Vu du Droit
Les devoirs de vacances du procureur Molins
Régis de Castelnau
Dimanche 19 août 2018
Les médias nous ont
appris la nomination de François Molins
au parquet de la Cour de cassation et
son départ prochain du poste qu’il
occupe encore aujourd’hui, celui de
procureur du tribunal de grande instance
de Paris. Il nous est apparu souhaitable
de faire le point dans la mise à jour de
quelques-uns de ses dossiers avant qu’il
ne rejoigne ses nouvelles fonctions. Pourquoi cette
sollicitude ?
Pourquoi cette
sollicitude ? Pour une raison très
simple. L’annonce simultanée de sa
nomination à la Cour de cassation avec
celle du refus de son parquet de
délivrer un réquisitoire supplétif aux
juges d’instruction pour la disparition
du coffre-fort d’Alexandre Benalla, a
provoqué dans l’opinion publique une
réaction prévisible. « Le procureur
de Paris a obéi aux ordres de l’Élysée
et sa nomination en est la récompense
». Je ne crois pas une seule seconde à
ce scénario, mais cette interprétation
expose une nouvelle fois l’institution
judiciaire à une perte de légitimité
difficile à rétablir. C’est d’autant
plus sérieux, que depuis l’arrivée à la
présidence de la république d’Emmanuel
Macron, les pouvoirs exécutifs et
législatifs ont été complètement
déconsidérés. Un gouvernement composé
d’ectoplasmes politiques assume
complètement de ne servir que de relais
aux directives de l’Élysée. Et que dire
de cette Assemblée nationale peuplée de
sombres et improbables nullités ? Il
serait donc judicieux que l’institution
judiciaire, troisième pilier de nos
institutions, restaure une confiance
largement entamée. Le meilleur moyen
serait de remplir scrupuleusement sa
mission et notamment en donnant à toutes
les affaires invraisemblables apprises
cet été, les suites judiciaires qu’elles
méritent.
Alexandre
Benalla et ses acolytes
À tout seigneur
tout déshonneur, commençons par
Alexandre Benalla et ses acolytes. En
rappelant encore une fois que le
principal d’entre eux bénéficie d’une
immunité pénale pour la durée de son
mandat.
Concernant les
violences de la place de la Contrescarpe
l’homme de main est poursuivi pour
l’instant pour « violences en réunion
n’ayant pas entraîné d’incapacité
temporaire de travail », «
immixtion dans l’exercice d’une fonction
publique en accomplissant des actes
réservés à l’autorité publique », «
port et complicité de port prohibé et
sans droit d’insignes réglementés par
l’autorité publique », « recel de
violation du secret professionnel »
et «recel de détournement d’images
issues d’un système de vidéo
protection». Son complice Vincent
Crase pour « violence en réunion
n’ayant pas entraîné d’incapacité
temporaire de travail », «
immixtion dans l’exercice d’une fonction
publique en accomplissant des actes
réservés à l’autorité publique » et
« port prohibé d’arme de la catégorie
B ».
D’après ce que l’on
sait, et comme l’établissent des vidéos
qui circulent, des faits strictement
similaires s’étaient produits peu avant
au Jardin des Plantes et ont fait
l’objet d’une plainte des victimes. Les
incriminations, en dehors de la question
de la violation du secret professionnel,
seront exactement les mêmes. En cumulé,
nous arrivons déjà pour nos deux
duettistes, bien sûr présumés innocents,
à pas moins de 16 infractions… Mais il
ne faudrait pas oublier la question de
la complicité par fourniture de moyens
dont auraient pu se rendre coupables
tous ceux qui ont facilité la commission
de ces délits. Notamment un étrange
personnage présent sur tous les coups,
le policier Philippe Mizerski. A
priori, celui-ci a apporté son concours
à la commission de 15 des 16
infractions. Ce qui positionne
l’aiguille du compteur d’infractions sur
31…
Un ban pour les
artistes !
Passons maintenant
à la chaîne administrative et aux
exploits accomplis par ceux qui n’ont
rien su refuser au prince.
Au sujet de certains des avantages
loufoques systématiquement accordés
à Benalla j’avais relevé là aussi
l’éventualité de la violation à
plusieurs reprises de
l’article 432–15 du code pénal
relatif au détournement de biens
publics. Il y a pour l’instant trois
infractions bien visibles, avec une
collection d’auteurs dans la chaîne
administrative. Il y a aussi l’histoire
ahurissante de la
violation du secret professionnel par
trois hauts gradés de la police pour
permettre à Benalla de préparer sa
défense médiatique. Les trois policiers
ont été suspendus et mis en examen, pour
deux infractions distinctes : violation
du secret professionnel et détournement
d’images issues d’un système de
vidéosurveillance. Mais surtout il y a
la suite, car on voit mal comment la
crème des collaborateurs d’Emmanuel
Macron pourrait, elle aussi échapper aux
poursuites. Reportons-nous à
l’imprudente interview de Benalla
sous magistère de
Mimi Marchand au journal le Monde.
Receleur de la violation du secret
professionnel commis par les trois
gradés, il encourt les mêmes peines que
les auteurs principaux. Pour se
justifier il a trouvé intelligent de
dire la chose suivante à la journaliste
: «« Ce CD, je ne le regarde pas et
je le remets à l’Elysée à un conseiller
communication ». Ce conseiller sera
identifié quelques heures plus tard par
BFMTV. Il s’agit d’Ismaël Emelien.
