Vu du Droit
Justice des mineurs :
un pansement sur
une jambe de bois
Régis de Castelnau
Samedi 15 juin 2019
Justice des
mineurs : nouvelle opération de
communication, nouveau déclenchement
volontaire d’une polémique pour faire
diversion, aucune intention de mettre
les moyens financiers et matériels pour
tenter d’améliorer une situation
dégradée, ce pouvoir est fidèle à ses
habitudes. Nicole Belloubet a présenté
les « grandes lignes » de sa réforme de
l’ordonnance de 1945. Qui ne changera
pas grand-chose, le problème fondamental
étant de donner à cette justice
particulière essentielle les moyens de
remplir sa mission. Une fois de plus les
lois, et en l’occurrence les ordonnances
sont utilisées de façon proclamatoire
pour masquer l’impuissance budgétaire et
administrative.
Kévin Boucaud-Victoire
rédacteur en chef idées de
Marianne m’a demandé mon avis. Je
reproduis ici cette interview que l’on
peut également retrouver
directement sur le site du magazine.
(On en profitera
pour signaler que Kevin Boucaud-Victoire
après s’être occupé de la gauche
française et de George Orwell, publie un
troisième ouvrage consacré à Jean-Claude
Michea (Mystère Michea : portrait d’un
anarchiste conservateur) dont on
recommande la lecture.
Régis de
Castelnau
Propos
recueillis par
Kévin Boucaud-Victoire
« Je propose de
ne plus poursuivre les délinquants de
moins de 13 ans en instaurant, en-deçà
de cet âge, une présomption
d’irresponsabilité » a expliqué la
ministre de la Justice Nicole Belloubet,
qui souhaite réformer l’ordonnance de
1945, relative à l’enfance délinquante.
L’avocat Régis de Castelnau décrypte
avec nous les enjeux de cette décision..
Marianne :
Beaucoup accusent l’ordonnance de 1945
d’être à la fois obsolète et illisible.
Faut-il la réformer ?
Régis de
Castelnau : Ce texte
particulièrement sensible dans l’opinion
et le monde politique est effectivement
aujourd’hui un joyeux fouillis. Pas
moins de 39 réformes ont été adoptées
qui en font aujourd’hui une espèce de
millefeuille compliqué à manier.
On va rappeler que
le droit de l’enfance délinquante est un
droit « autonome » distinct du droit
pénal général. Il y avait alors deux
solutions : soit faire ce que l’on
appelle une « consolidation » à droit
constant, c’est-à-dire remettre de
l’ordre et clarifier mais sans changer
les règles, sans toucher au dispositif
normatif lui-même. Soit adopter un
nouveau texte global en y introduisant
des mesures nouvelles.
ur le plan
politique, personne jusqu’à présent ne
s’était risqué à s’attaquer sérieusement
à ce problème, par crainte de polémiques
et de difficultés politiques. Mais cette
fois-ci le gouvernement a trouvé une
astuce, exit la démocratie
parlementaire, c’est la voie de
l’ordonnance qui sera utilisée. Ce n’est
pas très courageux, mais on peut le
comprendre.
Quelles sont les
mesures phares de ce nouveau texte
présenté par Nicole Belloubet ? Et que
vont-elles changer ?
On ne sait pas trop
encore, parce que nous ne disposerons du
texte complet qu’à la mi-septembre.
Cependant la Garde des Sceaux en a
présenté les grandes lignes. Tout
d’abord elle propose « de ne plus
poursuivre les délinquants de moins de
13 ans en instaurant, en-deçà de cet
âge, une présomption
d’irresponsabilité ». Voilà le type
même de mesure « progressiste » annoncée
à grand son de trompe et qui ne va dans
les faits pas changer grand-chose.
Comment se pose
le problème aujourd’hui ?
En France, l’âge de
la responsabilité pénale, c’est-à-dire
celui à partir duquel les mineurs sont
considérés comme suffisamment âgés pour
voir leur responsabilité pénale
reconnue, n’est pas précisément fixé.
Pour l’instant la règle générale est que
les mineurs capables de discernement
sont pénalement responsables. La
jurisprudence a reconnu que dès huit à
dix ans, les enfants possédaient la
capacité de discernement suffisante pour
être pénalement responsables de leurs
actes. Mais en dessous de 13 ans les
enfants n’encourent pas de sanctions
pénales mais des mesures d’assistance
éducative. Les sanctions pénales
encourues de 13 à 18 ans, ne sont pas
énoncées par le Code pénal mais par
l’ordonnance du 2 février 1945.
Nicole Belloubet
nous a annoncé qu’il existerait
désormais une « présomption d’absence de
discernement » en dessous de 13 ans.
