Vu du Droit
« Harcèlement de rue », quand Emmanuel
Macron cherche à faire diversion
Régis de Castelnau
Mercredi 1er août 2018
Comment une communication désinvolte
sabote l’indispensable travail qui
devrait être effectué pour traiter ce
qui constitue pour trop de femmes dans
l’espace urbain une plaie insupportable.
Nous créerons le
délit d’outrage sexiste verbalisable
immédiatement avec un montant
dissuasif.#NeRienLaisserPasser». La
rédaction martiale de ce tweet issu du
compte d’Emmanuel Macron nous annonçait
au mois de février que les harceleurs de
rue et les coinceurs d’ascenseur
n’auraient qu’à bien se tenir.
Hélas, comme
d’habitude, la communication désinvolte
avait pris le pas sur le sérieux que
l’on devrait pouvoir attendre d’un
Président de la République en exercice
sur un sujet comme celui-là. Le débat
lancé par le déclenchement de l’affaire
Weinstein avait généré un impressionnant
foutoir, devenu guerre des sexes où
régnait une grande confusion. Médias et
réseaux mélangeant tout, les néo
féministes faisaient de l’homme un
prédateur à priori, contre lequel on
réclamait à grands cris et avec la
gourmandise habituelle une répression
pénale accrue. Punir, punir, punir
passion mauvaise du gauchisme culturel.
Le harcèlement de rue est une plaie et
c’est un vrai sujet de société qu’il
conviendrait d’aborder sérieusement.
Malheureusement la rédaction du tweet
prouvait Emmanuel Macron partage
l’inculture juridique de la haute
fonction publique dont il est issu. La
sinistre affaire Benalla nous démontre
que sa culture démocratique n’est pas
terrible non plus. Et c’est d’ailleurs
la raison pour laquelle soucieux de
monter une diversion, il a demandé à
l’inénarrable Marlène Schiappa
d’annoncer la loi contre le harcèlement
de rue. Dans des termes qui ont pu faire
croire que le texte était voté et
attendait sa promulgation. Rien de tel
puisqu’il s’agit d’un projet
gouvernemental dont le Parlement va être
saisi. Et dont le Conseil
Constitutionnel aura à connaître.
Avec un radar
Madame Schiappa ?
Cette déclaration
flamboyante avait reçu à l’époque un
accueil pour le moins mitigé des
juristes mais également des policiers.
Emmanuel Macron nous avait annoncé la
création d’un « délit », le
projet de loi parle de «
contravention » qui relève du régime
des infractions les moins graves. Où la
simple constatation irréfutable et
personnelle par agent assermenté
(stationnement gênant, franchissement de
ligne jaune, traversée en dehors des
clous …) d’une infraction au code de la
route permet d’infliger une amende sans
qu’il soit besoin de passer devant un
juge
« Outrage
sexiste » ensuite, qu’est-ce que
cela pouvait bien vouloir dire ? Le
délit de harcèlement existe, et il
relève du passage en correctionnelle à
la suite d’un débat contradictoire. Ce
qui ne veut pas dire qu’il soit facile
de l’établir. Après avoir été une
première fois retoqué par le Conseil
Constitutionnel il a désormais sa place
dans le code pénal. Mais l’outrage
sexiste devenu « harcèlement de rue
» dans le projet de loi se réfère à des
gestes, des paroles et des regards (!).
Ces comportements qu’en général le
harceleur de rue fait rapidement et sans
témoin, et surtout pas en présence d’un
représentant assermenté des forces de
l’ordre. C’est d’ailleurs tout le
problème, puisque la preuve de ce
comportement est très difficile à
rapporter, et que les principes
internationalement reconnus du droit
pénal interdisent l’inversion de la
charge de la preuve. La pauvre
Marlène Schiappa nous dit sans mollir et
sans crainte du ridicule que la
constatation pourra se faire comme un
excès de vitesse ! Avec un radar
Madame Schiappa ? Le propre de ce type
de contravention est justement d’être
immédiatement et irréfutablement établi
par un agent assermenté. Permettant
ainsi la perception d’une amende de
composition, sans passage devant un juge
et sans débat contradictoire.
Soyons sérieux, « verbalisation
immédiate » et la perception d’une
« amende dissuasive » sans
recours à l’intervention du juge, dans
la pratique, c’est même pas en rêve. « Le
harcèlement de rue », ce sont des
paroles, interpellations, moqueries,
insultes qui peuvent rendre
insupportable et humiliante la traversée
de certains quartiers et l’usage des
transports en commun. Si un agent
assermenté est dans les parages (ce qui
arrive parfois), et s’il a l’oreille qui
traîne ne pourra faire autre chose que
d’établir un procès-verbal DE CE QU’IL A
ENTENDU LUI-MÊME.
Regard appuyé :
le triomphe du raisonnement circulaire
Mais il y a une
question encore plus préoccupante due au
fait que nous sommes en matière
d’expression. La liberté de celle-ci est
un principe constitutionnel intangible.
Il peut y avoir des limitations mais qui
doivent être strictement limitées. Avec
une règle impérative qui veut que ce
soit le juge qui apprécie souverainement
l’infraction, la réalité des mots
prononcés ou écrits, et bien sûr le
contexte particulier. Lors d’un de ses
spectacles, Guy Bedos avait traité
Nadine Morano de « conne », ce qui est
littéralement une injure. Celle-ci avait
déposé plainte, mais le tribunal
correctionnel avait relaxé l’amuseur au
motif, non pas comme l’ont prétendu les
imbéciles que Nadine Morano méritait
réellement le qualificatif, mais que
cela était acceptable dans le contexte
des sketches de Bedos. Avec ce qui nous
est proposé, rien de cela ne sera
possible. Si Laurent Fabius se rappelle
qu’il n’est pas là pour que le Conseil
Constitutionnel rende des services mais
des arrêts, on ne voit pas très bien
comment ce texte ne pourrait pas sortir
en charpie de cette épreuve.
Et dans la
pratique, comment l’agent verbalisateur
pourra-t-il apprécier tout seul ce qui
pourrait être outrageant ? La langue
française recèle des trésors d’injures
et d’insultes de nature à concurrencer
le répertoire du capitaine Haddock. Dont
beaucoup ont comme caractéristique le
double, voire le triple sens. Et comme à
tout cela, il faut ajouter la
subjectivité de la personne qui reçoit
les paroles en cause, un malentendu est
vite arrivé. Faudra-t-il établir une
nomenclature que les gardiens de la paix
auraient toujours sur eux ? Il y a aussi
la fabuleuse incrimination qui vise à
réprimer les « regards appuyés ». Qui ne
peut déboucher que sur une définition
circulaire : « qu’est-ce qu’un regard
appuyé ? C’est un regard lourdingue.
Qu’est-ce qu’un regard lourdingue ?
C’est un regard appuyé ».
En tout cas, les organisations
syndicales de policiers disent toutes
que ce texte serait inapplicable et que
les forces de l’ordre ont autre chose à
faire.
Une fois de plus
mauvaise pioche, le jeune roi tout à sa
recherche d’une diversion à l’affaire
Benalla traite par-dessous la jambe un
problème pourtant très sérieux. En
proposant au Parlement d’instaurer une
nouvelle limitation impraticable à la
liberté d’expression. Qui ne fera en
rien avancer le nécessaire traitement de
ce qui relève de l’éducation et de la
culture.
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