France-Irak
Actualité
« Charlie » et l’Afrique…
Témoignage d’un général français de
retour du Mali
Pierre Michel Joana
Jeudi 26 février 2015
Par le général Pierre Michel
Joana (revue de presse :
marecalunjour.unblog.fr –
23/2/15)*
Merci pour ce moment (5
février 2015)
Je viens de rentrer d’une semaine à
Bamako, où j’ai travaillé avec des
Maliens, des Nigériens et des
Mauritaniens, sur des questions de lutte
anti-terrorisme. J’étais accompagné
là-bas par une collègue belge et un
collègue espagnol.
Dans le petit hôtel « le Campagnard
», où nous étions logés et où se
déroulaient nos réunions, la télévision,
comme souvent en Afrique était allumée
toute la journée. La chaîne France 24,
chaîne chargée de faire connaître le
rayonnement de la France, diffusait
plusieurs fois par jour, un petit clip
d’une minute où l’on pouvait voir toute
une succession de personnes, de toutes
origines ethniques, portant une pancarte
« je suis Charlie ». A la fin, ça
devenait énervant, même pour moi. Cela
l’était encore plus pour mes amis
africains. Depuis la parution du dernier
numéro de Charlie Hebdo, vendu à
plusieurs centaines de milliers
d’exemplaires, à des collectionneurs
opportunistes et à des gens sincères,
encore sous le coup de l’émotion, les
Musulmans d’Afrique noire sont de moins
en moins Charlie et de plus en plus
Coulibaly.
Ils ne sont pas pour autant complices
des djihadistes, dont ils subissent tous
les jours les atrocités, dans
l’indifférence générale de tous les
Charlies, partis depuis en vacances de
neige, mais ils n’aiment pas que l’on se
moque de leur Prophète.
Évidemment, ils ne sont pas assez
développés, ni instruits, ni tolérants,
pour apprécier à leur juste valeur les
subtilités de la laïcité à la française,
de la liberté d’expression et du droit
au blasphème germanopratin. Moi non plus
d’ailleurs, mais c’est normal étant
donné que j’ai passé toute ma vie à
essayer, comme «l’adjudant Kronenbourg,
soldat à la solde du grand capital», de
défendre mon pays et de permettre à ceux
de Charlie, qui au fond, me haïssaient,
de le faire en toute liberté.
Il n’empêche que grâce à tous ces
bien-pensants, les trois abrutis qui ont
assassiné les journalistes de Charlie
Hebdo, puis les clients du magasin
casher de la porte de Vincennes, ont
atteint leur but au-delà de tout ce
qu’ils avaient pu imaginer dans leurs
petites têtes de crapules, rattrapées
par la foi.
Le chef d’état du Mali, Ibrahim
Boubacar Keita, doit, rappelons-le, son
élection à l’appui du Président du Haut
Conseil Islamique de son pays, l’Imam
wahhabite Mahmoud Dicko. Il a, je
suppose, dû être fortement convaincu de
venir à Paris le 11 janvier, pour
manifester sa solidarité au nom de ce
qu’il doit à la France et à ses amis
socialistes. Il est désormais
complétement discrédité. Son peuple,
depuis la parution du dernier Charlie,
lui reproche sa complicité avec les
blasphémateurs.
France 24 le lui rappelle toutes les
deux heures.
Le chef d’état du Niger, Mahamadou
Issoufou, de la même obédience, et en
difficulté face à son opposition, mais
aussi face à la menace venant de Libye,
du Mali et de Boko Haram, a également dû
être convaincu par les conseillers de
l’Elysée qu’il serait bien qu’il vienne
aussi défiler à Paris. Que pourrait-il
refuser à Paris dans la situation où il
se trouve ? Manque de chance, depuis la
sortie de la dernière caricature du
Prophète, son peuple l’assimile aux
blasphémateurs, aux Chrétiens, aux
blancs, aux occidentaux, donc aux
Français. Le peuple a d’ailleurs réagi
plus violemment qu’au Mali. Les
manifestations ont fait plus de dix
morts, tous musulmans. 25 églises ont
été détruites, le centre culturel
français de Zinder également, ainsi que
le restaurant « le Toulousain » de
Niamey. C’est dans ce petit restaurant,
tenu par un Français, qu’avaient été
enlevés, par les djihadistes en janvier
2011, deux jeunes Français retrouvés
morts le lendemain par nos forces
spéciales, près de la frontière
malienne. Au Niger aussi, France 24
rappelle toutes les deux heures que nous
sommes Charlie.
