Vu du Droit
Didier Lallement : mépris des gens,
mépris des lois
Régis de Castelnau
Mardi 19 novembre 2019
Un garde chiourme sans état d’âme
L’aveu du préfet de
police de Paris Didier Lallement filmé
le 16 novembre a un énorme mérite,
révéler la vérité d’un moment politique
dans tous ses aspects. Répondant à une
dame pacifique lui disant être gilet
jaune, il ne va pas hésiter, lui le haut
fonctionnaire qui devrait observer une
neutralité républicaine, à proférer
cette phrase de guerre civile : «
nous ne sommes pas dans le même camp
Madame ». Le tout en déployant une
démarche chaloupée dont il doit penser
qu’elle pose son homme, alors qu’elle
est encore plus ridicule que
celle d’Aldo Maccione qui lui avait
le mérite de vouloir nous faire rire.
Didier Lallement n’est pas là pour nous
faire rire, il est là pour réprimer,
pour intimider, et empêcher l’usage de
la liberté constitutionnelle de
manifestation. À ceux qu’Emmanuel Macron
lui a désignés comme ennemis : « la
foule haineuse ». Une petite visite sur
YouTube permet de trouver un florilège
de ses différentes interventions où
alternent, déclarations martiales, coups
de menton et rodomontades. Le préfet de
police de Paris dont le prédécesseur
débarqué avait été jugé trop respectueux
des libertés publiques, y fait preuve
d’une certaine franchise : il est là
pour cogner. Rejoignant ainsi la cohorte
d’aventuriers politiques ou
d’aventuriers tout court qui entourent
Macron et qui proviennent
quasi-systématiquement du PS. Castaner,
Ferrand, Belloubet, Le Drian, Griveaux,
Benalla, Taché, Kholer, Emelien, Strzoda,
Ndiaye, Guillaume, etc… etc… sont
maintenant flanqués d’un garde-chiourme
sans état d’âme.
Concernant les
manifestations parisiennes du 16
novembre, commémoratives du premier
anniversaire du déclenchement du
mouvement social des gilets jaunes,
il faut écouter la conférence de presse
du préfet de police de Paris donnée
le samedi après-midi pendant le
déroulement des événements de la place
d’Italie. On a d’abord un petit aperçu
de la façon dont il conçoit le rôle de
préfet de la république chargée du
maintien de l’ordre. À 5’20’’ où on
l’entend répondre de façon provocatrice
à un slogan classique des gilets jaunes
: « On est là, on est là ! Même si
Macron ne le veut pas, nous on est là !
». « Nous aussi nous sommes là, et nous
serons toujours là » lance-t-il,
confirmant ainsi sa conviction du
nécessaire affrontement avec une partie
du peuple français.
Une journée
particulière
Il est nécessaire
de revenir un peu en détail sur le
scénario de cette journée particulière.
•
Didier Lallement autorise une
manifestation place d’Italie dont le
départ est prévu à 14 heures. On peut
déjà s’étonner du choix de cet endroit,
qui est notoirement couvert de chantiers
et donc garnis d’une floraison de
matériels utilisables et d’importantes
réserves de projectiles à utiliser par
les casseurs en cas d’affrontement.
Le maire du 13e
arrondissement s’en était ouvert
auprès de la préfecture de police et par
conséquent auprès du préfet, en vain.
Ensuite, il y a sur cette place un
monument commémoratif militaire d’une
certaine importance. Dont la profanation
était un risque évident.
•
Didier Lallement fait entourer cette
grande place circulaire d’un important
cordon de policiers. Les forces de
l’ordre laissent la place se remplir, et
en particulier ne prennent aucune mesure
pour filtrer l’arrivée de manifestants
dont l’allure et la tenue démontrent
qu’ils n’ont rien à voir avec les gilets
jaunes et qu’il y a tout à craindre de
leur volonté de casser. Avant même le
départ de la manifestation la « nasse
est en place ». Et arrive ce qui était
prévisible (prévu ?) le déclenchement
d’incidents, de violences et de prise à
partie par des éléments « incontrôlés ».
Le tout sous le regard gourmand des
télévisions à l’affût.
