Actualité
Gilets jaunes : la Justice est là pour
rendre la Justice.
Pas pour rétablir
l’ordre
Régis de Castelnau
Dimanche 13 janvier 2019
Que se
passe-t-il dans la magistrature
française ?
Dans le silence
obstiné des organisations syndicales, un
pouvoir aux abois a instrumentalisé une
répression judiciaire sans précédent
pour tenter de mater un mouvement
social. Il y a bien évidemment la
stratégie du ministère de l’intérieur
qui pousse à la violence pour tenter de
disqualifier le mouvement. Mais
malheureusement la magistrature accepte
ces dérives et joue sa partition dans ce
qui désormais s’apparente à une
répression de masse qui entretient des
rapports très lointains avec l’État de
droit dont on nous rebat pourtant les
oreilles. Cravachés par
Nicole Belloubet en personne (!) se
déplaçant au tribunal de Paris un
dimanche, et par les interventions
permanentes de la place Vendôme voire de
Matignon y compris des instructions
individuelles pourtant interdites par la
loi, les parquets déchaînés basculent
avec zèle dans la répression de masse,
font procéder à des arrestations souvent
préventives, par milliers, défèrent
également par milliers des gens devant
les tribunaux, à l’aide de procédures
d’urgence dans lesquelles par des
réquisitoires violents, il demande des
peines folles. Et de façon stupéfiante
la magistrature du siège a accepté de
rentrer dans cette logique et distribue
en cadence des peines ahurissantes.
Depuis le début du mouvement, plus de
5000 arrestations, 1000 condamnations,
350 personnes incarcérées sur la base
d’incriminations parfois farfelues. Et
avec des interprétations de la loi
répressive souvent audacieuses pour ne
pas dire plus. Désolé, mais ceci n’est
pas de la justice, c’est de l’abattage.
Et manifestement
c’est loin d’être fini. Des anecdotes
effarantes remontent de toute la France
sur ce qui est en train de se passer.
Tel sera condamné à six mois de prison
ferme pour avoir partagé un statut sur
Facebook, tel autre à 28 mois tout aussi
fermes, sans avoir été défendu par un
avocat, prétexte selon la présidente du
tribunal « que cela n’aurait rien changé
». Il y a des dizaines et des dizaines
d’autres histoires qui font froid dans
le dos. La France prend un drôle de
chemin. Dans tel département, le
procureur et le préfet font conférence
de presse commune pour menacer : « la
justice sera impitoyable ! » Depuis
quand sont-ce les procureurs et les
préfets qui jugent ? Jusqu’à nouvel
ordre, dans une démocratie, ils sont
responsables du maintien de l’ordre, pas
de rendre la justice. Dans tel autre, il
semblerait bien que le procureur ait
organisé une forme de « comité de salut
public » chargé de fournir les
charrettes, et on dit que les juges du
siège qui vont juger le font sur la base
du volontariat ! Naturellement les
pressions se font nombreuses contre les
avocats qui s’élèvent contre ces dérives
et font leur devoir. Gare à la fermeté,
l’exigence ou la passion, les plaintes
du parquet contre les défenseurs
dégringolent immédiatement. Et
naturellement il y a le refus obstiné de
se pencher sur la multiplication des
violences policières, sur l’usage
incroyablement excessif de la force.
Notamment avec les flashs ball et les
grenades de désencerclement utilisés en
violation de règles pourtant claires.
Et puis il y a bien sûr la violence
directe, arbitraire dont de multiples
vidéos donnent de tristes exemples.
Cette impunité, qui ne peut qu’être un
choix délibéré, provoque fatalement
l’émotion et la rage. Le procureur de
Toulon ayant sous les yeux les vidéos du
commandant Didier Andrieux permettant de
voir parfaitement à qui on avait affaire
a trouvé le moyen de se déshonorer
en refusant immédiatement toute enquête
au motif que le comportement du
commandant frappeur aurait été «
proportionné ». On rappellera que dans
le passé
ce n’était pas l’avis de ses subordonnés,
et que le préfet plus malin et devant
l’évidence a demandé une enquête de
l’IGPN.
Dans cette
ambiance, et comme les tribunaux les
suivent, comment s’étonner que les
ministres les plus déplorables se
permettent de proférer des menaces comme
le font tous les jours
Christophe Castaner, Benjamin
Grivreaux ou Marlène Schiappa qui
viennent d’inventer une nouvelle
définition de la complicité, exigent des
arrestations préventives (!). Comment
s’étonner qu’un premier ministre dont on
attendait peut-être un peu plus de tenue
annonce des mesures législatives
liberticides qui vont finir par faire
envie à Erdogan ?
Préférer l’ordre
à la justice ?
