
factions du monde arabo musulman, Cheikh
Hassan Nasrallah, chef du Hezbollah, le
mouvement chiite libanais, auteur de
deux exploits militaires contre Israël
(2000, 2006), et le Hamas, le mouvement
sunnite palestinien, dont l’incomparable
avantage sur Oussama Ben Laden a résidé
dans le fait qu’ils n’ont jamais
déserté, eux, le combat contre Israël,
l’ennemi principal du monde arabe. Le
mouvement sunnite palestinien a
toutefois pâti de son alignement
sectaire sur les pétromonarchies
sunnites lors de la séquence du «
printemps arabe » désertant ses anciens
compagnons d’armes, tout comme la
branche militaire d’Al Qaida, du fait de
sa connivence avec Israël dans le Golan,
depuis 2014.
La destruction par
ses alliés talibans des Bouddhas de
Bâmiyân (4), dans le centre de
l’Afghanistan, en 2001, en aliénant à
l’Islam près d’un milliard de
bouddhistes, a accentué cette suspicion
à son égard. Cet acte prend d’autant
plus de relief rétrospectivement que les
musulmans font, à leur tour, l’objet
d’une stigmatisation avec le projet d’un
petit groupe intégriste chrétien de
Floride de brûler 200 exemplaires du
Coran, le livre sacré des musulmans,
samedi 11 septembre, date du 9eme
anniversaire des attentats aux
États-Unis.
Oussama Ben Laden
est apparu rétrospectivement comme le
dindon de la farce de l’affaire afghane,
dans sa version anti soviétique, dans la
mesure où elle a abouti a enfoncé
l’allié des pays arabes du champ de
bataille, l’Union soviétique, et a
renforcé le partenaire stratégique
d’Israël, les États-Unis.
Cinquante mille
arabes et musulmans, enrôlés sous la
bannière de l’Islam, sous la houlette
d’Oussama Ben Laden, officier de liaison
des Saoudiens et des Américains,
combattront en Afghanistan l’athéisme
soviétique dans une guerre financée
partiellement par les pétromonarchies du
Golfe à hauteur vingt milliards de
dollars, une somme équivalent au budget
annuel du quart des pays membres de
l’organisation pan arabe (5).
En comparaison, le
Hezbollah libanais avec un nombre de
combattants infiniment moindre, estimé à
deux mille combattants, et un budget
dérisoire par rapport à celui engagé
pour financer les arabes afghans, aura
provoqué des bouleversements
psychologiques et militaires plus
substantiels que la légion islamique
dans le rapport des forces régional.
Le raid du 11
septembre 2001 est ainsi apparu
rétrospectivement comme une mesure de
représailles à cette duplicité en même
temps qu’une tentative d’entraîner les
États-Unis, par la riposte qu’elle ne
manquerait pas de susciter, dans une
guerre d’usure dans le bourbier afghan.
Telle est du moins l’une des
interprétations ayant eu cours dans les
milieux politiques arabes sur les
motivations profondes d’Oussama Ben
Laden sur le choix des objectifs de
l’attentat du 11 septembre 2001.
L’implantation d’Al
Qaida pour la péninsule arabique au
Yémen pourrait avoir un effet
déstabilisateur sur le royaume, qui « ne
sera pas à l’abri d’un effondrement, en
cas de chute du régime yéménite », a
averti le 17 juillet 2010, le ministre
yéménite de l’enseignement supérieur,
Saleh Basserrate, déplorant l’absence de
coopération de l’Arabie dans le
règlement des difficultés économiques du
pays (6).
L’alerte a été
jugée suffisamment sérieuse pour
conduire le Roi Abdallah à engager ses
forces dans les combats du Yémen, à
l’automne 2009, aux côtés des forces
gouvernementales. L’implication d’un
membre de l’entourage familial du Prince
Bandar Ben Sultan, fils du ministre de
la défense et ancien président du
Conseil national de sécurité, dans la
réactivation des sympathisants d’Al
Qaida tant en Syrie qu’au Nord Liban,
dans la région du camp palestinien de
Nahr el Bared, a donné la mesure de
l’infiltration de l’organisation pan
islamiste au sein des cercles dirigeants
saoudiens, en même temps qu’elle
fragilisait le Royaume vis-à-vis de ses
interlocuteurs tant Arabes
qu’Américains.
