Vu du Droit
L’Émission politique sur France 2 :
le pluralisme, pour quoi faire ?
Régis de Castelnau
Jeudi 4 avril 2019
Thomas Sotto journaliste audiovisuel qui
officie sur le service public est
semble-t-il un garçon charmant, mais il
lui arrive de faire preuve d’une
ignorance parfois épicée d’une touche
d’arrogance. Voyons à quelle occasion il
a laissé s’exprimer ces deux
caractéristiques qu’il partage
malheureusement avec beaucoup de ses
confrères. Le chagrinant beaucoup, le
Tribunal administratif de Paris, saisi
séparément en référé par Benoît Hamont,
Florian Philippot, et François
Asselineau a ordonné lundi à France
Télévisions d’inviter
ces trois candidats déclarés aux
élections européennes, au débat
organisé jeudi 4 avril dans L’Émission
politique sur France 2 entre les têtes
de liste ou bien à une autre émission
sur le sujet avant le 23 avril.
Thomas Sotto chargé
d’animer l’émission en cause y a vu une
atteinte « à la liberté de la presse
» ajoutant : «La
programmation de L’Émission politique ne
regarde pas la justice».
Bigre, que voilà de fortes paroles ! Et
notre journaliste du service public
audiovisuel de poursuivre en enfonçant
le clou, probablement histoire de faire
plaisir au magistrat qui a rendu une
décision pourtant clairement motivée : «Aujourd’hui,
il y a des gens qui se mêlent de ce qui
ne les regarde pas. ». Non mais,
c’est vrai ça ! C’est vous les
contribuables qui payez, c’est vous les
téléspectateurs qui regardez, c’est vous
les tribunaux qui veillez au respect de
la loi, mais c’est nous les journalistes
qui commandons, et n’avons de compte à
rendre à personne.
Eh bien on va
décevoir Monsieur Sotto, et lui dire
qu’il a tout faux. Cette façon de
s’exprimer est particulièrement
déplaisante et témoigne répétons-le
d’une ignorance et d’une arrogance qui
ne sont pas de mise. Il est loin d’être
l’éditorialiste le plus déplaisant de la
période, mais un retour à une forme de
modestie républicaine ne serait pas de
trop. Et puisqu’il ne semble pas
connaître le cadre juridique dans lequel
il exerce son métier qui est, on le
rappelle une profession réglementée,
nous allons tenter de le lui expliquer.
Et tout d’abord lui
rappeler que le respect du caractère
pluraliste de l’expression des courants
de pensée et d’opinion, est un principe
constitutionnel, tout simplement. Parce
qu’il s’agit d’une liberté fondamentale
à laquelle il ne lui est pas permis tout
compétent et brillant soit-il, d’en
faire ce qu’il veut.
Ensuite lui
rappeler aussi qu’il est journaliste sur
le service public, ce qui lui impose des
responsabilités particulières vis-à-vis
du peuple français. Le Conseil
constitutionnel a été très clair en 1986
puis en 1989 : « le respect du
pluralisme est une des conditions de la
démocratie » et que, plus largement,
« le pluralisme « constitue le
fondement de la démocratie ». Rien
que pour cela, il semblerait que
Monsieur Sotto devrait y réfléchir un
peu, au lieu de revendiquer des
prérogatives qui ne sont pas les
siennes. Surtout que le respect de ce
principe est particulièrement
fondamental à l’approche d’un scrutin
national. Pour en garantir la sincérité.
C’est bien
évidemment ce que le législateur a prévu
dans par la loi du 5 mars 2009 qui a
réorganisé l’audiovisuel public suivie
par un décret d’application qui a
approuvé
le cahier des charges de France
Télévision. Lequel prévoit très
explicitement l’obligation du
pluralisme dans son article 2, dont on
gage que pas grand monde parmi les
journalistes de France Télévisions n’a
dû le lire. Au passage on notera
ironiquement que le même article prévoit
que le groupe télévisuel public doit
garantir « l’expression de tendances
de caractère différent respectant
l’impératif de l’honnêteté de
l’information. » Sous la présidence
de Delphine Ernotte grande amie
d’Emmanuel Macron cette obligation
légale issue de l’application d’un
principe constitutionnel est constamment
foulée aux pieds, transformant le
service public en une sorte de perroquet
du pouvoir macronien. Mais cela ne
dispensait pas Thomas Sotto de la
respecter à l’occasion de l’organisation
de l’émission qu’il organise et anime.
