Cuba
L'avenir est à vous, Comandante
Fidel
Rémy Herrera
Photo: RIA
Novosti
Mercredi 28 décembre 2016
Cuba.
En longs cortèges
silencieux, dans la douleur et le
recueillement, le peuple cubain en deuil
a rendu un ultime hommage, fait de
dignité et d’affection,
à son
Comandante en
Jefe
Fidel Alejandro
Castro Ruz. Figure de légende moderne.
Comme lui, aucun autre.
Avec lui, l’humanité
entière, ou presque. Depuis ce soir du
25 novembre 2016, par millions,
dizaines, sans doute centaines de
millions, des hommes et des femmes ont
témoigné leur respect, leur admiration
pour le leader historique de la
Révolution cubaine. Sur l’île bien sûr,
et plus loin. Partout dans le monde.
En Chine, où l’on sait les
efforts que déploya Cuba pour préserver
l’éphémère
unité d’un front commun des
pays socialistes avant le schisme
sino-soviétique ; et qu’elle fut la
première des nations d’Amérique à
reconnaître la République populaire, son
aînée de dix ans, colossale à côté.
En Inde où, depuis un
abrazo, l’accolade
à Nehru, sa popularité est
devenue immense. Et que dire de Java,
jadis saignée à blanc pour extraire
l’écarlate, tout juste après
Bandung, après
qu’il eut reçu le kriss
de l’amitié des mains de
Sukarno ? Le Viêt-nam se souvient des
milliers de Cubains s’étant portés
volontaires pour combattre avec Hô Chi
Minh qui fit le choix, afin de se
libérer seul et fortifier sa propre
révolution, de n’accepter que les civils
venus soutenir le Viêt Minh. Au Laos,
qu’aida aussi Cuba, tandis qu’un Bob
McNamara civilisait la rive gauche du Mékong,
en déversant napalm, défoliant,
agent orange. Impérialisme
et droits de l’homme en même temps, le
bel exploit ! Trop forts ces
« Ricains » : le flingot sur la hanche,
ils font croire ce qu’ils veulent,
foutent en l’air un pays et voudraient
qu’on
acquiesce !
Sur le continent africain, plein de sagesse et de reconnaissance, que
Fidel aimait tant, comme on aime un
aïeul un instant retrouvé dans le
sourire de ses enfants. À Banjul, où les
murs du système de santé ne tiennent
debout que grâce à lui. Au plus profond
du Burkina Faso, terre dioula honneur
moré, où l’esprit du Cubain a désormais
rejoint celui qu’on invoque à nouveau,
Thom’Sank. Re-soufflera
bientôt. À Asmara, où ses
portraits barbus ornent maintes maisons
depuis que Cuba, pourtant appui de
l’Éthiopie, reconnut à
la rouge
Érythrée
le droit à l’auto-détermination, lorsque
l’une et l’autre étaient socialistes.
Roue crantée et
machete
croisées d’Angola,
soleil à douze branches de
Namibie, montez haut, brillez, un monde
vous contemple ! Dans toutes les
mémoires, Fidel est là. Vivant. Bissau,
Bafatá de Cabral, Kasaï lumumbiste,
forêts obscures du Kivu. Tanzanie du
Mwalinu, Ghana de l’Osagyefo.
Afrique australe, « ligne de front »,
de l’anti-apartheid, dans
chaque tête il se tient aux côtés de son
ami, son frère, son camarade, Nelson
Mandela. Fidel fait redresser la tête,
bomber le torse, lever le poing. Deux
syllabes et deux autres, un ¡Viva!,
deux points d’exclamation, qui rendent
plus forts, ou moins seuls, les gosses
errants des slums boueux de
Monrovia ou de Freetown. Ce sont les
siens, d’une île minuscule, qui pansent
les plaies des oubliés. En première
ligne, sans peur, mais larmes dans les
yeux, Cuba si loin. Ce sont ses fils,
ses filles, qui enseignent aux rebuts du
capitalisme que même contraints de
survivre en animaux sur des tas
d’immondices ou sous des caveaux de
cimetière, tous ont des droits, des
droits égaux, qui leur apprennent qu’on
reste humain jusque dans des taudis de
misère. Fidel. Dans sa voix se tenait la
colère, tonnait l’indomptable révolte
contre ce monde-là.
