Vu du Droit
Pôle sud, Pôle nord,
l’ambassadrice ne manque pas d’air
Régis de Castelnau
Jeudi 21 novembre 2019
Atlantico m’a demandé ce que je
pensais de la défense présentée par
Ségolène Royal pour justifier
l’utilisation d’un personnel payé par le
ministère des affaires étrangères
(c’est-à-dire par nous) pour accomplir
des missions qui n’ont rien à voir avec
les pôles (Nord et Sud). Tout en
respectant scrupuleusement la
présomption d’innocence à laquelle je
tiens comme à la prunelle de mes yeux,
j’ai prudemment répondu que
l’ambassadrice se moquait du monde.
On trouvera
ci-dessous mes réponses et on peut aller
aussi
les consulter sur le site d’Atlantico.
Régis de Castelnau
STRATÉGIE DE
DÉFENSE
Ségolène Royal
pourra-t-elle échapper à une saisine du
Parquet national financier ?
Selon France Inter,
Ségolène Royal aurait détourné les
missions de ses collaborateurs délégués
par le Quai d’Orsay lors de sa mission
d’Ambassadeur des Pôles. Elle a tenu à
se défendre et a notamment critiqué le
comportement « inquisiteur » des médias.
Atlantico.fr : Le
Samedi 16 Novembre, la cellule
investigation de France Inter avançait
que Ségolène Royal aurait détourné à son
profit personnel les missions de ses
collaborateurs délégués par le Quai
d’Orsay dans le cadre de sa charge
d’Ambassadeur des Pôles. Elle se
défendait en dénonçant le comportement
« inquisiteur » des médias à son
encontre. Selon elle, elle aurait bien
utilisé ses collaborateurs à des fins
personnelles mais en dehors de leurs
heures de travail.
Ségolène Royal
prétend que ses collaborateurs l’ont
accompagnée sur des projets personnels
en dehors de leurs heures de travail.
Quel est votre sentiment quant à la
qualité des arguments de Ségolène Royal
pour sa défense ?
Régis de Castelnau
: Comme d’habitude avec Ségolène Royal,
celle-ci accuse immédiatement ses
interlocuteurs dès lors qu’ils lui
posent des questions gênantes. On
connaît bien sa formule : « est-ce que
vous me poseriez la même question si
j’étais un homme ? » Cette fois-ci elle
refuse en partie de répondre au prétexte
que les questions seraient «
diffamatoires et inquisitoriales ». L’enquête
du service investigation de France Inter
a été faite sérieusement semble-t-il.
Et l’affirmation que les collaborateurs
mis à sa disposition par le ministère
des affaires étrangères l’assistaient
pour ses affaires privées sur leur temps
libre est risible. Pour deux raisons.
Une raison technique tout d’abord, car
comment prétendre que les activités qui
se passent aux quatre coins de la
France, voire du monde et qui mobilisent
les collaborateurs pendant plusieurs
jours consécutifs puissent être
effectuées en dehors du plein temps au
service exclusif de « l’ambassadrice des
pôles » ? Il faut faire preuve d’un
sacré culot ce qui est quand même une
des caractéristiques de Ségolène Royal.
La deuxième raison ensuite est le
rapport très particulier qu’elle
entretient avec les fonds publics. On
peut constater que dans sa carrière ce
n’est pas la première fois que l’on se
pose des questions, même si ce n’est pas
une preuve de culpabilité. Mais il est
indéniable qu’elle a toujours fait
preuve d’une grande désinvolture dans la
gestion des fonds publics. Pour sa
présidence de la région
Poitou-Charentes, elle
a fait l’objet de rapports d’observation
assassins de la Chambre Régionale
des Comptes sur la façon dont elle
s’était servie des finances de la
collectivité. La critique principale
portait sur l’intérêt régional de
certaines dépenses, que la juridiction
considérait comme plutôt destinées à la
carrière personnelle de la présidente.
Comme d’habitude elle a rejeté ces
conclusions et accusé son successeur qui
s’en plaignait de machisme.
