Opinion
Les leçons à tirer de la défaite de
Monsanto
à Córdoba, en Argentine
Raúl Zibechi
Dimanche 9 février 2014
Il n’est possible de vaincre les
multinationales que si un puissant
mouvement social, soutenu par une partie
significative de la population, se met
en place. Un tribunal provincial de
Córdoba a rendu son verdict : Monsanto
doit arrêter la construction d’une usine
de traitement de semences de maïs
transgénique située à Malvinas
Argentinas, dans la proche banlieue de
Córdoba. Ce jugement fait suite à un
recours d’amparo présenté par les
habitants de la zone, qui campaient aux
portes du chantier depuis trois mois.
La mobilisation a débuté sous
l’impulsion d’habitants isolés et de
plusieurs petits groupes comme les
« Mères d’Ituzaingó » et l’Assemblée des
Habitants de Malvinas en Lutte pour la
Vie, et a réussi à survivre malgré les
menaces proférées par le gouvernement
provincial et le syndicat de la
construction. Le soutien et la sympathie
montrés par la population de Malvinas
Argentinas à l’égard de la résistance
ont poussé la justice à prendre la
décision de paralyser les travaux ce 9
janvier dernier.
Ce sont toujours de petits groupes
qui initient le combat, sans se soucier
du « rapport de forces », mais plutôt de
la justice de leurs actions. Ensuite
(quelquefois bien plus tard), l’État
finit par reconnaître que ces critiques
sont fondées. Plus tard encore, ceux qui
étaient considérés comme des criminels
se transforment en héros, y compris aux
yeux de ceux qui les réprimaient. Pour
moi, le plus important est le changement
culturel, la diffusion de nouvelles
manières de voir le monde, et c’est ce
que montre l’histoire des luttes
sociales.
Bien avant que les lois
ségrégationnistes des États-Unis ne
soient abolies, la discrimination avait
déjà été vaincue dans les faits. Le 1er
décembre 1955, Rosa Parks, une femme
ordinaire, refusa de s’asseoir sur les
sièges réservés aux Noirs dans l’autobus
et s’assit sur un des sièges réservés
aux Blancs. Elle fut arrêtée pour avoir
enfreint la loi de Montgomery (Alabama).
Son exemple fut suivi par des dizaines
de personnes, tout comme des dizaines de
personnes l’avaient précédée. C’est
parce qu’il en a entraîné beaucoup
d’autres que son acte de désobéissance a
eu autant d’impact.
En 1960, Franklin McCain, un
activiste noir de 73 ans résidant en
Caroline du Nord, s’assit un soir avec
trois amis au comptoir d’une cafétéria
de la chaîne Woolworth, dans la ville de
Greensboro. Or, cet endroit était
réservé exclusivement aux Blancs. Ils
commandèrent du café et attendirent
toute la journée, mais ne furent jamais
servis. Ils revinrent le lendemain,
malgré les insultes des Blancs et les
menaces des policiers. À la fin de la
semaine, ils étaient des centaines et
l’action s’était étendue à des dizaines
d’autres villes. La chaîne Woolworth se
vit obligée d’autoriser l’entrée aux
Noirs. Mais ce n’est qu’entre 1964 et
1965 que l’État se vit forcé de
supprimer les lois de discrimination
raciale, sous un gouvernement que,
compte tenu des paramètres actuels (et
en gardant en tête qu’il s’agit là des
États-Unis), nous pourrions qualifier de
« progressiste ».
C’est là, selon moi, l’un des
enseignements les plus importants que
nous laisse la victoire de la population
de Malvinas Argentinas contre Monsanto.
Nous devons mener nos actions de la
manière la plus intelligente et lucide
possible, pour que les gens se sentent
concernés et puissent les mener à bien.
Il faut déclencher des actions simples,
pacifiques, qui mettent au jour les
problèmes auxquels nous devons faire
face, comme par exemple s’asseoir à la
place que nous voulons dans le bus, et
non là où on nous l’impose, ou encore
camper aux portes d’une des
multinationales les plus puissantes du
monde.
Ce qui s’ensuivra ne dépend plus de
nous. Le soutien, la sympathie et la
participation à la protestation, de
quelque manière que ce soit, d’une
partie significative de la population
dépendent de facteurs que personne ne
peut contrôler et pour lesquels il
n’existe pas de tactiques ou de recettes
préétablies. Du point de vue du
mouvement social et des changements qui
sont nécessaires, nous ne pourrons pas
vaincre l’extractivisme en demandant à
l’État de légiférer. C’est lorsque ce
modèle aura été vaincu politiquement et
culturellement que les lois suivront.
Il est évident qu’au-delà de leur
orientation concrète dans chaque pays,
les gouvernements de la région
s’appuient sur l’extractivisme. Mais
c’est à nous, les gens ordinaires, de
nous organiser afin de vaincre ce modèle
grâce à des milliers de petites actions
comme celles menées par les « Mères de
Ituzaingó », et maintenant par les
membres du campement de Malvinas
Argentinas.
*
Raúl Zibechi, journaliste urugayen,
écrit pour Brecha et La Jornada et est
un des collaborateurs d’ALAI.
Alai-Amlatina.
Équateur, le 1er janvier 2014.
Traduit de l’Espagnol pour
El Correo par Eva Tanquerel
El Correo, paris le 3 février 2014
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