Vu du Droit
Affaire Benalla et les autres :
qui viole la séparation des pouvoirs ?
Régis de Castelnau
Jeudi 21 février 2019
Le Sénat de la république en application
de l’article 24 de la constitution
française, a accompli la mission que ce
texte lui confie. C’est dans ces
conditions que s’est déroulée la
commission d’enquête sur ce que l’on va
appeler par commodité : « l’affaire
Benalla ». L’invraisemblable feuilleton
qui continue de se dérouler, avec
notamment récemment l’incarcération de
Benalla et de son compagnon de dérive,
montre à quel point cette commission
était indispensable. On savait déjà
depuis un moment que l’Assemblée
nationale complètement caporalisée par
le pouvoir exécutif ne pouvait plus être
considérée comme capable de remplir ses
missions. La pantalonnade de la
commission parlementaire de l’Assemblée
nationale sur le même thème démontre
suffisamment l’importance du Sénat
qui actuellement apparaît comme la seule
institution de la république susceptible
de défendre la démocratie. La justice
complètement instrumentalisée par le
pouvoir exécutif ne dispose plus ni de
la légitimité ni de la confiance
populaire nécessaire.
Les membres éminents du pouvoir
exécutif, arc-boutés, dans cette volonté
de protéger une bande de voyous ont
réagi au rapport de la commission
d’enquête du Sénat. Ces réactions
hallucinantes démontrent l’importance
des dangers d’un pouvoir décidé à violer
les règles républicaines et les libertés
fondamentales pour se maintenir.
J’ai répondu à
chaud aux premières questions posées par
le média Atlantico. Je le reproduis
ci-dessus. Ainsi que le lien permettant
d’accéder à l’original.
Régis de
Castelnau
La commission d’enquête
du Sénat a signalé des
« dysfonctionnements majeurs » au sommet
de l’Etat.
Atlantico: Au
delà du souffle médiatique, quelles
pourraient être les conséquences
judiciaires de la situation ? Derrière
Alexandre Benalla et Vincent Crase, que
risque l’Elysée ?
Régis de
Castelnau : Au plan judiciaire, protégé
par son immunité constitutionnelle, le
Président de la République ne risque
rien. Il le sait si bien puisqu’il avait
lancé sa bravade ridicule du mois de
juillet dernier lors de la rencontre
avec les seuls parlementaires LREM à la
maison de l’Amérique latine.
Revendiquant l’embauche et la protection
d’Alexandre Benalla il avait lancé le
fameux « qu’ils viennent me chercher
! », Que l’on peut traduire en français
courant « allez vous faire voir, j’ai
mon immunité pénale, et je ne risque
rien ». Au plan politique c’est une
autre histoire, et on peut considérer
que l’explosion des gilets jaunes a
aussi pour cause l’exécration que
rencontre ce personnage que beaucoup
considèrent désormais comme tout à fait
indigne de la fonction qu’il occupe.
En revanche, il
apparaît très clairement que la
présidence de la république dans son
ensemble est considérablement affectée
par ce que révèle le rapport de la
commission sénatoriale, mais également
par tout ce qui s’est produit depuis le
déclenchement du scandale au mois de
juillet de l’année dernière. Ainsi, nous
apprenons qu’au plus haut niveau de
l’État des gens qu’il n’est pas abusif
de considérer comme des voyous,
disposent d’avantages et de pouvoirs
mettant en cause l’intégrité de
l’institution, et bénéficient de
protections fournies par des hauts
fonctionnaires d’État qui acceptent sans
barguigner de se comporter parfois comme
des nervis. Au-delà des parjures imputés
à Alexandre Benalla et son compère
Vincent Crase on apprend avec
stupéfaction que des hauts
fonctionnaires n’auraient pas hésité à
emprunter le même chemin. Secrétaire
général de l’Élysée, directeur de
cabinet du président de la république,
et général de gendarmerie chargé de la
sécurité du président, excusez du peu.
