France-Irak
Actualité
Réjouissez-vous avec
la “nouvelle” Maison des Saoud
Pepe Escobar
Mardi 12 mai 2015
Par Pepe Escobar (revue
de presse :
Mondialisation.ca - 11/5/15)*
Il est fascinant de voir la vaste
armée bien rétribuée des lobbyistes
occidentaux chantant les louanges d’une
institution traditionnelle et
conservatrice, alias la Maison des
Saoud, se lançant maintenant dans une
nouvelle politique étrangère
affirmée.
Comme cela concerne la matrice
idéologique de toutes les variantes
salafistes-djihadistes dans la galaxie
démente de l’extrémisme wahhabite, je
l’appellerais plutôt une mise à jour de
la règle de
Mob [gang, NdT]. Loin
d’être aussi divertissante que la saga
du Parrain de Coppola, mais
certainement plus sinistre.
Imaginez l’indignation, diffusée
jusqu’aux galaxies lointaines, si cela
se déroulait chez des adversaires
certifiés pur sucre de l’Empire du
Chaos comme l’Iran, le Venezuela,
l’Équateur, la Russie ou la Chine. Mais
comme la Maison des Saoud est notre
bâtard [le Secrétaire d’État (de
Roosevelt), Sumner Welles, a dit : «Somoza
est un bâtard!» Et Roosevelt a
répondu: «Oui, mais c’est notre
bâtard.»] complet avec un ministre,
Ali al-Naimi, capable de dire que Dieu
doit fixer le prix du pétrole, ils
peuvent s’en sortir avec tout ce qu’ils
veulent.
Le nouveau capo di tutti I capi
de la Maison des Saoud, le roi Salman,
le Serviteur des Deux Saintes Mosquées,
doit avoir peaufiné son personnage d’Al
Pacino pour apprendre à être rapide
comme un coup de poignard. Leçon
apprise; en un seul mouvement, il a
réalisé ce qui suit.
Il s’est débarrassé de son demi-frère
et prince héritier en titre, Muqrin.
Muqrin a dûment prêté allégeance au
nouveau patron.
Il a promu son neveu, le prince
Mohammed ben Nayef, du rang n°3 au n°2
dans la ligne de succession de la Maison
des Saoud.
Il a promu son propre fils, le Prince
Mohammed bin Salman, au rang n°3.
Il s’est débarrassé de l’ancien, et
éternel, ministre des Affaires
étrangères, le prince Saoud Al-Fayçal,
remplacé par le chouchou de Washington,
le non-royal Adel al-Jubeir, qui comme
ambassadeur aux États-Unis a été la
voix, en anglais, pas perdue dans la
traduction, de la guerre illégale
de l’Arabie au Yémen.
Il a donné à toutes les forces
militaires et de sécurité un bonus de
salaire de un mois.
Il a séparé le ministère saoudien du
Pétrole, de l’ARAMCO, la compagnie
pétrolière appartenant à l’État. Il a
essayé d’équilibrer les comptes – en
particulier avec la guerre du prix du
pétrole, provoquée par l’Arabie saoudite
et qui ne va nulle part ; la guerre
ridiculement chère au Yémen ; et tous
ces énormes bonus pour contenter ses
sujets ; après tout, pratiquement tout
le monde dans l’hacienda du pétrole
travaille pour la Maison des Saoud.
C’est le fils de Salman, Mohammed bin
Salman, qui est venu avec cette idée de
séparation du ministère du Pétrole et de
l’ARAMCO.
Voici ce que le monde a besoin de
savoir à propos de la mise à jour de la
règle de Mob <emi [la Mafia].
Commençons par le jeune
Prince Mohammed bin Salman. (Qui ne
l’aimerait pas? Les hagiographes
occidentaux flagorneurs spéculent
allègrement sur son âge comme s’il était
une demoiselle précieuse dans la
détresse et pas un gros baiseur à la
barbe noire. Tout va bien, mais pas à
plus de 35 ans.)
Le Royal Juvénile exerce un
pouvoir énorme et, en tant que
ministre de la Défense, il a poursuivi
illégalement les bombardements, la
guerre et les
opérations cinétiques [massacres
humanitaires à grande échelle, NdT
orwellien] sur le Yémen. Le roi
lui-même vantait ses capacités
massives. Des sources saoudiennes
me disent qu’il est le résultat
(incomplet) issu du croisement de
Dr. Evil et
Mini-Me, sans le scénariste Austin
Powers pour rattraper le coup. Bien
qu’il soit une star de la pop et une
célébrité de la télévision à l’intérieur
du cartel de la mafia, il n’a pu
convaincre absolument personne – de
l’Egypte au Pakistan – d’envoyer des
troupes pour sa guerre.
Dans son nouveau rôle de n°3 , selon
le narratif officiel, il a gagné le
soutien de la grande majorité des
membres du Conseil d’allégeance. Le
mot clé ici est vaste majorité.
Cela implique que le clan de Muqrin
était un peu mal à l’aise. Le Conseil
d’allégeance est un groupe de 35
descendants du fondateur de la Mafia
Saoud, le roi Abdul Aziz bin Saud.