Et l’univers arabo-musulman. Des femmes kashmiri connaissent ce
prénom, avec celui de la jeune
doctora qui vint porter secours aux
pieds de la demeure des neiges,
Himalaya, quand trembla Muzaffarabad. À
Alger, hier Mecque des révolutionnaires,
endeuillée huit longues journées, juste
une de moins qu’en son pays natal. Le
temps d’une guerre, jusqu’à la liberté,
moudjahidine, des orphelins furent
recueillis là-bas. Fidel veilla sur eux.
Ils sont tous bien rentrés, au bras de
Ben Bella. Et voilà qu’à presque cent
ans, en survêtement de fennec, lui aussi
chanta one, two,
three !
Au Caire, par où il passa voir le maître
de Suez, Gamal Abdel Nasser. La
Palestine, Cuba la porte au cœur. Toutes
les deux savent ce que donner veut dire
quand on a peu, si peu pour soi. L’île
se rappelle : la main tendue de Yasser
Arafat, l’entraide, quand les temps
devinrent durs, quand l’ordinaire vint à
manquer après
la chute, à l’Est,
de l’un des socialismes. En
Syrie également, où les pentes du Golan
furent un temps défendues par des
Cubains en armes qui arrêtèrent la
marche sûre de Tsahal vers Damas. Israël
n’oublie pas non plus, mais pour mieux
suivre, hélas, comme un seul homme, le
tyran qui impose un crime à toute l’humanité.
Blocus. Honte à vous, États-honnis
d’Amérique !
Au Sud, l’Amérique qu’on dit latine, avec son arc caribéen. Elle qui
s’est rebellée pour que Cuba ne soit pas
l’exception. Elle qui s’est débattue et
qui s’est mise debout. Elle qu’on veut
remettre à genou. Plus politisée et
lucide qu’ailleurs, grâce aux leçons de
Fidel, à l’exemple du Che et des
héros tombés.
Là où pour ainsi dire, la cruauté des
riches, leur violence sans pitié, leur
haine écumeuse s’aperçoivent à l’œil nu,
comme la lutte des classes. L’émotion,
la ferveur, la détermination sont ici,
surtout. À fleur de peau. L’adhésion
à Fidel se dit tout haut,
se crie. Guatemala meurtri et Paraguay
martyr, Bolivie insoumise, Colombie
guerrillera. Et
Venezuela, plus que jamais bolivarien,
le premier à les avoir reconnus lui et
son Ejercito
rebelde,
où naquit une petite sœur, hermanita
Chavista,
nueva
Caravana de la Libertad.
Mexique, qui ne coupa jamais les ponts.
Haïti de Toussaint. Fidel serait né
brésilien, l’hémisphère aurait basculé.
Ailleurs, au-delà du plus lointain des horizons imaginables, son
aura, encore. Jusqu’à ces points perdus
d’Océanie, Fidji, Salomon, Tonga, éclats
de terre éparpillés
aux limites bleutées du planisphère,
Kiribati, Vanuatu, Tuvalu, Nauru.
Jusqu’aux
Highlands papouasiens,
silhouettes inquiétantes, plus noires de
peau qu’en Guinée,
masquées, os dans le nez, et restées
cannibales assure le dépliant en quête
de frissons, de sous-développement
garanti, résidu d’un autre âge.
Jusque-là sont allés les soins dont a
rêvé Fidel. Alors qu’on ne parvient pas
même à les voir prodiguer aux plus
nécessiteux du « modèle du monde » – autre
embargo des Yankis,
guerre insidieuse contre leurs pauvres à
eux. Cuba a proposé, mais en vain, de
mettre à leur disposition ses brigades
de médecins pour agir et soigner dans
les quadrilatères
décrépis de Harlem – plus
décrépis que les façades pastel et
colorées de
l’Habana Vieja,
c’est dire.
