Vu du Droit
L’été meurtrier d’Emmanuel Macron
Jacques Sapir
Vendredi 17 août 2018
Rubrique : parasitisme
Je partage
l’opinion de Jacques Sapir brillant
graphomane, sur les dangers que le
macronisme en marche fait courir aux
institutions et aux libertés publiques.
Aussi, vais-je me comporter en mauvais
camarade et lui piquer son dernier
papier, qui souligne le danger auquel
s’exposerait la République si les
oppositions au petit roi ne parvenaient
pas à se fédérer. Merci à lui de
m’éviter de faire le boulot.
Ceux qui veulent accéder à
l’original, c’est là…
Régis de
Castelnau
L’été meurtrier
d’Emmanuel Macron
Jacques Sapir
L’été 2018 aura été
meurtrier pour la réputation d’Emmanuel
Macron. La combinaison de deux affaires,
par ailleurs liées, l’affaire Benalla et
l’affaire DisinfoLab, expose de manière
crue non seulement les méthodes de la
Présidence de la République et du parti
qui est son principal soutien, La
République En Marche (LREM), mais
surtout l’atmosphère et l’idéologie qui
règnent dans les milieux proches du
pouvoir. Au-delà des conséquences
judiciaires que ces deux affaires sont
susceptibles d’avoir, au-delà des
conséquences politiques qu’elles auront
très vraisemblablement, se pose
désormais la question institutionnelle :
est-il possible de laisser « ces gens-là
» continuer à gouverner ? Et, si aucune
méthode ne peut donc les en empêcher,
quel en sera le prix pour l’ensemble des
français ?
Le «
Benalla-Gate »
Reprenons depuis le
début. L’affaire Benalla ne se réduit
pas aux agissements de ce triste
personnage. Il y a eu des à l’évidence
des manquements graves d’un point de vue
judiciaires, dont mon ami Régis de
Castelnau a donné la liste non
exhaustive[1]. Cette affaire met
gravement en cause le directeur de
cabinet de l’Elysée, qui gérait les
hommes, mais aussi le Secrétaire
général, M. Kohler, par ailleurs mis en
cause dans deux procédures disjointes
par l’association Anticor pour de
multiples conflits d’intérêts et une
possible affaire de corruption [2]. Dans
toute République autre que Bananière,
ces deux hommes auraient dû
démissionner. Il est patent qu’il n’en a
rien été. Benalla, certes mis en examen,
a pu partir pour le Maroc ou, aux
dernières nouvelles, il coule des jours
heureux…[3]
Mais, ce que l’on a
appris, est qu’il y avait une véritable
cellule autour d’Alexandre Benalla, pour
s’occuper de manière privée, et en
conflit quasi permanent avec les
instances chargées légalement de la
faire, de la sécurité du Président. La
présence de Benalla et de ses acolytes
de l’Elysée au sein des forces polices
lors de la manifestation du 1er mai est
maintenant bien établie[4]. Il faut
alors mettre cela en parallèle avec la
décision, assez inouïe, d’Emmanuel
Macron de prendre le contrôle de la
lutte antiterroriste. En créant cette
semaine le Centre national de
contre-terrorisme (CNCT), Emmanuel
Macron en a transformé le coordinateur
du renseignement, Pierre de Bousquet de
Florian, en un véritable patron d’une
équipe de 19 agents, chargée d’un
pilotage stratégique[5]. On touche ici à
la dimension institutionnelle du
problème. Emmanuel Macron cherche à
constituer l’appareil de la Présidence
en un centre de décision autonome,
supérieur au gouvernement de la
République. Cela ne répond ni à la
lettre ni à l’esprit de la Constitution,
qui organise en réalité un système ou le
Président est un garant mais pas un
acteur direct. D’ailleurs,
l’irresponsabilité du Président en
découle. Par ailleurs, le comportement
même d’Emmanuel Macron qui est allé se
justifier le 24 juillet au soir devant
les députés LREM[6], constitue une
seconde entorse au moins aussi grave à
sa fonction. Nous avons donc, là, un
véritable problème de respect de la
Constitution posé par la Président de la
République[7].
DisinfoLab ou
l’équivalent de « l’affaire des fiches »
?
A l’affaire Benalla
est venue s’ajouter l’affaire
DisinfoLab. Au départ, il y a la volonté
de certains, téléguidés par l’Elysée ou
non, de créer un contrefeu à l’affaire
Benalla, en prétendant que l’émotion
autour de cette dernière aurait été «
gonflée » artificiellement par la «
sphère russophile » ou de la «
russosphère » sur Twitter[8]. Tout cela
est parti de la présentation sur le blog
ReputatioLab, tenu par M. Nicolas
Vanderbiest, d’une première étude[9]. La
méthode de cette étude, en particulier
pour définir la soi-disant « sphère
russophile » est extrêmement
discutable[10]. On peut parler d’une
reductio ad Putinem utilisé par certains
pour tenter d’étouffer l’affaire
Benalla. Mais, au fil de la polémique,
la vérité s’est faite jour. L’activité
de cette « russosphère » n’est
absolument pas la cause de l’émotion
provoquée par l’affaire Benalla, ainsi
que le démontre, lui très
scientifiquement, Damien Liccia[11]. Une
enquête ultérieure, menée par Olivier
Berruyer, et validé – il convient de le
noter – par Checknews[12], démontre que
M. Vanderbiest et ses associés, réunis
autour d’une drôle de galaxie qui
mélange allègrement les genres de l’ONG
pseudo-universitaire à l’agence de
communication[13], se sont livrés par
ailleurs à un fichage politique
illégal[14]. On n’est pas loin de «
l’affaire des fiches », ce scandale qui
marqua le début du XXème siècle et qui
fit tomber le ministère Combes[15]. Or,
Monsieur Nicolas Vanderbiest fut l’homme
qui a rédigé une bonne part de la très
contestée « loi anti-Fake news » qui fut
rejeté par le Sénat en juillet[16]. La
boucle ici se referme. Nous avons donc
un militant proche d’Emmanuel Macron
faisant un travail (bâclé) pour tenter
d’accuser une soi-disant « russosphère »
et mettre implicitement sur le dos de
Poutine le scandale provoqué par
l’affaire Benalla. Ce même militant a
clairement enfreint la loi et s’est
livré à u fichage politique. La CNIL
s’en est émue et s’en est saisie.