Et deux de chute, Messieurs les
Présidents.
Dans la rue à Bamako, certains vous
disent qu’ils sont Coulibaly. Il faut
dire que ce patronyme est plus courant
là-bas que celui de Charlie.
Coulibaly de France, tu n’es pas mort
pour rien.
Ma collègue Belge, qui s’était
aventurée de l’autre côté de la rue,
devant l’Institut National de Formation
Judiciaire de Bamako, où un certain
Moussa Coulibaly (encore un) avait fort
bien organisé une formation sur « les
menaces terroristes pesant sur le Sahel
et les moyens d’y faire face », avec
notre appui, a été prise à partie par un
septuagénaire en boubou, affichant une
belle barbe blanche de notable. Ce
dernier s’est proposé à deux fois de la
gifler, la prenant pour une Française.
Il déclarait avoir servi dans l’armée
française, et reprochait à notre pays de
tout manipuler au Mali, et en
particulier son Président, qu’il
qualifiait de marionnette. Il lui a
annoncé que tout cela finirait très mal
pour nous. C’est la première fois, en 45
ans de fréquentation de l’Afrique noire,
que je constate ce type de menace,
surtout de la part d’un vieil homme qui
n’avait rien d’un fou, et s’exprimait
très clairement.
Bravo Charlie.
J’ai longuement discuté avec un
officier de gendarmerie Nigérien,
amoureux de la France et des philosophes
français. Comme Musulman, il ne
comprenait pas que l’on puisse continuer
à soutenir ceux qui avaient humilié son
prophète. Il sortait de cette affaire,
très admiratif des Américains, qui
avaient refusé de montrer à la
télévision la caricature du dernier
Charlie.
Merci France 24.
J’ai également longuement discuté
avec un serveur de mon petit hôtel. Il
était licencié en histoire et avait
passé plusieurs années en Côte d’Ivoire,
où il connaissait très bien tous les
anciens petits chefs rebelles, désormais
au pouvoir. Il ne m’a pas vraiment dit
ce qu’il avait fait là-bas. Il avait
renoncé à trouver un poste dans
l’éducation nationale malienne, ou dans
une autre administration, car la
corruption est telle qu’il est
impossible pour un pauvre gars comme lui
de pouvoir être retenu. Il a conclu son
propos en disant que son seul recours
désormais était Dieu (lire Allah).
D’après l’officier de gendarmerie
nigérien, cet homme est mur pour
basculer.
Encore un effort Charlie.
Un officier de gendarmerie français
m’a dit qu’il avait demandé aux deux
femmes qui travaillent à son domicile de
venir désormais voilées, car on leur
avait lancé des cailloux pour les punir
de travailler chez lui.
Bravo la France.
J’ai aussi rencontré un officier
français à la retraite, installé au Mali
depuis plus de vingt ans, marié à une
Malienne, et qui m’a confié que sa
femme, musulmane, avec laquelle il avait
deux enfants, chrétiens, passait, depuis
peu, beaucoup plus de temps à faire ses
prières.
Continue Charlie.
Ils croient tous là-bas que nous
sommes Charlie. Du coup ils sont de plus
en plus Coulibaly et en arrivent à
admirer les Américains. C’est un comble.
Bref, j’ai passé une excellente
semaine.
Merci pour ce moment.
Photo : Militaire
français en opération au Mali
*Source :
http://marechalunjour.unblog.fr/2015/02/23/france-afrique/
http://marechalunjour.a.m.f.unblog.fr/files/2015/02/merci-pour-ce-moment.pdf
© G. Munier/X.
Jardez
Publié le 26 février 2015 avec
l'aimable autorisation de Gilles Munier
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