Opinion
Transformation de l’Union européenne:
d'une communauté économique à une
alliance de fauteurs de guerre
Peter Schwarz
Mardi 15 avril 2014
Les puissances
européennes, qui sont menées par
l’Allemagne, sont engagées sur la voie
de la confrontation avec la Russie.
Elles ne poursuivent pas seulement des
objectifs de politique étrangère mais
aussi de politique nationale.
L’instigation d’une
crise et d’une confrontation avec Moscou
a pour but d'unifier une Union
européenne divisée tout en bâillonnant
toute opposition sociale. Jusqu'ici,
l’identité de l’UE se fondait sur des
questions économiques comme la libre
circulation des capitaux et des
marchandises et la monnaie commune. A
l’avenir, la lutte contre un ennemi
commun remplacera l’économique comme
base de la cohésion interne de l’UE.
C’est ce qu’ont
révélé un certain nombre de commentaires
parus dans la presse allemande. Le
correspondant à Bruxelles pour le
magazine allemand Der Spiegel,
Peter Schmitz, écrivait le 20 mars dans
un article intitulé « La grande chance
de l’Europe », « Aussi regrettable que
puisse être, à bien des égards, la crise
criméenne, elle offre une occasion
historique : unir plus fortement
l’Europe. »
Le dirigeant des
Verts, et ancien ministre des Affaires
étrangères Joschka Fischer, a déclaré
avec approbation dans un article paru le
30 mars dans le journal Süddeutsche
Zeitung que le conflit avec Moscou
rappelait aux Européens que « l’UE
n’était pas qu’une communauté
économique, mais un acteur politique »
dont « les intérêts stratégiques »
avaient « fait un retour en force. »
Le président de la
commission des Affaires étrangères du
Bundestag (chambre basse du parlement),
Norbert Röttgen, a expliqué le 20 mars
au Financial Times : « Mais ce
conflit ne porte pas uniquement sur la
Crimée ou l’Ukraine… Alors que nous
avons souvent, de par le passé, eu du
mal à parler d’une seule voix, le
conflit avec la Russie oblige les
Européens à resserrer les rangs. Il
pourrait devenir le catalyseur d'une
politique étrangère et sécuritaire
commune. »
L’élite dirigeante
réagit à la profonde crise du
capitalisme européen en adoptant une
politique étrangère et nationale
agressive. Toutes les tentatives
entreprises pour unir l’Europe
économiquement et socialement ont
échoué. Les mesures d’austérité avec
lesquelles Bruxelles et Berlin ont réagi
à la crise financière de 2008 ont
exacerbé les conflits entre les membres
de l’UE et massivement intensifié les
antagonismes de classe.
Les relations
sociales sont tendues jusqu’au point de
rompre. Il y a officiellement, au sein
de l’UE, plus de 26 millions de
chômeurs, soit un taux de 11 pour cent.
Une pauvreté abjecte règne dans de
nombreuses régions, notamment dans les
pays de l’Europe de l’Est qui furent
incorporés dans l’UE il y a dix ans et
dans des pays qui ont été soumis aux
programmes d’austérité dictés par l’UE
et le Fonds monétaire international.
Mais, même en Allemagne, qui est
prétendument riche, on estime qu'un
salarié sur trois travaille dans des
conditions précaires et 6 millions de
gens dépendent des prestations sociales.
De plus en plus de
gens sont en train de se retourner
contre l’UE en la jugeant pour ce
qu’elle est – un instrument des banques
et des entreprises les plus puissantes,
dirigée contre les travailleurs en
créant les conditions non pas pour une
unification progressiste de l’Europe
mais pour l’intensification des conflits
nationalistes. On s'attend à ce que les
partis qui s'opposent à l’UE recueillent
un nombre de voix record lors des
élections européennes le mois prochain.
Dans ces
circonstances, la propagande de guerre
contre la Russie sert à détourner les
tensions internes en les projetant vers
l’extérieur contre un ennemi externe.
Ceci vaut surtout en Europe de l’Est où
des politiciens corrompus ont longtemps
exploité la russophobie comme un moyen
de garantir leur régime.
Le gouvernement
allemand qui a longtemps cherché à
établir des rapports de coopération avec
Moscou, vient d’emprunter maintenant une
voie anti-russe. Il estime qu’une
politique agressive contre la Russie est
un moyen approprié pour souder ensemble
l’UE et pour asseoir la domination de
l’Allemagne en Europe. Il met en
pratique la proclamation faite en
février de mettre fin à la « politique
de la culture de retenue militaire » et
d’adopter une nouvelle politique en «
s’investi[ssant ] plus tôt, plus
résolument et de manière plus
substantielle [en matière de ] politique
étrangère et de sécurité commune. »
A cet effet,
l’Allemagne est prête à employer tous
les moyens. L’OTAN a commencé à
transférer des avions, des navires et
des troupes vers la frontière russe et à
effectuer des manœuvres militaires.