Cheikh Maher
Hammoud, Mufti sunnite de la Mosquée «
Al Qods » de Saida, (sud Liban), a
ouvertement accusé le Prince Bandar
depuis la chaîne trans-frontière Al
Jazira, samedi 26 juin 2010, d’avoir
financé des troubles au Liban
particulièrement contre les zones
chrétiennes de Beyrouth dans une
opération de diversion, sans que cette
déclaration ne soit démentie ou le
dignitaire poursuivi en justice,
conduisant l’Amérique à déclarer « non
grata » Bandar, l’ancien enfant chéri de
les États-Unis, le « Great Gatsby » de
l’establishment américain.
Fait significatif,
l’un des responsables d’Al-Qaida dans la
péninsule Arabique n’est autre que
l’imam radical Anwar Al-Aulaqi, un homme
que les Américains désignent comme
responsable de la stratégie de
communications d’Al Qaida à destination
du monde anglophone, via le site en
ligne « Inspire ». Yéménite né aux
États-Unis, il a revendiqué comme
disciple l’auteur de l’attentat avorté
du vol Amsterdam Detroit le 25 décembre
2009, illustration symptomatique de la
confusion régnant dans les rapports
entre les États-Unis et le monde
musulman et l’instrumentalisation
américaine de l’Islam dans son combat
contre l’Union soviétique. Il figure
désormais comme objectif prioritaire de
la doctrine Obama.
L’ancrage d’une
organisation essentiellement sunnite,
excroissance du rigorisme wahhabite, sur
le flanc sud de l’Arabie saoudite, porte
la marque d’un défi personnel de Ben
Laden à ses anciens maîtres en ce
qu’elle transporte sur le lieu même de
leur ancienne alliance la querelle de
légitimité qui oppose la monarchie à son
ancien serviteur.
Sur fond d‘épreuves
de force américano-iranien à l’arrière
plan du contentieux nucléaire iranien,
les disciples d’Oussama Ben Laden,
yéménite d’origine, saoudien de
nationalité déchue, ont choisi de livrer
bataille sur la terre des ancêtres du
fondateur de leur mouvement.
De porter, dans
l’ordre symbolique, leur bataille
décisive contre la monarchie saoudienne,
qu’il considère comme un renégat de
l’islam, l’usurpateur saoudien des
provinces yéménites, dans un combat
retourné dont le terme ultime devrait
être le rétablissement de la légitimité
du label d’une organisation en perte de
vitesse au sein du Monde arabe, au
profit du nouveau acteur régional Da’ech,
excroissance pathologique de
l’éradication des assises du pouvoir
sunnite en Irak du fait de l’invasion
américaine de l’ancien capitale de
l’empire abbasside, en 2003.
Références
1- Sur ce lien
Salmane et sa réputation de probité :
2- Cf à ce propos «
Radio Orient, un pavillon de
complaisance dans une zone de non droit
», in Hariri de père en fils, hommes
d’affaires, premiers ministres par René
Naba Harmattan 2011.
3- Sur la fuite des
femmes saoudiennes vers le Yémen :
4- Les Bouddhas de
Bâmiyân étaient deux statues
monumentales de bouddhas debout,
excavées dans la paroi d’une falaise
située dans la vallée de Bâmiyan du
centre de l’Afghanistan, à 230
kilomètres au nord-ouest de Kaboul et à
une altitude de 2.500 mètres. Le site
tout entier est classé au patrimoine
mondial de l’UNESCO. Le « grand Bouddha
» (53 mètres) daterait du Ve siècle, le
« petit Bouddha » de la seconde moitié
du troisième siècle. Les statues ont
aujourd’hui disparu après avoir été
détruites en mars 2001 par les talibans.
5- Mikaël Awad,
politologue égyptien, intervention sur
la chaîne trans-frontière arabe «Al
Jazira» 2 février 2010 émission « al
Itti1jah al Mouakess », le sens
contraire».
6- Cf. « L’appel au
secours du Yémen à l’Arabie saoudite »,
éditorial de Abdel Bari Atwane,
directeur du journal pan arabe « Al Qods
al Arabi » paraissant à Londres, en date
du 17 juillet 2010
Reçu de
René Naba pour publication
Le sommaire de René Naba
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