Vu du Droit
Daniel Cohn-Bendit : cinquante ans
d’imposture
Régis de Castelnau
Jeudi 13 septembre 2018
Toute de
grandiloquence et de fausse surprise, la
démission de Nicolas Hulot, ministre
inconsistant, a été suivie d’un petit
ballet de chaises musicales assez
significatif de l’amateurisme politique
d’Emmanuel Macron. Après un drôle de
ballon d’essai avec Cohn-Bendit, ce fut
Rugy – l’homme qui n’a qu’une parole et
c’est pour ça qu’il
la reprend – qui a donc quitté le
perchoir et le poste de quatrième
personnage de l’État pour un maroquin
inutile où il finira de se ridiculiser. Pour lui succéder,
on nous inflige un opportuniste arrogant
doté d’un sens de la famille
particulièrement aiguisé. Non sans avoir
fait faire un
calamiteux tour de piste à la
présidente de la Commission des lois !
N’en jetez plus, chacun de ces épisodes
a suscité le commentaire qu’il méritait
: « Était-il possible de faire pire ? »,
alors qu’en fait la vraie question
était : « Était-il possible de faire
mieux ? »
L’anarchiste du
centre
La tentative de
remplacer Nicolas Hulot par Daniel
Cohn-Bendit démontre que non. Emmanuel
Macron n’est même plus en capacité de
recycler les imposteurs. Ce qu’est
Daniel Cohn-Bendit depuis 50 ans. La
petite opération, dont il est difficile
de ne pas croire qu’elle avait été
concoctée à l’Élysée, a consisté à faire
lancer l’hypothèse d’une nomination de
celui-ci à l’Ecologie par Christophe
Castaner et Benjamin Griveaux. Notre
jovial rouquin a fait savoir qu’il
acceptait, avant de faire machine
arrière après une prétendue longue
discussion avec le président lui-même. À
mon sens, probablement au spectacle de
la levée de boucliers rageuse contre
lui, accusé qu’il était d’avoir trahi
ses idéaux de jeunesse pour aller à la
soupe et de n’être en fait qu’un
sinistre pédophile… Deux reproches à mon
avis infondés.
Pour l’avoir
pratiqué en mai-juin 68, je témoigne
qu’il n’a rien trahi du tout. Dès ce
moment-là, nous pûmes nous forger une
opinion : Daniel Cohn-Bendit gauchiste
révolutionnaire, c’était une blague.
Même s’il sacrifiait parfois à la
phraséologie anticapitaliste, ses propos
portaient essentiellement sur ce que
l’on appelle aujourd’hui « le sociétal
». Libertaire sûrement, mais déjà le
libéral pointait sous le vernis que lui
donnait son comportement tout de
narcissisme bravache. Profondément
anticommuniste, il ne partageait pas
grand-chose avec les gauchistes
sectaires et dogmatiques hégémoniques
dans le mouvement étudiant à ce
moment-là. Répartis entre trotskistes et
maoïstes, et reprochant justement aux
communistes (du PCF) de ne pas être
assez communistes. Ceux-là, en dehors de
l’inébranlable Alain Krivine, ont tous
changé de bord. Qui pour les salons de
la République, qui pour l’argent, qui
pour les honneurs, gardant cependant
souvent avec eux ce qui faisait leur
singularité : dogmatisme, sectarisme et
intolérance mis au service de leur
nouvelle cause. André Glucksmann
incarnant à la perfection le modèle de
ceux qui sont passés du col Mao au
Rotary, à qui Guy Hocquenghem adressa sa
lettre furieuse. Daniel Cohn-Bendit
n’était pas de cette bande, il convient
de le lui reconnaître.
L’épate-bourgeois
Anarchiste au
départ nous dit-on, mais pas dans
l’acception d’appartenance à un courant
politique organisé issu des pensées de
Bakounine et de Proudhon. Dans celle que
l’on utilise lorsque l’on qualifie
quelqu’un « d’anarchiste de droite ». On
dira alors de Cohn-Bendit que c’est un «
anarchiste du centre », et qu’il l’a
toujours été. Sa panique devant
l’euroscepticisme et son ralliement
fébrile à Emmanuel Macron ne sont que
l’expression des convictions profondes
qu’il a toujours eues. Même si,
incontestablement,
ses positions néolibérales se sont
durcies avec l’âge.
