Palestine
La mise hors-la-loi du Mouvement
islamique :
un cadeau pour les citoyens palestiniens
Rami Younes
Raed
Salah, dirigeant de la branche nord du
Mouvement islamique en Israël, au cours
d’une importante manifestation et grève
générale en solidarité avec les
Palestiniens de Jérusalem, de
Cisjordanie et de Gaza, dans la ville de
Sakhnin, dans le nord, le 13 octobre
2015. Suite aux restrictions contre al-Aqsa
et aux récentes attaques violentes tant
contre les Israéliens que contre les
Palestiniens, ces derniers appellent à
une Journée de la Colère. (Photo : Yotam
Ronen / Activestills.org)
Mercredi 18 novembre 2015
La mise hors-la-loi de la branche nord
du Mouvement islamique est une nouvelle
étape maccarthyste de l’État israélien.
Mais ceux qui pensent que cela va
arrêter le mouvement se trompent
lourdement.
Dites ce que vous voulez à propos de
l’État juif, mais ne dites tout
simplement pas que la seule démocratie
de la planète ne cesse jamais de nous
défier. Lundi soir, le ministre de la
Défense Ya’alon a signé une ordonnance
de mise hors-la-loi de la branche nord
du Mouvement islamique. À la suite de
cette décision, la police a effectué des
raids dans les bureaux de 17
organisations non marchandes connectées
au groupe, a confisqué des documents et
du matériel, a gelé des comptes
bancaires et a annoncé qu’elle allait
interroger leurs dirigeants, dont Sheikh
Raed Salah.
Voici donc une nouvelle décision
maccarthyste prise à votre égard par
l’establishment sioniste, tant de gauche
que de droite. Et, alors que les
dirigeants palestiniens en Israël sont
occupés à condamner cette décision, un
examen plus attentif montre que la
décision du cabinet de la sécurité n’est
rien de moins qu’un cadeau au public
palestinien en Israël.
Il est vrai que les dirigeants du
mouvement vont être persécutés. À vrai
dire, voilà un bout de temps déjà qu’ils
sont persécutés. Désormais, l’État veut
seulement être mieux à même de rappeler
ses sujets à l’ordre. Puisque les
dirigeants de la branche nord ont
annoncé précédemment qu’ils
accepteraient d’aller en prison (Raed
Salah y a déjà passé pas mal de temps),
eh bien, ils en auront de nouveau
l’occasion. Mais les menaces contre ces
dirigeants, qui représentent une section
considérable du public arabe,
signifieront-elles qu’ils cesseront
d’exister ? La réponse est non. En fait,
ils n’en deviendront que plus
populaires. Cette mesure pourrait même
sortir un certain nombre de Palestiniens
de leur torpeur politique, en leur
fournissant une preuve de plus de la
façon dont l’État nous perçoit.
Que ce soit ouvertement ou
clandestinement, le Mouvement islamique
continuera d’exister. Raed Salah a déjà
annoncé qu’il continuerait à agir en
tant que dirigeant du mouvement. La
tentative de dissuasion de l’État ne
portera pas ses fruits, pour la simple
raison qu’il existe un sentiment
débordant de persécution chez les
citoyens arabes et que cela a été
particulièrement ressenti au cours des
quelques derniers mois. Si le public
palestinien se sent persécuté, il va
préférer s’unir et mettre de côté ses
différences (un phénomène similaire à ce
qui s’est produit lors de la formation
de la Liste unie dans la course aux
dernières élections). Le but de cette
décision, qui a été prise dans le
sillage de l’épisode
« mufti-Hitler » de Netanyahou et
qui a directement suivi l’horrible
massacre de Paris, est de déshumaniser
la minorité palestinienne d’Israël.
Voilà comment le racisme montre sa
sale gueule, comment la violence contre
les Arabes atteint des niveaux
dangereux, comment les responsables du
gouvernement incitent à la haine au
quotidien contre les citoyens
palestiniens. Aujourd’hui, l’État et la
police incitent les gens contre les
dirigeants légitimes d’une section
importante du public arabe – et qui
représentent les citoyens les plus
pauvres du pays – dans une tentative
pathétique de transformer la lutte
contre l’occupation en un conflit
religieux.
Les critiques avancées par les hommes
politiques israéliens – tant de gauche
que de droite – à l’égard du Mouvement
islamique est la preuve ultime de la
façon dont on peut déformer la réalité.
Cela ne sert à rien de répondre à la
droite, puisqu’elle veut mettre les
Palestiniens eux-mêmes hors-la-loi. Mais
je répondrai toutefois à la gauche
sioniste.
Ce matin, le dirigeant de la gauche
sioniste, Isaac Herzog, a publié un
tweet dans lequel il compare le
Mouvement islamique aux extrémistes
juifs d’extrême droite, comme si nous
n’étions pas confrontés à l’occupation
et à l’oppression. Tout le monde est
partenaire des mesures grotesques de ce
gouvernement et il n’y a pas de
meilleure preuve de la chose que le
soutien de Herzog au gouvernement, dans
cette question, et il est loin d’être le
seul.
Les Palestiniens laïcs ne cachent pas
leurs critiques à l’égard du Mouvement
islamique. Socialement, il représente
une idéologie avec laquelle il nous est
difficile d’être d’accord, puisqu’elle
discrimine la communauté LGBT
(lesbiennes, gays, bisexuels et
transgenres) palestinienne et qu’elle
s’oppose à l’égalité entre hommes et
femmes, tout en ne tarissant pas
d’efforts pour maintenir en place la
structure patriarcale de la famille
palestinienne traditionnelle. Mais il
s’agit d’un débat interne réservé aux
Palestiniens et dans lequel il n’y a que
nous qui avons le droit d’exprimer nos
opinions. Politiquement, des franges
importantes du Mouvement islamique
considèrent l’occupation comme faisant
partie d’une guerre religieuse plus
vaste. Nous luttons contre ce point de
vue et tout particulièrement parce qu’il
ne fait qu’apporter de l’eau au moulin
de l’agenda sioniste. Mais cela, une
fois encore, est un problème interne.
La communauté religieuse
palestinienne mérite à la fois une voix
et des dirigeants – telle est l’essence
de la démocratie. Que nous soyons
d’accord ou pas avec l’idéologie du
groupe ne regarde que nous, et il
convient de mettre nos dissensions de
côté afin de soutenir un mouvement qui
représente une partie importante du
peuple palestinien. Voici venus les
jours où nous allons entendre les
sionistes répéter la rengaine :
« Soyez contents qu’on vous a permis de
vous exprimer et de tirer parti de notre
démocratie. » Et attendez-vous à
entendre ces propos exprimés souvent ,
dans un proche avenir.
C’est notre droit, en tant que
Palestiniens et êtres humains, de dire
tout ce que nous aimerions dire. Ce
droit ne nous a pas été accordé par qui
que ce soit, et surtout pas par
l’establishment. Aussi longtemps qu’on
nous privera de nos droits, nous
continuerons à nous exprimer – même si
cela implique d’avoir à lutter contre un
régime maccarthyste. C’est notre droit
naturel en tant que peuple autochtone de
cette terre, et qu’importe ce que
croient les dirigeants de la seule
démocratie de la planète.
Publié le 17 novembre 2015 sur
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Traduction : Jean-Marie Flémal
L’auteur est un militant et écrivain
palestinien. Cet article a d’abord été
publié en hébreu sur le site Local Call,
où il opère en tant que blogueur.
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