En Ukraine même, les familles, les proches des enfants de Tchernobyl
disposent de preuves matérielles : Cuba
en accueillit près
de 20 000. Gratuitement,
cela va sans dire, mais mieux vaut le
dire. Y compris quand le régime
ukrainien vota le maintien du blocus,
par anti-communisme, ressemblant trait
pour trait à l’ancien qui lors de
Barbarossa se réjouit un peu vite de
voir Kiev encerclée.
Cuba prolongea son hospitalité
aux enfants irradiés. Les soigna, les
guérit. Ainsi se conduisit la Cuba de
Fidel. Ne séduirait-elle pas ? Jusqu’à
l’Est ?
Jusqu’au Nord ? Un Nord qui a tôt fait
d’oublier un Sven Olof Palme, et
l’honneur sauvé. Ce Nord « injuste et
plein de convoitises, qui se ferme et se
remplit de haines », comme
l’écrivait déjà un héros, Martí,
illustre prédécesseur qui
inspira Fidel.
Aujourd’hui, ce sont les forces les plus honnêtes, progressistes,
nombreuses, qui se rejoignent et
remercient Fidel pour ce qu’il a
laissé : la défense de l’humanité.
Les révolutionnaires de la planète
serrent les rangs autour de lui et
réaffirment qu’ils lutteront,
continueront la lutte, épaule contre
épaule. Au cours des siècles, rares,
fort rares ont été les hommes d’État qui
à ce point pénétrèrent les cœurs,
comprirent que les peuples sont seuls
sujets à transformer l’histoire, qui
formèrent les consciences, infléchirent
les idées,
influencèrent ainsi le fil
des événements. Robespierre, Lénine ou
Mao. Telle est sa mesure. Voilà sa
grandeur. Fidel est de cette taille.
Et Cuba si petite, avec son sémaphore planté dessus, luz qui
porte par delà toutes les mers. Grâce à
lui, on y partagea le repas, le logis et
le livre. Quand l’Est lâcha prise, on
partagea encore. Quand l’Ouest sauta à
la gorge, pour étrangler, pour tuer, on
partagea ce qui restait. Presque rien.
Tous connurent la faim, mais aucun ne
mourut. On partagea la dignité,
la sérénité du juste, la
souffrance des manques. Fierté de
résister. Pour nous prouver à tous que
l’on peut résister. Presque tout.
Fidel : « Il fallait forger la
conviction et tenir la promesse de
résister, de lutter et de vaincre, quand
bien même il nous aurait fallu nous
retrouver seuls. Nous ne pouvions pas
nous rendre. Cela n’aurait pas été digne
de l’histoire de ce pays, de nos
ancêtres. Il s’agit
d’une lutte, et dans la
lutte, l’essentiel, c’est le peuple, qui
surprend tout le monde par ses vertus.
Nous étions ouverts à toutes les
possibilités, à l’exception de celle de
renoncer au socialisme, à l’unité, au
pouvoir du peuple, aux conquêtes
de la Révolution, à
l’exception de celle d’accepter que
d’autres soient maîtres de notre
destinée. Nous avions fait notre choix
depuis longtemps : le socialisme ou la
mort ! ».
La Cuba de Fidel garda le feu en vie. Dix ans durant, toute seule,
comme une grande, quand un bloc retomba
en arrière. Elle éclaira la nuit, nuit
de la réaction, tel un Octobre rouge.
Avant que d’autres viennent reprendre le
flambeau, Indiecitos,
mulaticos,
tous Bolivarianos. Fidel fut à la
hauteur de son peuple. De sa loyauté, sa
droiture, sa générosité.
La combattivité de ce
peuple cubain qui, plus longtemps
qu’aucun autre, peut-être plus qu’un
autre, apporta un soutien, inlassable,
inébranlable, à sa révolution, à cette
génération d’exception, née
de la guérilla, inflexible
et intègre, accompagnant pendant six
décennies son Commandant en chef.
