Monde
La lutte
pour l'Ukraine
Peter Schwarz
Lundi 9 décembre 2013
La vague de
manifestations en cours en Ukraine porte
les étiquettes « Made in Germany » «
Made in UE » et « Made in America ». Les
médias occidentaux font de laborieux
efforts pour dépeindre les
manifestations de Kiev comme une lutte
pour la démocratie et la primauté du
droit. En fait, elles font partie d'un
conflit sur des questions
géostratégiques. Le but est de repousser
l'influence de la Russie et de soumettre
l'Ukraine à la domination de
l'Allemagne, de l'Union européenne et de
l'OTAN.
Il y a neuf ans, la
révolution 'orange' a été organisée avec
le soutien politique et financier massif
du gouvernement américain et des ONG
américaines telles que l'Open Society
Institute du milliardaire George Soros.
Ces forces ont réussi à faire annuler
l'élection présidentielle et à s'assurer
que le tandem pro-UE et pro-US de Viktor
Yushchenko et Julia Tymoshenko prenne le
pouvoir en tant que chef de l'Etat et
chef du gouvernement à la place de
Viktor Yanukovich, qui était considéré
comme l'homme de main de la Russie. Le
duo est cependant rapidement tombé en
défaveur et Ianoukovitch a été en mesure
de se faire élire au poste de Président
en 2010.
Maintenant une
autre tentative est mise en œuvre pour
amener au pouvoir un régime qui
subordonnera à l'UE l'ancienne
république soviétique et le grenier à
blé de l'Empire russe. Un examen de la
direction politique des protestations
révèle leur caractère réactionnaire.
Elles sont conduites par trois partis,
dont deux ont des relations étroites
avec le camp conservateur au sein de
l'UE, tandis que le troisième est
ouvertement fasciste.
Le parti
Batkivshchyna (Patrie), dirigé par Julia
Tymoshenko, actuellement emprisonnée, a
le statut d'observateur dans le Parti
populaire européen, l'association des
partis chrétiens-démocrates et
conservateurs de l'Europe. UDAR (Coup),
dirigé par le champion de boxe Vitali
Klitschko, qui réside en Allemagne, est
une création de l'Union chrétienne
démocrate (CDU) de la chancelière
allemande Angela Merkel et de son groupe
de réflexion, la Fondation Konrad
Adenauer. Cette dernière annonce
publiquement sur son site Web des
séminaires consacrés à l'éducation
politique des membres de l'UDAR.
Selon une étude
intitulée «
L'extrême droite en Ukraine (texte
en anglais) » par la Fondation allemande
Friedrich Ebert, le troisième parti,
Svoboda (Liberté), est « le porte
drapeau d'une idéologie d'extrême-droite
radicale ». Le nom original du parti
était Parti national-socialiste
d'Ukraine. Il utilisait comme emblème un
logo qui rappelle la croix gammée nazie.
Sur les conseils du Front National (FN)
français, avec qui il travaille en
étroite collaboration, il a décidé
d'adopter un nom moins provocateur.
Arseniy Yatsenyuk
(Patrie) and Vitali Klitschko (le
dirigeant d'UDAR) tiennent des
conférences de presse communes avec Oleh
Tyahnybok de Svoboda. Tyahnybok est un
néo-nazi notoire connu pour son
ultranationalisme, sa xénophobie et son
antisémitisme.
Les dirigeants
politiques européens et américains ont
exprimé leur solidarité avec les
protestations en Ukraine. Les mêmes
forces qui ont tacitement soutenues la
brutalité de la police, qui passe à
tabac sans pitié les opposants aux
politiques d'austérité de l'UE à
Athènes, Madrid et ailleurs, proclament
maintenant leur indignation face à la
brutalité de la police ukrainienne.
Le Secrétaire d'
État des USA, John Kerry, a exhorté le
gouvernement ukrainien à « écouter la
voix de son peuple », tandis que son
homologue allemand, Guido Westerwelle,
est intervenu personnellement mercredi
pour se mêler à des manifestants à Kiev.
Le secrétaire général de l'OTAN, Anders
Fogh Rasmussen, a demandé que le
gouvernement ukrainien garantisse le
droit à la liberté d'expression et de
réunion. Le gouvernement allemand, qui
vient de lancer de nouvelles poursuites
contre le Parti national-démocrate
d'Allemagne, néo-fasciste, défend le
droit de manifester des fascistes
ukrainiens.
Bien qu'elle
réclame la démission du Président et des
nouvelles élections, l'opposition ne
jouit pas du soutien de la majorité des
Ukrainiens. Une motion de censure contre
le gouvernement a échoué mardi au
Parlement. L'Accord d'association de
libre-échange avec l'Union européenne
que l'opposition veut mettre en œuvre
aurait un effet dévastateur sur de
larges couches de la population
ukrainienne.