Alors vient à
l’esprit la question : comment le corps
de la magistrature dont les
organisations syndicales aujourd’hui
muettes, nous rebattent les oreilles
avec son indépendance et son
impartialité depuis 30 ans accepte-t-il
de devenir ainsi l’instrument de la
violence d’un parti de l’ordre à ce
point déchaîné ? Comment oublie-t-on
ainsi que la justice se rend au nom du
peuple français ? Personne pour sauver
l’honneur ? Aucun procureur dont la
parole est libre à l’audience pour
refuser les ordres de Belloubet ? Aucune
juridiction pour se rappeler que sa
mission n’est pas de rétablir l’ordre
mais de rendre la justice. Dans le
respect de la loi, quoi qu’il arrive. Ce
n’est pas semble-t-il le choix qui a été
fait, et pour illustrer l’ampleur du mal
on citera Madame Noëlle Lenoir, ancienne
ministre et ancien membre du conseil
d’État et du conseil constitutionnel,
donc juriste affirmée qui nous dit dans
un tweet : « que la justice doit être
réellement faite par les tribunaux dont
la responsabilité est immense pour
restaurer l’ordre ». Quelqu’un pour
rappeler à cette aimable versaillaise
(dans le sens que la Commune lui a
donné) manifestement en panique, que la
mission de restauration de l’ordre est
celle de l’exécutif, pour les tribunaux
c’est celle de la Justice ? Dans le
respect de la loi et des procédures.
Alors il est vrai,
que depuis une trentaine d’années, on
pouvait espérer que la justice française
et le corps des magistrats qui la rend
s’étaient enfin émancipés de sa
soumission au pouvoir mais avait aussi
abandonné sa vieille culture qui lui
avait toujours fait préférer l’ordre la
justice. Depuis 1940 un certain nombre
d’épisodes douloureux l’avait marquée et
généré une véritable volonté
d’émancipation. Malheureusement depuis
quelques années grâce une forme
d’alliance avec les médias, magistrats
se sont pensés débarrassés de la tutelle
de l’État. Sans mesurer que celui-ci,
lui imposant un invraisemblable déficit
de moyens continuait à la tenir en
laisse. Depuis quelques années a ainsi
assisté à toute une série de dérives
orchestrées en général par les
institutions d’exception que sont le
Parquet National Financier, et le Pôle
d’instruction financier,
systématiquement couvertes par les
juridictions supérieures. D’abord la
chasse au Sarkozy sous Hollande, ensuite
la volontaire destruction judiciaire de
la candidature présidentielle de
François Fillon applaudie à tout rompre
par les syndicats et la hiérarchie
judiciaire.
Il faut cesser de finasser, le contester
relève aujourd’hui simplement du
grotesque. De ce point de vue la
sincérité du scrutin de la
présidentielle a été faussée. Comme elle
l’a été par les moyens financiers et
médiatiques massifs pour la plupart
illégaux qui ont été utilisées à l’appui
de la candidature Macron et qui n’ont
pas arraché une plainte aux organes de
contrôle et à la justice. C’est
d’ailleurs cette illégitimité initiale
qui explose la figure de celui qui en
avait été le bénéficiaire. Par la suite,
une fois le jeune roi au pouvoir, il y a
eu la protection judiciaire dont a
bénéficié son entourage et sa cour.
C’est Richard Ferrand, Muriel Pénicaud,
Collomb, Ismaël Emelien, et quelques
autres avec à leur tête la star de la
complaisance judiciaire Alexandre
Benalla, l’homme qui embarque et planque
son coffre-fort sous le nez de la police
sans que cela arrache un froncement de
sourcils au procureur, qui prétend
grossièrement contre l’évidence n’avoir
été en possession que d’un pistolet à
eau que l’on maintient sous le statut de
témoin assisté, qui semble depuis son
départ de l’Élysée multiplier les
infractions sans que là aussi il ne se
passe grand-chose. Jusqu’à cet article
récemment paru dans le Canard enchaîné
où l’on apprend que pour François Bayrou
qui connaît les mêmes soucis
d’assistants parlementaires au Parlement
européen que le Rassemblement National
et La France insoumise, il a été demandé
au parquet de n’effectuer absolument
aucune investigation susceptible de
chagriner le maire de Pau. Parquet qui
s’est paraît-il exécuté aimablement.
La contrepartie de
cette incroyable mansuétude, c’est la
multiplication
des avanies judiciaires contre le
Rassemblement National, et
contre Jean-Luc Mélenchon et son parti.
N’en jetez plus! Dernière petite cerise
sur le gâteau de ces dérives, la
publication ces jours-ci par la presse
du réquisitoire du PNF demandant le
renvoi de François Fillon devant le
tribunal correctionnel, parfait hasard
du calendrier bien sûr.
On pouvait penser
que cette connivence de la haute
fonction publique judiciaire avec le
plus haut niveau du pouvoir d’État
reposait sur des affinités
sociologiques, idéologiques, voire
politiques et ne concernait que cette
couche.
Malheureusement ce
qui vient de se produire, cette façon
dont l’appareil judiciaire, n’hésitant
pas devant des illégalités parfois
flagrantes, s’est mis avec zèle au
service d’une répression de masse contre
le mouvement des gilets jaunes, et avec
une violence sans précédent depuis la
fin de la guerre d’Algérie, démontre que
le mal est beaucoup plus profond. La
justice française se vit comme toujours
un outil de maintien de l’ordre au
service du pouvoir en place. J’avais
écrit il y a une quinzaine d’années à
propos de l’affaire d’Outreau que
les magistrats gardaient une culture qui
leur fait préférer l’ordre à la justice.
C’est toujours le
cas aujourd’hui, et la démonstration que
l’on vient de nous faire est une
véritable catastrophe institutionnelle.
La défiance envers l’institution
judiciaire va redevenir massive et pour
très longtemps.
Ce n’est pas une
bonne nouvelle.
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