Eh oui, parce que
celui-ci a violé la loi en faisant le
tri entre les candidats têtes de liste
pour les élections européennes, et qu’en
général, le viol de la loi relève de
l’appréciation du juge. Je comprends
qu’il puisse trouver cela terrible, mais
nous sommes contraints de lui rappeler
que quand on ne respecte pas la loi,
cela « regarde » pas mal le juge quand
même.
Rappelons enfin les
conditions dans lesquelles le juge
administratif est intervenu. Il a été
saisi de ce que l’on appelle un «
référé liberté », procédure
particulièrement solennelle utilisable
lorsqu’une liberté fondamentale est
gravement et manifestement violée par la
puissance publique ou l’un de ses
instruments. Compte tenu de l’urgence
qu’il y a à faire cesser cette
violation, le juge doit statuer dans les
48 heures. La décision qui a été prise a
été parfaitement motivée, et l’on peut
en retrouver les termes
sur le communiqué du Tribunal
administratif.
« Le tribunal
administratif a fait droit à ces
demandes en estimant que les décisions
de ne pas inviter ces trois candidats au
débat du 4 avril sont susceptibles de
porter une atteinte grave et
manifestement illégale à la liberté
fondamentale que constitue le respect du
principe du caractère pluraliste de
l’expression des courants de pensée et
d’opinion. »
Il serait peut-être
utile que les journalistes comprennent
qu’intervenir sur le Service public
financé par les citoyens leur impose des
responsabilités particulières.
L’Émission politique n’est pas un débat
sur une WebTV, ou sur Facebook, sur
laquelle ne repose pas les obligations
d’un cahier des charges particulier
spécifiquement prévus par la loi.
Passons maintenant
à l’arrogance dont Thomas Sotto a
souhaité orner son ignorance du cadre
juridique dans lequel il exerce son
métier. Celle qu’il a exprimée avec
cette phrase consternante : «
Aujourd’hui, il y a des gens qui se
mêlent de ce qui ne les regardent pas.
».
Eh bien on va
signaler à ce journaliste qui n’aime pas
que l’on se mêle de ce qu’il considère
être ses affaires et n’estime n’avoir
aucun compte à rendre, que nous sommes
en période électorale, ce qui dans une
république démocratique est un moment
très important. Et que les organes de
contrôle mis en place, et en particulier
le juge sont là pour veiller
scrupuleusement à ce que l’on ne porte
pas atteinte à la « sincérité du
scrutin ». Il peut y avoir une
Commission Nationale des Comptes de
Campagne, un Conseil Supérieur de
l’Audiovisuel, mais au bout de la chaîne
c’est toujours le juge qui au final
vérifie si les principes et la loi ont
été respectés et que dans ce cas on peut
considérer l’élection légitime. Si n’est
pas le cas, il a le pouvoir considérable
d’annuler le scrutin et d’en provoquer
un nouveau.
Et il se trouve que
pour les élections européennes, ce sera
le Conseil d’État, c’est-à-dire la
juridiction administrative à laquelle
appartient le Tribunal de Paris.
Celui-là même à qui Thomas Sotto
reproche de se mêler de ce qui ne le
regarde pas. Hélas pour lui, ça le
regarde, et il a accompli son devoir en
veillant au respect des libertés
fondamentales et notamment celle
relative au pluralisme, essentiel à
l’organisation de scrutins sincères et
légitimes.
Notre pays traverse
une phase délicate, probable conséquence
des conditions anormales et non
sanctionnées dans lesquelles s’est
déroulée l’élection présidentielle de
2017. Le rejet d’Emmanuel Macron trouve
aussi sa source dans le trouble qu’a
laissé dans l’opinion l’arrivée au
pouvoir d’un parfait inconnu, porté
financé, et médiatisé par les grands
intérêts. Depuis deux ans, la liberté
d’expression a subi des attaques très
inquiétantes, que ce soit par le vote de
lois liberticides, ou la confiscation
des grands médias par une certaine
oligarchie. Et la couverture du
mouvement des gilets jaunes a suscité
rejet et rage dans l’opinion. Il ne
serait pas sérieux de le nier, ou de le
sous-estimer. Les journalistes et
notamment ceux qui officient sur le
service public seraient avisés de se
rappeler quelle est leur mission et
quels sont leurs devoirs.
Thomas Sotto est
loin d’être le plus caricatural, mais
sur le coup, il a probablement perdu une
occasion de se taire.
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