Donc résumons le système proposé : en
dessous de 13 ans, présomption
d’irresponsabilité pénale, de 13 à 18
ans responsabilité pénale spéciale d’un
mineur, au-delà de 18 ans responsabilité
pénale du régime général.
Le problème est que
pour les enfants de 10 à 13 ans cela ne
va rien changer. Car s’il existe une
« présomption d’absence de
discernement » conduisant à
l’irresponsabilité pénale, cette
présomption peut être renversée.
C’est-à-dire que le juge pourra
constater que même en-deçà de 13 ans le
discernement existait, même si pour le
faire il devra motiver explicitement sa
décision. Dans la pratique, je vois
assez mal ce que cela va changer…
La deuxième mesure
présentée comme un grand progrès, est la
procédure en deux temps. C’est-à-dire
que le mineur sera jugé en deux fois.
Une première audience pour constater et
déclarer sa culpabilité, une autre
audience plus tard pour fixer la peine,
en fonction du comportement du mineur
depuis sa déclaration de culpabilité. La
nouveauté n’est pas aveuglante non plus.
En effet actuellement la déclaration de
culpabilité et la fixation de la peine
se font en même temps. Mais pour
l’exécution de cette dernière il y a le
rôle du juge de l’application des peines
qui dispose de prérogatives importantes
pour la moduler. Et bien sûr en fonction
du comportement du mineur condamné…
Je crains fort que
l’on se retrouve une fois de plus en
présence d’opérations de pure
communication à la faible portée
concrète et pratique.
Sur cette
question, la France doit-elle s’aligner
sur les conventions internationales,
notamment celle des droits de l’enfant
des Nations unies ?
Bonne question, car
l’idée d’une harmonisation des diverses
législations à partir de l’application
de principes internationalement
consacrés est quelque chose de
souhaitable. Simplement, cela pose deux
problèmes.
Le premier est
celui de l’hétérogénéité des situations
nationales où ces questions sont
traitées en fonction d’Histoire, de
culture et de religion particulières.
D’où la difficulté parfois d’aboutir à
des normes qui seront considérées comme
universelles. Cela étant, le travail des
organisations internationales sur les
questions de l’enfance a quand même été
souvent source de progrès considérables.
Le deuxième
problème est celui de la souveraineté,
car en ce moment l’opinion française est
assez sensible à la prégnance en droit
interne de normes qui n’ont pas fait
l’objet de délibération démocratique
dans notre pays. La multiplication de
ces pactes, conventions internationales,
et autres traités de plus en plus
invoqués suscitent une réelle méfiance
comme viennent encore de le démontrer
les réactions à la décision de la cour
d’appel de surseoir à l’arrêt des soins
de Vincent Lambert sur la base d’un avis
d’un comité de l’ONU sans valeur
normative.
Il est clair que
Madame Belloubet, de façon assez
hypocrite va invoquer cette nécessité de
s’aligner sur ces conventions
internationales pour faire passer sa
réforme.
Comment réformer
efficacement le système judiciaire pour
les mineurs ?
Après avoir dit
être circonspect sur l’ampleur de la
réforme, on peut s’interroger sur les
conséquences réelles de celle-ci. Depuis
plusieurs dizaines d’années la
production législative proclamatoire est
le plus souvent le masque de
l’impuissance budgétaire et
administrative. Comme le reste, pour
être efficace dans la lutte contre la
délinquance des mineurs, il faudrait
d’abord et avant tout considérablement
augmenter les moyens. La justice des
mineurs comme la justice en général est
quasiment en faillite, et ce n’est pas
avec ce gouvernement que cela risque de
changer. Les besoins sont considérables
dans tous les domaines mais celui de
cette délinquance des jeunes est
probablement le plus sinistré. Il faut
du personnel spécialisé, magistrats et
éducateurs, des centres fermés
d’éducation, des lieux particuliers de
détention, tous moyens dont on manque
aujourd’hui de façon criante.
Un seul critère,
celui de la détention provisoire. 29 %
des majeurs détenus en France sont en
détention préventive, ce chiffre monte à
83 % pour les mineurs. Cette situation
n’est pas acceptable au plan des
principes, mais aussi parce qu’elle
génère chez les magistrats un
découragement qui amène, ce qui est
réel, à relâcher trop vite dans la
nature ces jeunes qui se livrent à une
délinquance insupportable à l’opinion,
celle des vols, des violences et des
incivilités graves. Il faut savoir que
dans notre pays, 1,5 million
d’infractions avec auteurs connus ne
sont pas poursuivies par les parquets
faute de moyens. On aura envie de dire à
Madame Belloubet : « Vos effets
d’annonce c’est bien joli, mais d’abord
mettez de l’argent dans notre justice,
et en particulier celle des mineurs. »
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