Agence Média
Palestine
Le monde abandonne les Palestiniens
à la veille de l’annexion
Omar Karmi
Un homme
proteste contre le projet d’Israël
d’annexer des pans de la Cisjordanie
qui
laisseront les Palestiniens des zones
concernées sans citoyenneté.
Shadi
Jarar’ah/ APA images
Mardi 9 juin 2020
Par Omar Karmi, le 5 juin 2020
Pour la Palestine,
le monde est actuellement au moment
du « squeaky bum time », selon les mots
de celui qu’on peut légitimement
considérer comme le plus grand
entraîneur de football de tous les
temps.
Le premier ministre
israélien,
Benjamin Netanyahu, a promis de
commencer en juillet à saisir ce qu’il a
décrit sans honte comme une
« opportunité historique » : l’annexion
officielle par Israël de larges pans de
la Cisjordanie occupée.
L’armée israélienne
commence ses préparatifs, tandis que
les colons israéliens sont en colère au
motif que l’annexion proposée
n’ira pas assez loin.
Face à cette
intention évidente, plusieurs pays, des
acteurs politiques et des acteurs
internationaux ont inscrit leurs
protestations. La Grande-Bretagne « ne
soutiendra pas » l’annexion, et la
France, la Belgique, le Luxembourg et
l’Irlande ont tous évoqué des
mesures économiques punitives en
réponse.
Joe Biden, le
candidat démocrate présumé à la
présidence des États-Unis, veut
faire pression sur Israël pour qu’il
ne prenne aucune mesure « rendant
impossible la solution de deux États ».
La Jordanie a
protesté avec véhémence et les pays
du Golfe ont eux aussi tiré la sonnette
d’alarme. L’annexion constituerait « un
sérieux revers pour le processus de
paix »,
selon le ministre des affaires
étrangères des Etats Arabes Unis, Anwar
Gargash.
L’Arabie Saoudite a
émis des
protestations similaires.
Nickolay Mladenov,
de l’ONU, a exhorté Israël à
« abandonner les menaces d’annexion » ;
si,
selon lui, l’annexion se faisait,
cela constituerait une violation « très
grave » du droit international.
Que des mots
La Chine étant « profondément
préoccupée« , la Russie s’y opposant
fermement et même le Vatican
mettant en garde contre l’annexion,
il semblerait qu’il existe un solide
bloc d’opposition mondiale aux plans
d’Israël.
Et pourtant. Rien
de tout cela ne dissuade Israël, car des
plans d’annexion de plus en plus
détaillés commencent à émerger.
Le gouvernement
israélien a été très franc en affirmant
que les Palestiniens vivant dans les
zones qu’il va annexer – que l’on estime
à 30 % de ce qui reste de la Cisjordanie
(en dehors de Jérusalem-Est), avec les
principaux blocs de colonies et la
vallée du Jourdain –
ne deviendront pas citoyens et
devront au contraire continuer à se
contenter de droits et d’un statut
civils de deuxième ou troisième classe.
Israël se tiendra
également à l’écart des villes et autres
grands centres de population
palestiniens, laissant certains d’entre
eux entièrement entourés par ce qui
deviendrait un territoire souverain
israélien.
Israël est confiant
et ouvert sur ses projets, car il
bénéficie du soutien de Washington. Les
responsables israéliens ont clairement
indiqué que l’annexion en cours suivra
les grandes lignes du plan de paix dit
« Trump », du nom du président américain
Donald Trump,
conçu par son beau-fils Jared
Kushner et dont l’auteur réel,
selon certains Israéliens d’extrême
droite, est Netanyahou.
Israël ne se
préoccupe vraiment que de l’opinion
américaine. Et si l’opinion américaine
change – comme
le suggèrent certains rapports –
cela pourrait ralentir l’annexion.