Signalons que, diffamé par un communiqué
de DisinfoLab, Olivier Berruyer a,
lui-aussi, porté plainte.
Des allégories
du pouvoir macroniste
A bien y regarder,
les deux affaires Benalla et DisinfoLab
sont des allégories du pouvoir
macroniste. On peut y voir la vérité de
la « start-up Nation », cette
combinaison de jeunes incompétents
auxquels on confie des pouvoirs
discrétionnaires (Benalla) ou que l’on
charge des besognes digne d’un cabinet
noir (Vanderbiest et DisinfoLab). On y
retrouve, sous une forme exacerbée, tout
ce qui transpire de ce pouvoir depuis un
an. On y retrouve le mépris pour les
institutions et les pratiques politiques
existantes, le mépris pour la population
mais aussi ses élus, le sentiment de
toute-puissance qui semble avoir saisi
Emmanuel Macron depuis son élection, ce
qui le conduit lui où les personnes qui
le représentent à mentir ou à dissimuler
la vérité. S’y ajoutent une vision
parfaitement complotiste de la politique
(c’est la faute aux russes), et les
menaces, plus ou moins voilées, contre
l’opposition. Les français sont en train
de vivre, avec ces deux affaires, le «
dévoilement » de la réalité du pouvoir
macroniste.
Mais, après une
phase de sidération, les réactions
seront très dépendantes des stratégies
des diverses forces d’opposition.
Emmanuel Macron représente un danger
pour la République à travers sa volonté
de se constituer comme une force
politique « en surplomb » par rapport
tant à la société qu’aux institutions.
Si les oppositions acceptaient de faire
front commun, la réalité du système
Macron, ce système qui est en fait
profondément minoritaire, ne tarderait
pas à être révélée et bientôt paralysée.
Car, en dépit de toutes ces affaires et
de l’opprobre qui grandit, il faut se
souvenir que la force d’Emmanuel Macron
repose encore et toujours sur la
division de ses opposants.
[1]
http://www.vududroit.com/2018/07/affaire-benalla-code-penal-quoi-faire/
[2]
https://www.sudouest.fr/2018/06/04/soupcons-de-corruption-enquete-ouverte-contre-le-secretaire-general-de-l-elysee-5114342-4697.php
[3]
https://o.nouvelobs.com/people/20180807.OBS0625/alexandre-benalla-protege-desormais-une-star-de-la-tele-realite.html
[4]
http://www.liberation.fr/france/2018/07/27/1er-mai-benalla-et-crase-impliques-dans-une-autre-interpellation_1669273
[5]
https://www.lejdd.fr/politique/emmanuel-macron-se-nomme-chef-des-services-secrets-3357200
[6]
https://www.francetvinfo.fr/politique/emmanuel-macron/agression-d-un-manifestant-par-un-collaborateur-de-l-elysee/affaire-benalla-le-responsable-c-est-moi-declare-emmanuel-macron-face-a-la-majorite_2865345.html
[7] J’ai abordé
cette question dans ma note publiée le
25 juillet sur Facebook, qui a été lue
par près de 40 000 personnes.
https://www.facebook.com/notes/jacques-sapir/les-trois-fautes-demmanuel-macron/1338889326240982/
[8]
https://www.bfmtv.com/tech/l-affaire-benalla-amplifiee-par-un-gonflage-numerique-sur-twitter-1498400.html
Voir aussi
https://www.lopinion.fr/edition/politique/affaire-benalla-l-activisme-russosphere-twitter-intrigue-158352
[9]
http://www.reputatiolab.com/2018/07/affaire-benalla-reseaux-sociaux-resurrection-partis-de-lopposition/
[10] Je l’ai
analysé dans ma note publiée le 7 aout
sur Facebook,
https://www.facebook.com/notes/jacques-sapir/la-reductio-ad-putinem-laffaire-benalla-et-le-crétinisme-journalistique/1353721151424466/
[11]
https://medium.com/@Damien_Liccia/affaire-benalla-une-controverse-sous-influence-2e495e6025ec
[12]
https://www.les-crises.fr/checknews-confirme-que-le-dementi-de-disinfolab-etait-errone/
[13]
https://www.les-crises.fr/de-l-agence-de-gestion-de-crise-a-la-reservation-de-chambres-dhotels-l-etonnante-galaxie-disinfolab-saper-vedere/
[14]
https://www.les-crises.fr/dossier/fichagepolitique-eu-disinfo-lab/
[15] Charlot P., «
Péguy contre Jaurès : l’affaire des «
fiches » et la « délation aux droits de
l’homme » », Revue française d’histoire
des idées politiques, no 17, 1er
semestre 2003, p. 73-91. Les « fiches »
en question concernaient les idées
politiques et religieuses des officiers
supérieurs, et étaient rédigées par le
Grand Orient de France pour transmission
au Ministère de la Guerre.
[16]
https://twitter.com/plociniczak/status/1029288918645202945
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