BDS
Les menaces du gouvernement israélien
contre des responsables de la campagne
BDS
Omar Barghouti
Omar
Barghouti (Photo : Intal)
Dimanche 3 avril 2016
Yisrael Katz,
ministre du renseignement israélien,
préconise « l’élimination
civile »
des dirigeants de la campagne de Boycott
Désinvestissement Sanctions (BDS), sans
qu’aucun gouvernement occidental ne
proteste. Omar Barghouti, cofondateur de
la campagne BDS, réagit à l’escalade des
menaces israéliennes.
(1)
Certains sur cette liste, y compris
des journalistes, m’ont écrit ou ont
exprimé leur inquiétude sur les menaces
récentes du ministre du gouvernement
israélien sur le «
meurtre civil ciblé » de
« leaders » et de militants BDS.
Il y a bien sûr de bonnes raisons de
s’inquiéter sérieusement quand des
ministres d’un gouvernement où qu’ils
soient font de telles menaces contre des
défenseurs des droits humains. Aussi,
imaginez le sérieux des menaces quand
elles viennent d’un régime d’occupation,
de colonialisme de peuplement et
d’apartheid de plus en plus paria et
hors-la-loi, qui pratique des
assassinats extrajudiciaires en toute
impunité contre les Palestiniens et qui
considère même les
dissidents sionistes israéliens qui
osent révéler les crimes de guerre
israéliens – sélectionnés et auto
censurés – comme des
« traîtres. »
Il vaut la peine de se souvenir qu’en
1995, le premier ministre faucon
israélien Yitzhak Rabin a été assassiné
par un Juif israélien fanatique
influencé par une campagne traitant
Rabin de « traître. »
Les leaders israéliens actuels se turent
ou furent même impliqués dans cette
campagne de provocation.
Rabin sera toujours connu par les
Palestiniens comme le leader israélien
qui a donné l’ordre et orchestré
le nettoyage ethnique des villes
palestiniennes de Lydda et Ramleh en
1948. On s’en souviendra aussi comme du
ministre de la « défense » qui
lors de la première Intifada (1987 –
1992)
donna l’ordre à ses soldats de
« rompre les os » des
enfants palestiniens capturés et des
jeunes pour les empêcher de jeter des
pierres aux forces d’occupation.
Pourtant, l’atmosphère à l’époque
était significativement plus
« civile » qu’elle ne l’est
maintenant ! Le système
« judiciaire » israélien prétendait
encore être indépendant et
professionnel ; les colons n’avaient pas
le contrôle effectif qu’ils ont
maintenant.
Le niveau d’impunité
criminelle qui imprègne maintenant
l’establishment israélien a poussé le
sénateur US Patrick Leahy à demander au
Secrétaire d’État John Kerry d’enquêter
pour savoir si l’argent des impôts aide
Israël à commettre des «
assassinats extrajudiciaires »
de Palestiniens.
Ce n’est pas tous les jours qu’un
sénateur d’un tel rang affirme
courageusement que l’on doit aux
contribuables américains de passer en
revue l’aide militaire à Israël au vu de
ses « graves violations des droits
humains ». Après tout, la
loyauté au régime oppressif
israélien d’extrême droite est une
priorité bien plus haute pour le Sénat
américain qu’elle ne l’est pour le
contribuable américain.
Pour en revenir à la menace voilée du
gouvernement israélien de frapper les
militants BDS, voici les faits.
Comme l’ont
rapporté les médias israéliens, le
ministre du renseignement Yisrael Katz a
dit, lors de la plus grande conférence
anti-BDS israélienne tenue le 28 mars à
Jérusalem, qu’Israël devrait s’engager
dans des « éliminations civiles
ciblées » de « leaders »
BDS avec l’aide du renseignement
israélien, en utilisant
intentionnellement des termes qui jouent
avec l’expression hébreu pour
« assassinats ciblés ». Mon nom a
été mentionné
dans ce contexte.
Voici le
lien vers YouTube pour les discours
du ministre de l’Intérieur Arieh Deri et
du ministre de Renseignement Yisrael
Katz. Ils sont traduits
professionnellement et exactement
sous-titrés par un militant et collègue
juif israélien des droits humains.
