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Légende et colonialisme : le roi David
n’a pas existé,
mais il est interdit de le dire
Pierre Stambul
Dimanche 21 janvier 2018
Par Pierre Stambul. Publié dans le
numéro de janvier 2018 du mensuel CQFD.
Les fondateurs du
sionisme n’étaient pas religieux. Herzl
était agnostique et Ben Gourion était
athée, considérant les rabbins comme des
arriérés.
Mais ces braves gens ont utilisé la
Bible comme un livre de conquête
coloniale, croyant ou feignant de croire
à l’historicité de la Bible.
« Dieu n’existe pas, mais il a donné
cette terre au peuple juif »
auraient-ils pu dire.
L’histoire est têtue
Aujourd’hui, les
archéologues et les historiens sont
arrivés à un consensus. L’épisode
d’Abraham est légendaire. Les Hébreux ne
sont pas arrivés de Mésopotamie, il n’y
a pas la moindre trace d’un tel
déplacement.
Les Hébreux ne sont ni rentrés ni sortis
d’Égypte. Moïse et son berceau sur le
Nil ou Joseph « ministre du pharaon »,
c’est une légende. Le Sinaï était alors
une province égyptienne truffée de
garnisons et le passage d’un peuple dans
cette région aurait forcément laissé des
traces. Or la première preuve historique
de l’existence d’un peuple « d’Israël »
est postérieure : c’est la stèle du
pharaon Mérenptah (1207 av JC) qui parle
d’un peuple vassal.
La conquête
sanglante de Canaan par Josué n’a pas eu
lieu. Les trompettes n’ont pas sonné à
Jéricho. Les Hébreux sont un peuple
autochtone et ils ne se sont pas conquis
eux-mêmes. Dommage pour les colons qui
affirment que « Dieu a donné cette terre
au peuple juif » et qui veulent imiter
contre les Palestiniens le nettoyage
ethnique sanglant de Josué contre les
« peuples impies ».
Le royaume unifié
de David et Salomon n’a probablement
jamais existé. À l’époque présumée de
David et Salomon, Jérusalem était un
petit village de l’âge de fer. Tant pis
pour le « grand temple de Salomon » dont
les collégiens de ma génération devaient
apprendre le plan par cœur. Et tant pis
pour la reine de Saba qui nous a fait
rêver. Il y a bien une stèle postérieure
de quelques siècles qui parle d’un roi
David mais ce n’est pas celui de la
Bible. Si celui-ci a existé, il avait un
troupeau un peu plus grand que ceux des
autres bergers. Les deux royaumes
d’Israël (détruit par les Assyriens) et
de Judée (détruit par les Babyloniens)
ont une existence historique avérée.
Avant, on est dans la légende.
Ces faits sont
connus depuis longtemps. Dans « La Bible
dévoilée » (2001), deux Israéliens
(l’archéologue Israël Finkelstein et
l’historien et archéologue Neil Asher
Silberman) racontent l’évolution du
savoir. Depuis, Shlomo Sand ou
l’archéologue français Jean-Baptiste
Humbert ont confirmé, voire amplifié le
caractère légendaire du récit biblique.
La Bible a largement été écrite pendant
l’exil des Juifs à Babylone au VIe
siècle avant JC.
Une tentative
pitoyable
Pour les autorités
israéliennes, ce savoir historique fait
désordre. Nétanyahou est souvent affublé
par ses partisans du sobriquet de « roi
d’Israël » ressuscitant le prétendu
royaume unifié de l’Antiquité. Les
principaux rites et les principales
fêtes juives sont liés à l’épisode
égyptien et à l’esclavage dont les Juifs
se seraient libérés. Et le roi David est
censé avoir combattu les Philistins qui
ont donné leur nom à la Palestine. La
référence à l’ennemi héréditaire est un
enjeu.
Du coup, les
autorités israéliennes ont multiplié les
fouilles pour prouver que les
archéologues s’étaient trompés. Hélas,
l’histoire est têtue. Tout ce qu’on
avait attribué à Salomon et David est
soit antérieur (les ruines de Megiddo),
soit postérieur (les ruines d’Hatzor),
soit n’a rien à voir avec les rois
légendaires (les mines dites « du roi
Salomon » sont clairement égyptiennes).
Quant aux fouilles menées à coup de
tunnels sous l’esplanade des mosquées au
risque de provoquer une révolte
généralisée, elles n’ont rien donné.
Grande histoire et
petite histoire
Dans les
universités israéliennes, il y a deux
départements d’histoire. Il y a
l’histoire classique, celle qui produit
des articles et des thèses. Dans ce
département, un étudiant qui voudrait
faire une thèse sur l’historicité de
David et Salomon serait traité comme un
charlatan, un peu comme un étudiant
français qui voudrait faire une thèse
sur le créationnisme.
Mais il y a aussi
un département « d’histoire juive ».
C’est ce département qui fabrique les
programmes et qui définit le « roman
national » sioniste. Dans ce
département, le récit biblique est
sacré. Parfois, il faut même broder
autour de ce récit. Les autorités
israéliennes ont donc décidé que le roi
David avait vécu à Silwan.
Nettoyage ethnique
biblique
Silwan, c’est un
des quartiers qui a été incorporé dans
Jérusalem Est, en contrebas de la
vieille ville. Il y a 50 000 habitants.
Depuis des années, les colons
envahissent ce quartier, réquisitionnant
des maisons et expulsant les habitants.
Le gouvernement israélien travaille avec
l’association de colons « Ateret Cohanim »
pour faciliter le nettoyage ethnique en
cours.
Il y a une tente de la solidarité au
centre du quartier. Les habitants
s’organisent, racontent les incursions
des colons et de l’armée. Les écoliers
disent que, quand ils rentrent de
l’école, ils ne sont pas sûrs que leur
maison ne soit pas occupée. Il y a déjà
2800 colons installés dans le quartier.
« Justification »
des autorités coloniales : elles
construisent à Silwan le musée du roi
David, la maison du roi David et surtout
le Parc du roi David. C’est connu, ce
brave roi était un précurseur de
l’écologie.
Comme la vieille
ville de Jérusalem est appelée par les
Israéliens « cité du roi David », comme
il y a déjà un « parc national » du roi
David, comme on peut bien sûr visiter le
« tombeau du roi David » sur le mont
Sion à Jérusalem Est, le tour est joué.
Les autochtones n’ont plus qu’à
déménager.
Pierre Stambul
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