Qu’en est-il des
accusations de pédophilie dont il est
désormais systématiquement l’objet? Ces
mises en cause infamantes reposent sur
des vidéos et des écrits d’il y a plus
de 30 ans. Le problème est, comme
d’habitude, celui de l’anachronisme où
l’on juge avec les yeux d’aujourd’hui
des faits qui se sont déroulés dans des
contextes complètement différents. Que
l’on me comprenne bien, il ne s’agit pas
d’excuser des propos et des attitudes
qui, déjà à l’époque, étaient
scandaleuses. Mais il faut rappeler qu’à
ce moment-là, dans cette phase
post-soixante-huitarde, au moment du «
défense d’interdire », de la libération
sexuelle, du mouvement anti-autoritaire
(« l’enfant est une personne ») tout le
monde disait absolument n’importe quoi.
Ce qui frappe lorsque
l’on regarde la vidéo de l’émission
« Apostrophes », c’est, avec les propos
stupidement provocants de Daniel
Cohn-Bendit, l’attitude complaisante de
ses interlocuteurs, pourtant peu connus
pour être gauchistes effrénés ou
pédophiles militants. Personne n’a l’air
effaré devant ces propos effarants, et
la presse n’en dira pas un mot. Il y eut
aussi toutes les âneries du livre Le
Grand bazar. Il s’en est par la
suite platement excusé, reconnaissant sa
volonté de pratiquer à tout propos «
l’épate-bourgeois ».
e qui était, depuis
le début, le fonds de commerce qui lui a
tant servi. Et ce registre de
petit-bourgeois hédoniste, mais toujours
du côté du manche, lui a garanti son
succès maintenant cinquantenaire.
Accompagné par l’indulgence et
l’affection de la bourgeoisie qui n’en a
jamais été avare avec lui. Daniel
Cohn-Bendit n’est pas pédophile, mais
cette accusation ressemble maintenant au
sparadrap du capitaine Haddock. C’est
peut-être injuste mais forcé: certains
de ses petits numéros lui retombent sur
le nez. La rumeur dit qu’il pourrait
être la tête de liste macronienne aux
élections européennes. Compte tenu de
l’accueil de l’opinion à sa candidature
au ministère de l’Ecologie, cela
ressemble à une fausse bonne idée.
Qui est une
«ordure» ?
Pour ma part, il
est bien sûr exclu que je vote pour lui
pour des raisons politiques. Mais aussi
parce que je promène de vieilles
rancunes. Daniel Cohn-Bendit appartient
à une famille juive qui s’est réfugiée
en France dès 1933 et a pu vivre pendant
l’occupation à Montauban dans la
clandestinité, tout le monde ayant ainsi
pu échapper à la déportation et à la
mort. D’origine allemande, mais né en
France, où il avait passé son enfance et
fait l’essentiel de sa scolarité, il a,
au moment de choisir sa nationalité,
préféré l’allemande à celle du pays qui
lui avait sauvé la vie. Et cela pour ne
pas faire son service militaire. Il
habillera ensuite cette ingratitude en
se définissant comme « citoyen
européen ». En remerciement de sa
constance politique et de ses services,
François Hollande et Bernard Cazeneuve
lui accorderont à
grand bruit en 2015 la nationalité
française qu’il avait autrefois reniée.
Le 3 mai 1968, le
journal L’Humanité, qui n’avait
aucune tendresse particulière pour les
gauchistes, publiait un
article sous la signature de Georges
Marchais qui n’était pas encore le
secrétaire général du PCF. Sous le titre
de « Faux révolutionnaires à
démasquer », on trouvait une seule
mention de Cohn-Bendit ainsi libellée : «
Malgré leurs contradictions, ces
groupuscules – quelques centaines
d’étudiants – se sont unifiés dans ce
qu’ils appellent ‘Le Mouvement du 22
mars Nanterre’ dirigé par l’anarchiste
allemand Cohn-Bendit. » Par une
sorte d’escroquerie mémorielle, Daniel
Cohn-Bendit, probablement très conscient
du mensonge, prétendit et prétend
toujours que Georges Marchais l’avait
traité de « juif allemand ».
Cette ignominie étant évidemment
destinée à disqualifier l’ensemble du
PCF. Il ira jusqu’à traiter Marchais,
alors décédé, d’ « ordure
»lors d’une émission de Marie
Drucker en 2012.
On ne fera pas
comme lui, en cédant malgré la tentation
à l’insulte facile. On dira simplement
qu’il serait temps de mettre un point
final à l’imposture, et qu’on l’a
franchement assez vu.
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