L'accord avec l'UE
exclut l'adhésion simultanée dans une
union douanière menée par la Russie et
couperait donc l'Ukraine de son
principal partenaire commercial, avec
lequel son industrie et ses voies de
transport sont étroitement connectées.
La suppression des droits de douane sur
les produits européens signifierait
aussi la faillite pour de nombreuses
industries ukrainiennes.
Les termes de
l'accord, qui comprennent l'introduction
des règles de l'UE en matière de
déréglementation du marché du travail,
de privatisation des entreprises
publiques et de réduction de la dette
publique, auraient un impact social
semblable au programmes d'austérité
imposé à la Grèce, à la Roumanie et à
d'autres pays. Le Fonds monétaire
International (FMI) a déjà refusé à
l'Ukraine un crédit indispensable parce
que le gouvernement refuse une hausse du
prix du gaz de 40 %, ce qui entraînerait
inévitablement la mort de nombreux
chômeurs et retraités, incapables de
payer leurs factures de chauffage.
L'Accord
d'association transformerait le pays en
un vaste atelier pour les entreprises
allemandes et européennes, qui
pourraient produire à des taux de
salaires inférieurs à ceux de la Chine.
Dans le même temps, les ressources
naturelles du pays, son territoire vaste
et fertile et son marché intérieur de 46
millions d'habitants font de l'Ukraine
une cible alléchante pour les
entreprises allemandes et européennes.
L'accord
renforcerait également le jeu de l'UE
contre la Russie. Une union douanière ou
une union eurasienne comprenant la
Russie et l'Ukraine aurait eu une
position beaucoup plus forte dans les
négociations commerciales avec l'UE
qu'une Russie isolée.
L'Allemagne,
l'Union européenne et les Etats-Unis
poursuivent des objectifs non seulement
économiques, mais aussi géopolitiques en
Ukraine. Étant donné la perte
d'influence en Europe de l'est de la
Russie depuis la dissolution de l'Union
soviétique, l'intégration de l'Ukraine
dans l'UE pousserait la Russie à la
périphérie de l'Europe.
Depuis la fin du
XVIIIe siècle, l'Ukraine a constitué une
partie importante de l'État russe et
soviétique. Par ailleurs, la flotte
russe de la mer Noire est située en
Crimée dans un port, loué à la Russie
par l'Ukraine.
Tant les États-Unis
que l'UE ont intérêt à l'affaiblissement
de la Russie, qui est considérée comme
une alliée importante de la Chine.
Immédiatement après son élection en
mars, le Président chinois Xi Jinping
s'est rendu à Moscou pour renforcer le «
partenariat stratégique » entre les deux
pays. Les deux pays se sentent menacés
sur le plan économique et stratégique
par les incursions agressives des
Etats-Unis et de ses alliés en Asie, au
Moyen-Orient et en Afrique.
La Chine développe
également ses liens économiques avec
l'Ukraine, dont les échanges commerciaux
avec la Chine atteignent actuellement
environ 5 % de son commerce extérieur.
En octobre, le South China Morning
Post a rapporté que l'entreprise
publique chinoise XPCC avait conclu un
accord avec la société ukrainienne
agricole KSG Agro pour avoir accès à
100.000 hectares de terres arables pour
la production d'aliments destinés à la
Chine. Cette zone doit être étendue à 3
millions d'hectares, la taille de la
Belgique ou du Massachusetts.
La Chine a déjà
accordé au pays des prêts de 10
milliards de dollars. L'Ukraine
considère ses relations économiques avec
la Chine comme si importantes que le
Président Yanukovich est parti mardi
pour une visite d'Etat de quatre jours à
Pékin, malgré la crise politique en
cours.
Tel est
l'arrière-plan des tentatives de l'Union
européenne et du gouvernement allemand
d'utiliser les manifestations de Kiev
pour déstabiliser le gouvernement
ukrainien. Leur initiative a été lancée
en tandem avec les États-Unis, qui
étendent systématiquement leur présence
militaire en Asie pour encercler la
Chine et miner son influence dans la
région. À cette fin, les États-Unis ont
massivement intensifié leur pression sur
la Chine ces dernières semaines.
L'offensive contre
l'Ukraine soulève de profondes questions
historiques. Au cours de deux guerres
mondiales, l'Allemagne a cherché à
placer l'Ukraine sous son contrôle et a
commis des crimes abominables au cours
de ces entreprises. L'audace actuelle du
gouvernement allemand soulève de
nouveaux dangers. Les tensions
internationales croissantes peuvent
rapidement se transformer en un conflit
armé.
Ce danger ne peut
être contré que par un mouvement
indépendant de la classe ouvrière
internationale, luttant pour une Europe
socialiste unie.
(Article original
publié le 6 décembre 2013)
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Publié le 9 décembre 2013 avec l'aimable
autorisation du WSWS
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