Deux observations
concernant la présidence d’Emmanuel
Macron peuvent être faites aujourd’hui :
-
tout d’abord les conditions de son
élection, où le droit électoral
garant de la sincérité d’un scrutin
a été allègrement violé, en
particulier sur le financement de la
campagne, le rôle de la presse et
les manœuvres judiciaires et
médiatiques visant à décrédibiliser
la candidature de François Fillon.
L’arrivée à la magistrature suprême
d’un candidat sans expérience
parfaitement inconnu quelques
semaines auparavant, et
manifestement choisi et soutenu par
l’oligarchie financière et la haute
fonction publique d’État ne pouvait
générer dès le départ, qu’une
légitimité politique très faible.
-
Ensuite les comportements d’Emmanuel
Macron, ses inconséquences et le
mépris affiché en permanence à
l’encontre de la France d’en bas ont
contribué à faire voler en éclats le
peu d’autorité dont il pouvait
bénéficier dans la grande masse de
la population. L’affaire Benalla et
les ahurissantes pratiques qu’elle a
révélées dans le fonctionnement du
petit groupe présent à l’Élysée a
achevé de le déconsidérer. Toutes
les études d’opinion démontrent que
ses éventuelles « remontées » dans
les sondages ne sont que le fruit du
retour d’une partie des électeurs de
François Fillon apeurés par la
révolte populaire. Le soutien d’une
grande majorité de Français au
mouvement des gilets jaunes reste
lui, étonnamment élevé.
C’est cette
faiblesse politique directe, face à un
mouvement qui ne voit de solution qu’en
son départ, qui a amené Emmanuel Macron
à choisir la répression policière et
judiciaire massive. Accompagné d’une
stratégie législative de mise en cause
drastique des libertés publiques. La
vraie question est de savoir désormais
si la France et ses institutions sont
disposées à accepter de pareilles
dérives, dont la lecture de la presse
internationale permet de constater à
quel point elles provoquent la
stupéfaction.
Quelles
pourraient être les conséquences
« logiques », du point de vue
judiciaire, des conclusions du rapport
du Sénat ? Comment prendre la mesure du
role qui attend les magistrats ?
Régis de Castelnau:
Il est difficile de prévoir quel sera le
comportement du parquet, saisi des
informations et des conclusions de la
commission sénatoriale. À Paris il est
dirigé depuis le départ de François
Molins par un candidat choisi
directement par Emmanuel Macron après
une manipulation de la procédure.
François Molins avait manifesté une
surprenante mansuétude vis-à-vis de
l’entourage d’Emmanuel Macron, et
Alexandre Benalla lui-même faisant
disparaître son coffre, Muriel Pénicaud,
Richard Ferrand, François Bayrou, Ismaël
Emelien et quelques autres n’avaient
vraiment pas à s’en plaindre. Son
successeur fait mieux, car aussi
soucieux que son prédécesseur de ne pas
faire de peine au pouvoir, il a
également témoigné d’un zèle
impressionnant et souvent illégal dans
la répression policière et judiciaire de
masse contre les gilets jaunes. C’est la
raison pour laquelle il est difficile de
prévoir ce qu’il va faire de cette
nouvelle patate chaude. Autorité de
poursuite, c’est lui qui a l’initiative
d’ouvrir une enquête préliminaire dont
il y a tout lieu de penser, par
extraordinaire il le faisait, qu’elle ne
devrait guère être préoccupante pour les
personnes mises en cause par le rapport.
Le dossier pourrait rejoindre dans un
placard celui des emplois fictifs du
MoDem. Le Canard enchaîné sans être
démenti nous a informé qu’effectivement,
sur demande d’Emmanuel Macron le parquet
de Paris n’a procédé à aucune
investigation. On peut craindre que le
rapport du Sénat subisse le même sort.