Relancé par les journalistes du Monde
sur l’usage fait de ces images dans la
foulée par le service de communication
de l’Elysée, Alexandre Benalla lâche : «
Je crois qu’ils ont essayé de la
diffuser et de la fournir à des gens,
pour montrer la réalité des faits. »
Benalla nous dit
benoîtement qu’un proche d’entre les
proches du président a visionné ces
images pour qu’elles soient ensuite
transmises à des militants LREM pour les
besoins de leur propagande. Absolument
génial ! Une Infraction de recel pour
Ismaël et ses collaborateurs, et une
nouvelle fois défaut d’application de
l’article 40 avec un refus de
signalement au parquet et de
transmission à celui-ci des images. Un
ban pour les artistes ! Compte tenu du
nombre de personnes probablement
impliquées dans cette opération de
recel, difficile d’être précis sur le
nombre d’infractions. L’aiguille de
notre compteur flirte cependant avec la
zone rouge du surrégime en s’approchant
dangereusement du chiffre de 50 délits !
Des soucis pour
le préfet menteur ?
Passons maintenant
à ce qui ressemble à des parjures devant
les commissions parlementaires. Il y a
les mensonges de Gérard Collomb
prétendant ne pas connaître Benalla,
mais plus grave les mensonges du préfet
Delpuech qui a mécaniquement énoncé
les éléments de langage fournis par
l’Élysée, mais qui présentaient le
défaut d’être contraires à la réalité.
L’on sait que ce genre de mensonges est
justiciable des articles du Code pénal
relatifs au faux témoignage, la seule
question qui se pose étant celle du
déclenchement de l’action publique et de
la poursuite. Celle-ci appartient
normalement au président de la
commission parlementaire au moment de la
publication du rapport. À mon sens, la
commission ayant fini en queue de
poisson, le parquet retrouve sa liberté
et peut (doit ?) poursuivre les faux
témoins.
Égrener cette
litanie qui n’est probablement pas
exhaustive, n’est pas vouloir à tout
prix la mort des pêcheurs, mais demander
que la justice fasse son travail et la
clarté sur ce qui n’est pas loin de là,
une simple « affaire d’été » comme nous
l’ont seriné les préposés au colmatage.
Parce qu’il y va de la crédibilité de
l’institution judiciaire qu’il faut
mettre à l’abri de l’accusation
meurtrière d’être soumise au pouvoir de
l’Élysée.
Pour cela, il faut
s’occuper soigneusement de l’affaire
Benalla, mais pas seulement.
Marlène Schiappa
et l’erreur humaine.
Le parquet de Paris
devrait se saisir de l’existence des
infractions pénales commises et
reconnues (voire revendiquées par
Castaner qui n’en rate pas une) à
l’occasion du
financement de la campagne
présidentielle d’Emmanuel Macron.
C’est la question des ristournes
commerciales accordées à la campagne
Macron. Le parquet de Paris devrait
évidemment accorder au juge
d’instruction de l’affaire de délit de
favoritisme France business/Havas pour
faire la clarté sur la responsabilité de
Muriel Pénicaud. Le parquet de Paris ne
devrait pas non plus oublier la pauvre
Marlène Schiappa, qui a laissé utiliser
les fichiers et le personnel de son
ministère pour faire la promotion d’un
livre qui n’avait rien à voir avec ses
fonctions ministérielles. Édouard
Philippe est sorti de sa léthargie pour
nous dire, sans crainte du ridicule, que
tout cela n’était pas grave puisqu’il
s’agissait d’une « erreur humaine ».
Magnifique justification que les avocats
ne manqueront pas d’utiliser dans les
prétoires à l’appui de leurs demandes
d’acquittement « vous comprenez Monsieur
le président, mon client a certes coupé
la tête à sa belle-mère, mais c’était
une erreur humaine ». On rappellera
simplement que soit la ministre l’a
demandé et dans ce cas c’est l’article
432–15 du code pénal qui s’applique.
Soit elle a été négligente et l’a laissé
faire,
ce sera alors le 432–16.
Il y a sûrement
beaucoup d’autres choses, mais on va
s’en tenir là pour ne pas gâcher la fin
de vacances de François Molins, en
s’adressant quand même quand même à son
collègue du TGI de Nanterre. Pour lui
narrer l’histoire d’un des petits
marquis les plus déplaisants de la
macronie. Le député Gabriel Attal
perdant le sens des convenances et de la
décence commune, a trouvé malin, au
moment où Benalla se déguisait en
policier, d’enfiler l’uniforme du
facteur
pour jouer les briseurs de grève.
Notre preux législateur a simplement
oublié que cette profession est
réglementée. Assurant le « service
public universel du courrier » le
facteur doit prononcer un serment de
respecter le secret professionnel et
d’assurer en toute circonstance le
secret des correspondances. Cette très
ancienne obligation relève aujourd’hui
du
Décret no 93-1229 du 10 novembre 1993.
Gabriel Attal a donc commis sans
discussion le délit d’usurpation de
fonctions prévu et réprimé par
l’article 432–12 du Code pénal. Et
exposé par la même, le vrai facteur
qu’il prétendait aider, à la complicité
dans la commission de cette infraction
puisque celui-ci lui a remis
illégalement une partie de son courrier
à distribuer. Un simple rappel à la loi
après une garde à vue, permettrait de
moucher le morveux, et de lui rappeler
ses obligations.
Un moment de
détente dans l’exploration du marécage.
PS : Alexis Kohler
ne devrait avoir aucun souci pour les
histoires de conflits d’intérêts que des
méchantes langues lui reprochent.
Le Parquet National Financier s’est
saisi de l’affaire. C’est un passeport
pour la tranquillité, qui devrait lui
permettre de préparer soigneusement la
réforme des services de l’Élysée.
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