Le Royal Juvénile, selon sa
biographie officielle, a eu une trouble
carrière professionnelle de 10 ans
mais ensuite – miraculeusement – il est
devenu un conseiller spécial de son
père, alors gouverneur de Riyad. Il a
été nommé ministre de la Défense et chef
de la cour royale le même jour, le 23
janvier, quand Salman devint roi, après
la mort de l’ancien roi Abdullah, dont
toute la famille clanique a été
complètement effacée politiquement.
Mohammed bin Nayef, 55 ans, le
nouveau prince héritier, est très aimé
dans le Beltway [repaire du QG de la
Mafia US à Washington DC, NdT]
comme une sorte de premier flic Arabie
et un dur dans la lutte contre
le terrorisme. Il aurait vaincu al-Qaïda
à l’intérieur de l’Arabie Saoudite juste
pour qu’elle puisse se regrouper au
Yémen et maintenant, à toutes fins
utiles, profiter de l’aide indirecte de
Mob [la Mafia Saoud], ajoutant
un nouveau sens à la notion de mariée à
la Mob. Son père d’extrême-droite,
l’ancien prince héritier Nayef, a été
affublé du surnom pittoresque de Prince
Noir.
Comme le nouveau numéro deux, Nayef
sera un type occupé – car il reste à la
tête du conseil économique et de
développement, il a également été nommé
deuxième vice-Premier ministre. À toutes
fins pratiques, il est le nouveau mec en
vue dans Mob.
Quant à al-Jubeir, il a été salué par
les suspects habituels pour avoir été
nommé grâce à son expertise
dans la politique américaine. C’est un
non-sens ; al-Jubeir a été
directement nommé par Washington.
Dans ce ballet, c’est le silence de
Muqrin qui en dit long. Il est le fils
d’une esclave yéménite ; il était un
protégé privilégié de feu le roi
Abdullah ; et n’est pas exactement
proche du clan Salman de la Mob, les
Sudairis. Les paris sont ouverts sur le
moment où il va finalement renverser
l’échiquier, si jamais il le fait, par
ce qui s’appelle, et fonctionne comme,
une révolution de palais.
Quelle que soit la portée de la
secousse, la nouvelle Maison
des Saoud – avec l’administration Obama
deus ex machina – va continuer
à vendre la fiction qu’elle libère le
Yémen d’une bande de terroristes, quand
elle renforce en réalité al-Qaïda dans
la péninsule arabique (AQAP). Ce sont
les féroces ennemis de l’AQAP – les
Houthis – qui ont été bombardés sous les
ordres du Royal Juvénile, pas l’AQAP.
Sans oublier le fait que la Mob
remaniée – avec un peu d’aide de ses
amis qataris et turcs – s’assure que le
Front Nusra (sous-produit syrien
d’Al-Qaïda) et ISIS / ISIL / Daesh (qui
à l’origine est séparé d’al-Qaïda)
avancent sur tous les fronts à travers
Syraq.
Et au-delà de la portée de la
secousse, comme l’ont déjà remarqué les
Israéliens rusés, la doctrine auto-portraitisée
de l’administration Obama Ne faisons
pas de conneries suivra assidûment
les mantras alambiqués de la Mob, ou pas
loin. Comme s’il y avait une cohérence à
soutenir les djihadistes porno en Syrie
et bombarder les djihadistes porno en
Irak ; à soutenir les djihadistes porno
au Yémen et en Libye, puis à réprimer
les djihadistes porno en Libye, et vogue
la galère.
Ce qui rend tout cela encore plus
absurde est que la nouvelle
Maison des Saoud déteste absolument
la stratégie de Washington en Irak
et ne croit pas une seconde qu’il y a
une stratégie pour la Syrie.
Quant à sa propre guerre alambiquée au
Yémen, il s’agit beaucoup moins de
wahhabites haïssant les apostats
chiites que de wahhabites imperméables à
toute bouffée de printemps arabe près de
leurs frontières.
La règle de Mob est en vigueur depuis
1902, renforcée par le fondateur Ibn
Saud Abdul-Aziz, et ses fils. Le roi
Salman sera le dernier de ses fils au
pouvoir. Le Royal juvénile aiguise déjà
ses dagues. Attendez-vous à ce que les
médias corporatifs occidentaux le
rendent plus populaire que Justin Bieber.
Photo:
e original en anglais :
Rejoice with the ‘new’ House of Saud,
Asia Times, le 8 mai 2015
Traduit par jj, relu par Diane
pour
le Saker Francophone.
Pepe Escobar
est l’auteur de
Globalistan: How the Globalized World is
Dissolving into Liquid War (Nimble
Books, 2007),
Red Zone Blues: a snapshot of Baghdad
during the surge (Nimble Books,
2007),
Obama does Globalistan (Nimble
Books, 2009) et le petit dernier,
Empire of Chaos (Nimble Books).
© G. Munier/X.
Jardez
Publié le 12 mai 2015 avec
l'aimable autorisation de Gilles Munier
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