Le procureur pourrait aussi, dans
l’intérêt de l’institution judiciaire
redorant ainsi un peu son blason terni,
demander immédiatement l’ouverture d’une
« information judiciaire » confiée à un
juge d’instruction lui-même magistrat du
siège et donc en théorie indépendant.
Allez savoir pourquoi, j’ai quelques
doutes sur l’utilisation de cette
faculté. Mais je serai le premier à la
saluer.
Je crois aussi qu’à
ce stade il est important de fournir une
petite précision concernant
l’incarcération des duettistes du 1er
mai, et de beaucoup d’autres choses.
Alexandre Benalla et Vincent Crase,
avaient été mis en examen et leur avait
été imposé un contrôle judiciaire qui
leur interdisait de se rencontrer pour
éviter le risque de concertation entre
deux personnes contre lesquelles
existaient des indices graves et
concordants d’avoir commis une jolie
brochette d’infractions graves. La
violation d’une telle interdiction est
d’extrêmement grave. D’abord c’est la
violation d’un engagement solennel pris
devant les magistrats, ensuite et quasi
mécaniquement cette violation ne peut
qu’être suivie de l’incarcération.
Celle-ci n’est pas une sanction, c’est
une mesure pratique pour justement
empêcher la concertation. On notera
simplement qu’à partir de l’information
donnée par Mediapart de cette rencontre,
il a quand même fallu près de quatre
semaines pour que la mesure soit prise
alors qu’en bonne logique elle aurait dû
l’être dès le lendemain. On notera aussi
que ladite rencontre a eu lieu dans
l’appartement d’une fonctionnaire membre
du cabinet du premier ministre et chargé
de sa sécurité, elle-même compagne d’un
agent rattaché à l’Élysée dont on dit
qu’il est très proche d’Alexandre
Benalla et que c’est lui qui aurait «
exfiltré » le fameux coffre. On a envie
de dire, « n’en jetez plus… ».
Le porte-parole
du gouvernement, Benjamin Griveaux a
déclaré à cette occasion « Je trouve
curieux que les assemblées aient à se
prononcer sur l’organisation du pouvoir
exécutif ». Dans quelle mesure l’affaire
Benalla est-elle en train – ou non – de
révéler les failles françaises de la
séparation des pouvoirs?
Régis de Castelnau
: Ce que l’affaire Benalla révèle des
failles françaises de la séparation des
pouvoirs, c’est essentiellement
l’instrumentalisation de la justice par
l’exécutif à l’occasion de la crise des
Gilets Jaunes. Le président de la
république a choisi non pas le maintien
de l’ordre mais la répression et de ce
point de vue, son message de nouvel an
était clair. L’appareil judiciaire
cravaché par Madame Belloubet a
immédiatement obéi aux ordres quand il
n’a pas été au-devant. La confiance des
Français dans la magistrature déjà pas
bien fameuse, sortira très abîmée par
cette séquence et malheureusement pour
longtemps.
Benjamin Griveaux
appartient à ce type de personnage que
l’on voit graviter dans le système
Macron et dont on se demande comment il
est possible que des gens qui ont en
charge le plus haut niveau de l’État
acceptent de les côtoyer. Christophe
Castaner, Aurore Bergé, Marlène Schiappa,
sont quand même les incarnations d’une
nullité politique assez avilissante,
capables qu’ils sont de proférer les
pires niaiseries avec un aplomb jamais
démenti. Mais le plus grave c’est leur
absence de la moindre culture
républicaine et démocratique.
À Benjamin Griveaux
ministre de la République française, qui
a reconnu n’avoir pas lu le rapport
avant de lâcher son obscénité, on se
contentera de rappeler l’article 24 de
la Constitution de ladite République : «
Le Parlement vote la loi. Il contrôle
l’action du Gouvernement. Il évalue les
politiques publiques. Il comprend
l’Assemblée nationale et le Sénat. »
Ce qu’on peut
trouver vraiment curieux en revanche
c’est qu’un tel personnage ait pu
accéder à un tel poste.
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