Mais l’annexion
n’est pas une invention soudaine de
Trump ou de Netanyahou. C’est
l’intention d’Israël
depuis qu’il a occupé la Cisjordanie
en 1967 – et
vraisemblablement avant – et
l’administration Trump ne fait que
fournir une voie claire, là où les
administrations américaines précédentes
insistaient sur une annexion rampante
pour sauver les apparences.
La fin d’un
paradigme
Le processus de
paix parrainé par les Etats-Unis, qui a
suivi la signature des accords d’Oslo en
1993 n’a jamais été, en réalité, qu’un
débat entre les partisans d’Israël aux
États-Unis et les dirigeants israéliens.
La question débattue était de savoir
combien de terres supplémentaires Israël
allait prendre et dans quelles
circonstances.
Les responsables de
l’Autorité palestinienne continuent
d’espérer- en public du moins – que
l’aide est disponible ailleurs. Le chef
de l’AP, Mahmoud Abbas, a maintes fois
exigé un processus de paix dirigé
par la communauté internationale pour
remplacer celui qui est dominé par les
États-Unis.
Mais les pays
européens n’interviendront pas. La
France et d’autres pays peuvent parler
de mesures punitives, mais pour que l’UE
agisse collectivement, les 27 pays
membres doivent tous être impliqués. Les
alliés d’Israël, comme la Hongrie et la
République tchèque, pourraient bloquer
même les discussions préparatoires sur
les sanctions et épargner ainsi à leurs
grands alliés comme l’Allemagne – qui
prétend publiquement soutenir le droit
international – toute gêne à protéger
les violations commises par Israël.
Le Royaume-Uni, qui
a trahi la Palestine, peut dire qu’il
considère une nouvelle annexion comme
une violation du droit international,
mais il ne va pas non plus prendre de
mesures. Boris Johnson, le premier
ministre britannique, s’est vu offrir
plusieurs occasions de présenter la
manière dont le Royaume-Uni défendra le
droit international, mais il a
refusé de donner des détails.
La Russie et la
Chine sont occupées par leurs propres
sphères d’influence et les pays arabes –
de la Jordanie au Golfe – sont trop
dépendants du soutien militaire
américain pour s’écarter de la ligne de
conduite.
Donc, tous ces pays
serrent les fesses, alors que la fin du
paradigme d’Oslo met en évidence leur
impuissance face à Israël.
Les Palestiniens
doivent se débrouiller seuls. Les
responsables palestiniens savent où le
vent souffle, mais ils expriment en
privé leurs craintes qu’abandonner l’AP,
comme le nécessiterait la fin du
paradigme d’Oslo, ne compromette la
possibilité d’un leadership palestinien
unifié.
Sans l’AP, selon
cet argument, Israël est libre de
diviser les Palestiniens en donnant aux
hommes forts locaux, dans des lieux
séparés, le pouvoir de maintenir l’ordre
en échange de petits intérêts personnels
et de la capacité de récompenser la
loyauté par des faveurs- en gros, en
entrant dans le rôle que l’AP a joué
jusqu’à présent, à contrecœur ou non.
Mais c’est à cela
que les Palestiniens de demain devront
faire face, divisés comme ils le sont
déjà. De plus, de telles tactiques de
cantonnement ne sont finalement pas
viables pour Israël qui, s’il veut
s’assurer
une « victoire » totale, devra
s’engager dans un nouveau cycle de
nettoyage ethnique massif, dépassant
celui de 1947-49.
Cela peut être ou
non du goût d’Israël. Pour les
Palestiniens, toute direction, existante
ou émergente, qui veut unifier et
inspirer son peuple, doit commencer par
reconnaître que les anciennes méthodes
sont dépassées.
C’est une nouvelle
lutte ancienne qui s’impose aux
Palestiniens ; elle commence par le
maintien du peuple sur sa terre et doit
se terminer par une lutte pour la
liberté et l’affirmation des droits
nationaux dans une Palestine unique,
accomplie.
Omar Karmi est
un ancien correspondant du journal The
National à Jérusalem et Washington, DC
Traduction SF pour
l’Agence Media Palestine
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