Vu du Droit
Gilets jaunes et manipulations
étatiques de la violence : une vieille
histoire
Régis de Castelnau
Lundi 11 février 2019
L’époque est à la
dénonciation du « complotisme » concept
élastique et désormais complètement
galvaudé. Aidé par quelques supplétifs
zélés comme le démontre
la nouvelle « étude » réalisée par la
socialiste « Fondation Jean-Jaurès »,
et par les éditocrates habituels, le
bloc élitaire au pouvoir en fait deux
usages. Tout d’abord disqualifier toute
critique de la politique visant à
adapter la France à la mondialisation
financière et néolibérale, ensuite
justifier toutes les atteintes à la
liberté d’expression, celles déjà mises
en place et celles projetées. Gare à
celui qui prête des intentions et des
actions au pouvoir, l’anathème tombera
sur lui telle la foudre : «
complotiste ! ». Depuis le début du
mouvement « gilets jaunes » tous les
observateurs honnêtes ont été amenés à
se poser de beaucoup de questions
concernant le comportement des forces de
l’ordre dans les manifestations.
Certains ont été jusqu’à
accuser le ministère de l’intérieur de
laisser faire les casseurs dans le
but évident de disqualifier le mouvement
et de faire peur. Malgré certaines
évidences que la multiplication des
vidéos a pu établir, ils ont
immédiatement été foudroyés, hérétiques
et relaps, par l’accusation majeure : «
complotistes ! Comment pouvez-vous
imaginer que le pouvoir puisse user de
ce genre de comportement contre un
mouvement social ? » Eh bien justement
il peut. Et c’est de cela que je peux
témoigner.
23 mars 1979, la
grande provocation
J’ai constaté la
présence dans les manifestations de
policiers (?) sans uniforme, habillés
comme des Black blocks, et
munis de marteaux sur l’usage desquels
on pouvait légitimement s’interroger.
Lorsque l’on sait que sous le régime
d’Emmanuel Macron n’importe qui peut
s’affubler d’un brassard et tabasser des
manifestants, sans que la justice ne
s’en émeuve beaucoup. J’ai lu force
témoignages parlant de la passivité de
la police au moment des déprédations et
des pillages. J’ai vu que le profil des
personnes arrêtées en masse et
condamnées lourdement pour des
infractions fantaisistes, démontrait
qu’il ne s’agissait absolument pas des
casseurs habituels qu’en général la
police connaît. Alors, j’ai fini par me
dire « tiens cela me rappelle quelque
chose ».
C’était il y a
longtemps, 40 ans précisément au moment
des grandes luttes ouvrières qui sous la
présidence de Valéry Giscard d’Estaing,
s’opposaient au démantèlement commencé
de la sidérurgie française. La Lorraine
et notamment la ville de longwy vivaient
une situation de mobilisation populaire
intense bénéficiant d’un large soutien
dans l’opinion publique. Pour la
première fois le monopole d’État de
radiodiffusion était battu en brèche par
la création de la toute première et
illégale «
radio libre » nommée : « Lorraine Cœur
d’Acier ». Les organisations
syndicales décidèrent d’organiser
une grande manifestation à Paris le 23
mars 1979. Celle-ci aurait dû être
un grand succès, mais elle fut
complètement dévoyée par des violences
considérables dont furent accusés les
membres d’un groupuscule anarchisant
appelé « les autonomes ».
Naturellement, les médias ne
s’intéressèrent qu’aux violences,
pillages et déprédations. Et le pouvoir
giscardien par l’intermédiaire du
ministre de l’intérieur Christian Bonnet
ne se gêna pas pour enfoncer le clou
afin de disqualifier le mouvement des
sidérurgistes. Sollicité pour défendre
des personnes arrêtées à cette occasion,
ce fut une totale surprise de constater
que parmi elles ne figurait aucun des
fameux autonomes que l’on avait pu voir
sur les photos de presse. Étaient
poursuivis des manifestants paisibles,
parfois de simples passants, sur la base
de dossiers manifestement fabriqués, ou
sur des incriminations fantaisistes,
mais en aucun cas des casseurs. Ce qui
n’empêcha pas une justice zélée de
distribuer des peines considérables qui
furent confirmées en appel. Malgré la
mobilisation d’un barreau de gauche ou
les avocats socialistes avaient encore
le souci des libertés publiques. Un
autre épisode exactement de même nature
eut lieu cette fois-ci à longwy avec la
prise d’assaut et la fermeture par la
police de la radio libre, provoquant
ainsi une manifestation de protestation.