•
Didier Lallement ordonne à ce moment
l’utilisation des gaz lacrymogènes, des
grenades GLI F4, et des LBD.
Journalistes et manifestants pacifiques
en sont victimes. Panique et confusion
s’installent sur la place que les
manifestants pacifiques cherchent à
quitter, ce qui est rendu
particulièrement difficile par la nasse
des forces de l’ordre.
•
Didier Lallement déclare alors que la
manifestation autorisée étant devenue
attroupement violent, est en conséquence
interdite (!). Cette décision
administrative ne peut pas être
sérieusement portée à la connaissance
des manifestants déjà sur la place. Du
fait de l’interdiction soudaine et
inconnue, les personnes pacifiques
présentes, vont se retrouver sans le
savoir dans la situation de «
participation à une manifestation
interdite », contravention punie d’une
amende de 135 €. Le préfet de police
prétend avoir fait installer par les
forces de l’ordre un « canal
d’évacuation » pour permettre de quitter
la place. Outre que dans la confusion,
il était très difficile à trouver,
énormément de gens se seront fait
verbaliser (!), d’autres interpellés, et
une multitude empêchés de sortir. Et
naturellement, pendant ce temps les «
casseurs » pouvaient s’en donner à cœur
joie sous l’œil des caméras, sans que
les forces de l’ordre ne fassent de gros
efforts pour les en empêcher voire les
interpeller, comme l’ont constaté de
nombreux témoins.
Se pose évidemment
la question de la composition de ces
fameux groupes dont on nous prétend
qu’ils sont incontrôlés parce
qu’incontrôlables. Cela ressemble
fortement à une plaisanterie, lorsque
l’on connaît les moyens de la police et
l’utilisation historique des
provocateurs dans les mouvements
sociaux. Laisser casser pour effrayer le
bourgeois et disqualifier un mouvement,
c’est une très vieille histoire, qui
peut aller jusqu’à faire prendre à des
policiers ou des nervis, la place des
vrais casseurs. J’en ai personnellement
fait l’expérience au moment
des grandes luttes de la sidérurgie.
Se pose alors plus précisément la
question de l’utilisation dans les
manifestations de policiers appartenant
aux Brigades Anti Criminalité (BAC),
fonctionnaires sans uniforme, dont le
maintien de l’ordre n’est pas le métier
et qui
adoptent systématiquement des
comportements suspects. Il n’y a
rien de complotiste là-dedans, car
n’oublions pas ce que nous a révélé
l’épisode Benalla et la présence dans
les manifestations de civils armés et
présentant les signes extérieurs
d’appartenance à la police…
Le scénario du 16
novembre place d’Italie est suffisamment
suspect pour envisager la possibilité
d’une provocation destinée à
disqualifier et criminaliser le
mouvement des gilets jaunes. Ce ne
serait ni la première fois, ni la
dernière. Le comportement habituel du
préfet de police et son attitude ce
jour-là peuvent nourrir une lourde
suspicion. Cela justifierait un travail
d’enquête sérieux pour reconstituer
exactement ce qui s’est produit. Il n’y
a pas grand-chose à attendre des grands
médias qui ont relayé la thèse
policière, pas plus que du parlement
pour des commissions d’enquête qui
seraient justifiées. En revanche il
serait naturel que la justice dont c’est
le devoir se saisisse des infractions
commises et ce d’autant que si ce
scénario est établi, on est en présence
d’une jolie collection.
Un florilège
d’infractions
« La mise en
danger délibérée de la vie d’autrui
(article
223-1 du Code pénal) » tout d’abord,
et qui est relative aux décisions prises
par le commandement de la préfecture de
police qui ont manifestement exposé
manifestants, simples passants et
policiers à des risques graves.
L’interdiction brutale de la
manifestation au moment où elle devait
commencer et sans que les participants
ne puissent le savoir constitue bien une
violation d’une règle de sécurité, tel
qu’indiquée dans le texte.
L’interdiction d’une manifestation doit
obéir à des motivations de sécurité
publique, et non pas le contraire comme
cela semble avoir été le cas.