Lider maximo,
qui eut tant de pouvoir. Lui-même s’en
inquiéta, tant de pouvoir. Il ne le
chercha pas pourtant, il ne l’arracha
pas. Tous vinrent à lui, d’Holguín,
de Santiago, Santa Clara, Camagüey,
Plaza de
la Revolución,
pour lui remettre, consentir, lui
confier, et surtout l’exercer. Parce que
c’était lui. Incomparable,
incontestable. Même les saints le
protégèrent en syncrétisme métissé,
santeria
Ocha religion Yorúba, Palo
Monte regla
Conga,
la société Abakuá, et Arará.
Obbatalá Santísimo,
Mbumba de la Charité,
Changó Santa Bárbara
Yoasi, et Yemayá, ils
firent aussi la traversée des déportés,
presque un million, on les pleure si
peu, depuis les pontons de la côte des
Dents, du golfe du Bénin, du Biafra, de
Loango, Gabinde, Mayumba, du Mozambique.
Elugo, Fanti, Ganga, Yolof ou Mani, ils
venaient de là-bas. Oublierait-on ceux
de Canton et le delta des Perles, emmenés
enchaînés sur les mêmes
bateaux ? Des rois, des papes ont pu
voir ça. Un peuple exigea Martí et Marx
réunis. C’était Fidel qu’il fallait.
Sans leurs volontarismes, les deux
entremêlés par des liens si intimes, dévotions
réciproques, où en
serait-elle donc cette belle
Révolution ? Ceux qui traitent Fidel,
quand ils connaissent l’île, de « dictateur
brutal, cruel », sanguinaire, savent
qu’ils mentent, qu’ils se mentent à
eux-mêmes,
qu’ils sont des hypocrites.
Qu’ils cherchent à nous trumper.
L’insulte n’y fera rien, le crachat ne touche pas. Fidel avait
choisi le camp des opprimés, celui des
actes conséquents, cohérents, courageux,
constamment du coté des
humildes,
de la canaille, pour espérer, et croire
encore en l’être humain. Qu’on peut en
tirer quelque chose. Écoutons
Neruda : « ses mots en
actions, ses faits qui chantent ».
Il nationalisa la terre et la distribua.
Cette Reforma agraria, Benny
la célébra.
Guajiros,
laissons parler le poète, Guillén : « il
souleva la glèbe, jusqu’au myrte, au
laurier ». Puis il socialisa moyens
de production, outils industriels,
raffineries de pétrole, les remettant
enfin dans les mains du travail. Il
plaça même la banque sous contrôle
de l’État. Et l’État sous
celui du Parti. Et ce Parti lui-même au
service d’idéaux : pour le peuple,
santé, éducation, lumière, et la
sécurité, tout dans la gratuité.
Mit fin à la ségrégation,
au sexisme, au crime organisé, dans un
pays pourtant ossifié de longue date,
maltraité, quatre
siècles d’esclavage,
prostitué plus de six
décennies par des gringos avides
qui nous l’avaient pourri, Chicago des
tropiques. Fidel apprit aux riches les
bonnes manières, eux qui n’en avaient
cure. À leurs fréquentations si
mauvaises, il enseigna aussi à
bien se comporter,
à vivre en société. Ou
alors à partir. Ils déguerpirent,
débarrassant le sol de tous les
exploiteurs. C’est pour cela que Fidel
était fait.
Para nuestra Cuba,
Cuba Socialista, patrie universelle.
Ses critiques, les maîtres de la bourse, ont dû se rendre compte,
arithmétique élémentaire, que nous
sommes le nombre, écrasant, massif, la
vraie majorité, celle des peuples. Cuba
aime Fidel, et très profondément. Et le
monde avec elle, que cela plaise ou non.
De quoi avons-nous peur ? Est-ce si
difficile de dire ce que l’on
est ? De quoi aurions-nous
honte, d’aimer
tant nos héros ? L’humanité
arrive à la rescousse.
Toute l’humanité.
Ou presque, disions-nous. Les autres, en
leur for intérieur, n’ignorent pas que
si ce monde doit changer, bien
nécessairement, si l’on marche en effet
vers un mieux et non pas le chaos, alors
oui c’est sûr, c’est tout entier que le
futur lui appartient. Comandante
Fidel, l’avenir est à vous !
Rémy
Herrera (chercheur au
CNRS)
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