Et puis il y a eu
l’épisode invraisemblable de l’abandon
du projet écotaxe. Pour des raisons
d’étroite tactique politicienne elle a
mis fin à un dispositif utile, dans des
conditions qui ont représenté un
coût exorbitant de près de 10 milliards
d’euros pour les finances publiques..
Comme disait son ex-compagnon alors
président de la république : « ça ne
coûte rien, c’est l’État qui paye !»
Ségolène Royal
n’est pas crédible lorsqu’elle prétend
que ses collaborateurs payés par le Quai
d’Orsay travaillaient pour elle sur
leurs RTT.
On peut être
surpris par la passivité du PNF dans
cette affaire, qui aurait probablement
bondi si une autre personnalité
politique avait été mise en cause, comme
Jean-Luc Mélenchon ou Marine Le Pen.
Diriez-vous que notre système judiciaire
est à deux vitesses, en fonction du
degré de proximité du pouvoir ? En quoi
cette affaire le révèle ?
Régis de Castelnau
: Il n’y a pas lieu d’être surpris, le
PNF a une conception très sélective de
son rôle. À plusieurs reprises ses
interventions ont laissé quand même une
drôle d’impression. Une grande
mansuétude voire un refus de se saisir
pour des affaires pourtant préoccupantes
concernant des proches du pouvoir. Que
ce soit pendant la présidence de
François Hollande ou celle d’Emmanuel
Macron. On peut en effet s’interroger
sur ce que sont devenues les affaires
Arif, Le Roux, ou assistants
parlementaires du MoDem, pour ne prendre
que ces exemples. François Fillon,
Marine Le Pen, Jean-Luc Mélenchon ont eu
droit à des traitements rapides,
vigoureux et spectaculaires et il est
peu probable que Ségolène Royal,
propulsée dans ce placard doré par la
bienveillance d’Emmanuel Macron ait
beaucoup de souci à se faire. Mais nous
ne sommes pas à l’abri d’une heureuse
surprise…
Les soupçons de
« relations incestueuses » entre justice
et médias sont courants. Etant données
les caractéristiques de cette affaire,
n’apparaît-il pas que le problème vient
surtout de la partialité de la justice
sans complicité de la presse ?
Régis de Castelnau
: Le couple « médias/Justice » traverse,
c’est vrai, une phase un peu compliquée.
Ces deux « pouvoirs » se sont en effet
mariés il y a une trentaine d’années,
alliance qui leur a permis de mettre la
classe politique en difficulté. Pour les
médias il s’agissait de booster les
diffusions. Pour les magistrats,
d’affirmer leur autonomie et de faire
ainsi pression sur les pouvoirs
législatifs et exécutifs. Le problème a
commencé à évoluer avec l’arrivée au
pouvoir de François Hollande. Son
prédécesseur avait fait l’objet d’un
acharnement médiatico-judiciaire
particulièrement salé, et sur
l’impartialité duquel il y avait
beaucoup à dire. En revanche François
Hollande et aujourd’hui Emmanuel Macron,
ont vu leurs entourages préservés et
leurs adversaires malmenés. Les médias
ont été contraints de relever les
évidences. Il y a eu ensuite l’épisode
gilets jaune ou l’appareil judiciaire a
accepté d’abandonner sa mission de
justice pour celle de maitien de l’ordre
en déployant une répression de masse
sans précédent depuis la guerre
d’Algérie. Avec des méthodes prenant
souvent de grandes libertés avec la
rigueur juridique, et en assurant
jusqu’à présent aux violences policières
une impunité préoccupante. Devant ces
évidences, les médias ont pris leurs
distances, il suffit de voir le ton très
gêné des articles publiés par les
journaux pourtant extrêmement favorables
à Emmanuel Macron. Je ne sais pas si
nous allons vers le divorce, mais il est
clair qu’actuellement le couple bat de
l’aile. Et ce n’est pas une mauvaise
nouvelle pour la démocratie.
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