En Ukraine, les
forces d’extrême-droite nationalistes et
fascistes amenées au pouvoir avec le
soutien de l’Occident ont créé une
situation tellement explosive que le
moindre incident peut dégénérer en un
conflit plus vaste ou une guerre. Dans
leurs efforts pour intégrer l’Ukraine
dans la sphère d’influence de l’OTAN et
pour isoler la Russie, le gouvernement
allemand et ses alliés sont prêts à
risquer une guerre nucléaire.
Leur intervention
en Ukraine a aussi un autre but. En
collaborant avec des partis et des
groupes fascistes, ils ont créé un
précédent pour l'ensemble de l'Europe.
Il était de règle
depuis longtemps parmi les partis
traditionnels (du moins officiellement)
de ne pas coopérer avec des partis qui
défendent les nazis et leurs crimes de
guerre ou de disséminer l’antisémitisme.
Le parti Svoboda relève assurément de
cette catégorie.
Cependant, au cours
de ces derniers mois, de hauts
responsables européens et américains ont
rencontré le dirigeant de Svoboda, Oleg
Tiagnibok, et ont collaboré étroitement
avec son organisation. Les tirades
antisémites de Tiagnibok sont
documentées et peuvent être consultées
sur YouTube. Le héros de Svoboda, Stepan
Bandera, était un collaborateur nazi,
responsable du meurtre de masse de Juifs
et de communistes. Bandera était resté,
jusqu’à sa mort en 1959 à Munich, un
ardent défenseur de Mussolini.
Ce qui s’applique à
Svoboda, s’applique encore plus aux
groupes de milices fascistes comme
Secteur droit, sur lesquels les
puissances occidentales ont compté pour
évincer le président ukrainien élu
Viktor Ianoukovitch. On trouve non
seulement des fascistes, mais aussi des
éléments criminels avérés dans les rangs
de Secteur droit.
La coopération avec
Svoboda et Secteur droit a ouvert la
porte au recours à de telles forces
contre la classe ouvrière dans d’autres
pays européens. Les préparatifs dans ce
sens sont bien avancés.
Panayiotis Baltakos,
proche collaborateur du premier ministre
grec Antonis Samaras, a dû démissionner
il y a quelques jours après qu’une vidéo
était apparue montrant ses relations
étroites et cordiales avec
l’organisation fasciste Aube dorée (Chrysi
Avgi). En France, le président Hollande
a nommé Manuel Valls à la tête du
gouvernement tout en sachant
pertinemment que la politique
néolibérale et anti-immigration de Valls
encouragera encore davantage le Front
national néofasciste de Marine Le Pen.
En Hongrie, le parti fasciste Jobbik
vient tout juste de recueillir plus d’un
cinquième des voix après avoir été
systématiquement promu par le parti
Fidesz au pouvoir.
Les dirigeants
européens sont en mesure de suivre cette
voie parce qu’aucun des partis de l’establishment
ne leur fait opposition. Les partis
officiels de « gauche » et les groupes
de pseudo-gauche qui fonctionnent dans
leur orbite soutiennent la politique de
guerre et la collaboration avec les
fascistes ukrainiens. Ils glorifient le
coup d’Etat fasciste à Kiev qu'ils
qualifient de « révolution démocratique
» et ils dépeignent la Russie comme
étant « l’agresseur. » Le parti allemand
La Gauche [Die Linke – homologue
allemand du Parti de Gauche de Jean-Luc
Mélenchon] a réagi à la relance
du militarisme allemand en approuvant
pour la première fois le déploiement de
la Bundeswehr (armée allemande) à
l’extérieur de l’Allemagne, avec cinq de
ses membres votant en faveur de son
déploiement en Méditerranée.
Ceux qui veulent
lutter contre la guerre et le fascisme
doivent soutenir le Partei für Soziale
Gleichheit (PSG) en Allemagne et le
Socialist Equality Party (SEP) en
Grande-Bretagne, qui tous deux
participent le mois prochain aux
élections européennes pour unifier la
classe ouvrière dans une lutte contre le
militarisme, l’austérité et la menace de
dictature. Le PSG et le SEP rejettent
l’Union européenne et luttent pour les
Etats socialistes unis d’Europe. Seule
l’unification de l’Europe sur une base
socialiste peut empêcher que le
continent ne rechute dans le
nationalisme et la guerre.
(Article original
paru le 14 avril 2014)
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Publié le 15 avril 2014 avec l'aimable
autorisation du WSWS
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