Opinion
Lendemains qui déchantent en
Tunisie
P.A.S.

Samedi 3 février 2018
Sept ans
après la « révolution de jasmin », qui a
vu le peuple tunisien se soulever contre
le régime de Ben Ali, le pays déchante,
comme le montrent les multiples
mouvements de protestations qui ont
émaillé le début du mois de janvier
dernier.
La commémoration de
cet évènement, le 14 janvier, avait un
goût amer, pour une révolution loin
d’avoir tenu toutes ses promesses. Car
si le peuple a indéniablement gagné en
liberté, il a également perdu en qualité
de vie.
Une semaine avant
ce jour anniversaire, le 8 janvier, un
mécontentement social important avait
surgi dans plusieurs villes défavorisées
du centre du pays, à travers de
violentes manifestations.
Loin des
revendications politiques de 2011, le
mot d’ordre était la protestation contre
les mesures d’austérité et le
renchérissement des prix des produits de
base, imposés par la nouvelle loi des
Finances, dont les protestataires
exigeaient le retrait.
La mort de l’un
d’eux à Tebourba, à 30 km à l’ouest de
la capitale, avait embrasé la situation,
et entraîné la mobilisation de milliers
de manifestants qui se rassemblaient
tous les soirs, entrainant plusieurs
heurts avec les forces de police.
Afin d’empêcher le
mouvement de s’étendre à tout le pays,
les autorités ont opté pour la manière
forte. En 4 jours de manifestations, 780
personnes ont été arrêtées pour vols,
pillages, incendies volontaires et
blocages de route, d’après les chiffres
du ministère de l’Intérieur.
Cette reprise
en main sécuritaire, accompagnée de
mesures gouvernementales en faveur des
familles les plus démunies, a fait
retomber la tension. Des mesures
conjoncturelles prises sous la pression
des événements, dans le seul souci de
calmer les esprits, en espérant pouvoir
ainsi maîtriser les dérapages aux
conséquences imprévisibles.
Si la situation
s’est calmée, elle reste néanmoins
fragile, car le mal est profond.
En effet, depuis
2011, le pays est dans une situation de
crise permanente, entrainant une
instabilité et des mouvements sociaux
fréquents, souvent émaillés de violences
et de débordements.
Cette colère est le
signe du désespoir d’une population
confrontée aux effets d’une crise
politique et économique grandissante,
qui se traduit par la dégradation
constante de ses conditions de vie,
doublée d’un accroissement sans
précédent du chômage et de la pauvreté.
Si après la chute
de l’ancien régime une démocratisation a
bien eu lieu sur le plan des
institutions, avec le renouvellement du
Parlement, les premières élections
libres et une constitution véritablement
démocratique, en revanche, en termes de
dignité et de justice sociale, les
effets de la révolution se sont
nettement moins fait sentir.
Le décollage
économique tarde à venir, avec une
Tunisie en grande difficulté financière.
Son instabilité fait fuir les
investisseurs, alors qu’elle paye au
prix fort le terrorisme par une chute de
l’activité touristique. On assiste de ce
fait à une augmentation des prix à la
consommation, un développement du
chômage, à une baisse du pouvoir d’achat
qui s’accompagne d’une grande pauvreté,
ainsi que d’une dépréciation de la
monnaie nationale.
En 2016, elle a
obtenu un nouveau prêt de 2,4 milliards
d’euros du Fonds Monétaire International
(FMI), qui contrôle ainsi la politique
économique et monétaire de la Tunisie.
Celle-ci s’est engagée, en échange de ce
prêt, à une réduction de son déficit
public et à des réformes économiques.
Une politique
de restructuration et de privatisation
exigée par ses partenaires
internationaux, qui est en totale
contradiction avec les idéaux de justice
sociale et d’égalité portés par cette
révolution.
Si les hommes ont
changé, les politiques économiques et
diplomatiques de l’ancien régime
perdurent, avec notamment la politique
d’incitation aux investissements
étrangers et le catastrophique accord de
libre-échange complet et approfondi (Aleca)
avec l’UE, ouvrant la voie à une
véritable « recolonisation économique »
du pays.
Des méthodes qui
ont abouti à la désindustrialisation du
pays et à la mainmise européenne sur les
richesses humaines et matérielles de la
Tunisie, ainsi que sur les secteurs les
plus rentables de son économie.
La démocratie est
en réalité un handicap pour les
investisseurs internationaux qui ne
supportent pas le respect du droit,
parce qu’il limite leurs marges
bénéficiaires en obligeant le capital à
respecter le travail : ses conditions
d’exercice, sa santé, ses syndicats… et
surtout la part des bénéfices réalisés
qui lui revient.
Mais les
origines de la crise sont également
internes, avec des élites dirigeantes
impuissantes car prisonnières de luttes
politiciennes très éloignées des enjeux
actuels.
Pour l’ancien
diplomate Ahmed Ben Mustapha, « la
transition démocratique et économique a
pour le moment échoué du fait des
ingérences étrangères arabes et
occidentales qui ont privilégié
l’émergence au sommet de l’État de
partis politiques proches de l’ancien
régime et dociles à l’égard des intérêts
étrangers ».
Mais cette
paralysie des élites dirigeantes est
aussi due au système institutionnel en
vigueur qui tout en assurant une
meilleure représentativité des forces
politiques, rend impossible l’existence
d’un parti majoritaire et entraîne une
fragmentation de la représentation
politique.
Ainsi, l’État
tunisien, sans parler des menaces
d’ordres politique et sécuritaire qui
pèsent sur lui, fait face à une sérieuse
crise économique et financière doublée
d’un surendettement ingérable, qui
hypothèquent gravement sa souveraineté
et son avenir.
Pour le
moment, les manifestations et les
violences se sont calmées, mais la
colère populaire demeure intacte et le
feu couve toujours.
Le
Parti Anti Sioniste se tient au côté
du peuple tunisien en cette période
difficile et ne doute pas que la Tunisie
saura relever les défis qui se dressent
devant elle.
Après avoir
trouvé le courage de se libérer du
régime de Ben Ali à travers sa
révolution historique, il est certain
que ses enfants trouveront les
ressources pour permettre à ce pays de
recouvrer son indépendance dans la
détermination des choix économiques et
diplomatiques permettant de servir les
intérêts du peuple.
Comme vient
de l’affirmer le président Macron en
visite d’état en Tunisie, « le printemps
arabe n’est pas fini », mais pas pour
les raisons qu’il imagine. En effet,
cette transition démocratique sera
achevée lorsque les Tunisiens, loin
d’être dupes, s’émanciperont totalement
de la mainmise étrangère sur leur
économie.
Ce peuple,
qui, dans son immense majorité, a bien
compris que la liberté et la dignité
n’étaient pas négociables.
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