Quand Rania cause
...
La Fusée
Rania Talala
Mercredi 24 août 2016
Je m’appelle Ahmad. J’ai dix ans. Je
suis né à Gaza.
Comme tous les
enfants de mon âge, je vais à l’école.
Mon école est originale : le plafond est
à moitié cassé et y’a des trous sur les
murs et le tableau.
Ça ne me dérange pas car à travers les
trous, je suis la lumière et je rêve
encore plus loin.
Et puis, j’ai
jamais su vraiment ce que c’était une
vraie école comme on voit à la télé.
Avec mes frères, on a inventé un jeu
pour deviner combien de temps la télé
tiendrait avant qu’elle ne s’éteigne de
nouveau. En général, je gagne.
C’est moi le plus fort ! C’est rigolo.
Hier, on n’a pas eu
la télé de la journée. Cela ne nous a
pas dérangé, on est habitué au système
D.
C’est maman que cela embête et elle se
met à insulter les colons de tout son
cœur comme s’ils allaient l’entendre !
Parfois, elle parle
à Allah en levant les mains vers le
ciel. Souvent, j’ai envie de lui dire
que déjà, qu’on n’a pas d’électricité,
alors la wi-fi vers là-Haut…
Là-Haut… En ce jour sans télé, j’ai eu
envie de fabriquer une fusée. J’ai
trouvé l’idée géniale !
Je suis sorti comme
une furie et sans prévenir maman (trop
occupée de toute façon à allumer les
bougies), à la recherche de mon matériel
de construction.
Pas des Lego. Non.
Y’ en n’a pas chez nous.
On m’a dit qu’il y en avait là-bas, là
où il y a la mer et les lumières même la
nuit.
Connais pas…
Sur mon chemin,
j’ai récupéré des boites de conserve,
des bouts de ficèle et un reste de
pétard.
Je crois que
c’était la plus belle fusée que j’avais
construite de ma vie (et la seule).
Je me disais que je pourrais y mettre
les messages de maman et que cela
arriverait enfin à destination.
J’étais super
fier !
Les copains et les
petits voisins sont venus assister au
décollage de mon engin.
J’avais la boule au ventre ! Fallait que
ça aille haut, très Haut !
Ils frappaient des
pieds et des mains : « Yallah Abu Hmed !!! »
qu’ils me disaient !
J’ai ordonné le silence. Ces dizaines de
petits yeux étaient plus excités que moi
encore.
De mes mains
tremblantes, j’ai cherché les allumettes
au fond de ma poche presque trouée, elle
aussi, à l’image de mon école.
J’ai respiré bien fort. Je n’ai expiré
qu’une fois la petite mèche allumée.
Et elle s’est
envolée. Loin… Et très haut.
Et elle a disparu.
On s’est regardé,
hagards. Mais où était-elle passée ?
On l’a cherchée partout mais impossible
de la retrouver ! Et j’ai senti une
larme, sur ma joue, couler.
Et d’un coup…
Plein de feux
d’artifices au-dessus de nos têtes !
C’était énorme ! On était en plein
jeu-vidéo !
Je regardais vers
là-haut, la bouche ouverte.
J’avais jamais vu
autant de Lego tomber du ciel ! Des
Legos géants !
Et les feux
d’artifices continuaient d’exploser.
Dix, vingt, trente, quarante, cinquante
feux d’artifice !
Je suis tombée par
terre, écrasé par un Lego géant.
J’ai tenté un léger
râle. J’avais même plus la force pour
jouer avec. Le comble!
C’était en août
2016, je crois…
En tout cas ce qui
est sûr, c’est que c’est fini : je ne
ferai plus jamais de fusée.
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