Celle-ci fut brutalement réprimée et
quelques participants arrêtés. Pour être
poursuivis sur la base de dossiers, j’en
témoigne, là aussi rigoureusement vides.
Les médias, quoique très différents de
ceux d’aujourd’hui, en profitèrent à
nouveau pour prétendre à la
disqualification du mouvement des
sidérurgistes.
Quand la CGT
enquête
La CGT, prise par
surprise par ce dévoiement et saisie de
nombreux témoignages entreprit alors un
minutieux travail d’enquête à base
d’investigations de recueil de
photographies et de témoignages qui
faisaient apparaître de façon criante
les manipulations de la police et la
volonté gouvernementale de cette
provocation. Le service d’ordre de la
CGT procéda d’ailleurs au moment de la
manifestation, lui-même à
l’interpellation de deux soi-disant «
autonomes » pour constater qu’il
s’agissait de policiers déguisés.
Utilisant ce travail et le complétant
avec celui que nous avions nous-mêmes
effectués dans la défense des personnes
poursuivies, Daniel Voguet, François
Salvaing et moi-même avons
publié un livre à ce moment-là intitulé
: « La Provocation » qui relatait la
façon dont les choses s’étaient
déroulées. C’était il y a 40 ans,
l’ouvrage a un peu vieilli ainsi que ses
auteurs mais d’une certaine façon il
reste de d’actualité car il témoigne
comment un pouvoir politique confronté à
un mouvement social populaire n’a aucun
problème pour utiliser manipulations et
provocations policières dans le but de
le disqualifier. À cela s’ajoute la
complaisance de la justice pour jouer sa
partition dans l’opération. Si celle-ci
fut déjà fort zélée à l’époque, ce qui
vient de se produire avec l’incroyable
répression de masse des gilets jaunes
montre qu’on pouvait faire pire. Je me
suis replongé dans la lecture de ce que
j’avais écrit il y a 40 ans, ce qui m’a
confronté à des bouffées de nostalgie
mais aussi à des rappels qui trouvent
quand même un drôle d’écho aujourd’hui.
Volonté du pouvoir de l’époque
d’affaiblir, isoler, et disqualifier la
lutte des sidérurgistes, s’attaquer de
front à des libertés fondamentales et
d’abord au droit de manifestation. Les
députés de la majorité refusèrent une
commission d’enquête parlementaire, la
presse de prendre en compte les preuves
fournies par la CGT, et les magistrats
acceptèrent de compléter le spectacle
policier par un spectacle judiciaire
tout aussi dévoyé. À la lumière de ce
parallèle avec aujourd’hui, je peux
rassurer ceux qui pensent que les gens
du pouvoir Macronien n’auraient aucun
scrupule à utiliser ce genre de méthodes
: ils ne sont pas complotistes ! Pas
plus que je ne l’étais il y 40 ans en
faisant la démonstration de
l’implication du pouvoir étatique de
l’époque.
Être réaliste,
pas complotiste
J’ajoute pour
conclure que dans l’histoire du
mouvement ouvrier et social, les
provocations policières et judiciaires
ont toujours été là. On rappellera que
la date du 1er mai fête
internationale des travailleurs, a été
choisie à cause de ce qui s’est passé le
1er mai 1886 à Chicago. Une
grève générale fut lancée pour obtenir
la journée de huit heures. Dans une des
manifestations qui se déroulaient une
bombe sera jetée dans la foule. Sans la
moindre preuve quatre dirigeants
syndicaux seront condamnés à mort et
pendus le 11 novembre 1887. Ils
montèrent à l’échafaud en chantant la
Marseillaise. En 1893, la révision du
procès reconnaîtra l’innocence des
inculpés ainsi que la machination
policière et judiciaire destinée à
briser le mouvement.
Emmanuel Macron et
Christophe Castaner n’en sont pas encore
là, heureusement. Mais penser, devant
certains événements évidents ou
troublants, que la brutale répression
qu’ils ont décidée contre le mouvement
des gilets jaunes peut faire l’objet de
dévoiements et de manipulations, c’est
être réaliste, pas complotiste.
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