« Complicité de
dégradations volontaires de biens
publics (articles
322-1 du Code pénal) » ensuite. Cela
c’est pour avoir laissé les vrais
casseurs ou les faux détruire le
monument commémoratif de la campagne
d’Italie. Cela mériterait un examen
attentif, parce que soit le préfet de
police a mal dirigé ses troupes et n’a
pas été capable de protéger le monument
(auquel cas sa démission s’impose), soit
c’est délibérément que ces dégradations
ont été ou organisées ou favorisées, et
dans ce cas c’est de la complicité.
« Violences
volontaires par autorités publiques
(articles
222-9 à 222-13 du Code pénal) ».
Ensuite toujours, compte tenu des
blessures subies par
des personnes manifestement pacifiques
ou
des journalistes, et dont la gravité
a été manifestement provoquée par un
usage totalement disproportionné de la
force, il est indispensable de savoir ce
qui s’est passé. Quels étaient les
ordres et qui sont les auteurs de ces
exactions. Le fait qu’elles aient été
commises par des autorités publiques est
une circonstance aggravante.
« Atteinte à la
liberté par séquestration arbitraire
effectuée par autorité publique (article
432-4 du Code pénal) ». Là, il
s’agit de ces interpellations abusives
et de ces gardes à vue illégales et sans
motif visant à intimider, dissuader et
punir tous ceux qui croiraient encore
que la république française a toujours
une constitution qui fait du droit de
manifester une liberté fondamentale.
Pour ces séquestrations, ce que sont ces
gardes à vue illégales, le fait qu’elles
soient ordonnées par un agent public est
là aussi une circonstance aggravante.
« Délit de
concussion (article
432-10 du Code pénal) » enfin, une
petite gâterie pour compléter le
palmarès. Que dit le texte : « Le
fait, par une personne dépositaire de
l’autorité publique ou chargée d’une
mission de service public, de recevoir,
exiger ou ordonner de percevoir à titre
de droits ou contributions, impôts ou
taxes publics, une somme qu’elle sait ne
pas être due, ou excéder ce qui est dû,
est puni de cinq ans d’emprisonnement et
d’une amende de 500 000 €, dont le
montant peut être porté au double du
produit tiré de l’infraction. »
Résumons : la manifestation était
autorisée et les gens qui s’y sont
rendus et se sont installés sur la place
d’Italie le savaient. La décision
d’annulation brutale ne pouvait dans ces
circonstances être connue ou prévue des
participants. À aucun moment les gens
verbalisés dans le périmètre et autour
de la place d’Italie ne peuvent avoir su
qu’ils participaient à une manifestation
interdite. Condition indispensable pour
qu’ils aient commis l’infraction. Mais
il y a plus, on ne sait rien des formes
prises pour cette interdiction ce qui
est encore plus grave car pèse ainsi sur
elle la
suspicion d’un « acte inexistant »
privant de base légale tous les
procès-verbaux. Didier Lallement devait
le savoir parfaitement, mais tout à sa
frénésie de répression et son zèle pour
plaire au parti de l’ordre, il a
probablement passé outre. Et fait
percevoir des sommes qu’il savait ne pas
être dues. C’est ça la concussion.
Alors qui peut
enquêter sur ces faits et identifier les
responsabilités pénales ou
disciplinaires ? Spontanément on va se
tourner vers le parquet de Paris, et son
procureur, pour lui demander ce qu’il
compte faire face à cette lourde
suspicion
d’infractions graves commises par
des agents publics.
Oh, pardon, désolé.
Le titulaire du poste est précisément
celui qui, choisi par Macron lui-même, a
organisé les fameuses
« gardes à vue préventives» des gilets
jaunes. Et apporté un soin
particulier
à la mansuétude judiciaire dont
bénéficient les amis du président. Il
est possible de nourrir quelques doutes
sur sa célérité à faire son devoir
d’autorité de poursuite de la
République. Serait-il dans le même camp
que Didier Lallement ?
En tout cas,
celui-ci a eu le mérite de clarifier les
choses, nous savons que définitivement
nous ne serons pas dans le même camp que
lui.
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