Plusieurs de mes collègues
(Palestiniens, internationaux et
militants juifs israéliens BDS) et
moi-même nous sentons alarmés et
sérieusement inquiets pour notre
sécurité physique après cette menace de
haut niveau.
Nous ne paniquons pas, ceci va sans
dire, et ceci n’entravera nullement
notre activité pour les droits humains.
Mais nous ne prenons pas non plus de
telles menaces à la légère.
Nous travaillons encore pour
recueillir les menaces et les attaques
faites par d’autres ministres du
gouvernement et leaders politiques
contre le mouvement BDS (et contre moi
nominalement), comme Ayelet Shaked
(ministre de la Justice), Gilad Erdan
(ministre des Affaires stratégiques
ettsar anti-BDS ), etc.
Dans sa déclaration, le ministre
Yisrael Katz joue sur l’expression
militaire officielle israélienne pour
les assassinats, « élimination
ciblée » et y ajoute
« civile ».
Comme les collègues israéliens l’ont
indiqué, ajouter « civil » à
une expression utilisée depuis bien des
années par les dirigeants israéliens
pour indiquer « assassinats »
est pour le moins ambigu.
BDS est un mouvement mondial des
droits humains non violent dirigé par le
Comité national palestinien BDS (le
BNC), la plus vaste coalition de la
société civile palestinienne. Établi en
2005, au premier anniversaire de l’avis
de la Cour internationale de justice
contre le mur israélien, BDS appelle à
la réalisation des droits fondamentaux
des Palestiniens conformément au droit
international.
Le mouvement BDS est ancré sur la
Déclaration universelle des Droits de
l’homme et rejette, par conséquent,
toute forme de racisme et de
discrimination sur la base de
l’identité, y compris l’antisémitisme.
Au cours des deux dernières années,
Israël a mené désespérément une guerre
juridique contre BDS après avoir échoué
pendant 10 ans à ralentir
la montée impressionnante du mouvement.
Israël concocte un environnement, en
France, en Grande-Bretagne, aux USA, au
Canada, en Allemagne, en Australie et
ailleurs comparable au
McCarthyisme, en promouvant une
suppression extrême des libertés civiles
et de la liberté d’expression.
Néanmoins, c’est la première fois
qu’un ministre d’un gouvernement
israélien incite de la sorte à la
violence contre les défenseurs
palestiniens des droits humains.
Comme Katz nous en a averti
ouvertement dans sa déclaration, les
services de renseignement israéliens
prévoient de fabriquer des liens
supposés entre « leaders » BDS
et « organisations terroristes ».
Outre de souiller nos noms, cette
campagne d’intimidation de type mafieuse
établit implicitement le terrain pour
nous attaquer physiquement,
particulièrement au vu de l’atmosphère
toxique en Israël.
Le grand rabbin israélien de la
communauté séfarade appelle au
nettoyage ethnique de tous les « non-Juifs »
de la « terre d’Israël ».
Un leader des colons juifs a qualifié
les Palestiniens et les autres chrétiens
de «
vampires suceurs de sang »
qui devraient être « expulsés »
d’Israël. Il a appelé à incendier encore
plus de nos églises, après que de
nombreuses églises et mosquées
palestiniennes aient déjà été incendiée
par des colons d’extrême droite
protégés, et par conséquent soutenus,
par l’armée israélienne, les forces de
sécurité et l’appareil
judiciaire.
Les colons
qui ont brûlé à mort le bébé palestinien
Ali Dawabsheh et ses parents l’an
dernier puis qui ont célébré leurs actes
de terrorisme macabre n’ont pas encore
été condamnés pour
les meurtres. Ceci a naturellement
encouragé d’autres colons à incendier la
maison du témoin restant du crime,
l’oncle d’Ali.
Résumant
un sentiment croissant parmi les
dissidents israéliens, le grand
journaliste
Gideon Levy a qualifié 2015 d’« année
de fascisme israélien flagrant et sans
honte ». Je me demande comment
Lévy pourra décrire 2016 quand l’année
finira.
C’est dans ce contexte spécifique de
racisme rampant, de criminalité et de
totale
impunité qu’il faut lire la menace
d’ « éliminations civiles ciblées »
du ministre Katz. Dans la société
israélienne d’aujourd’hui, comme le
remarque à juste titre le sénateur
Leahy, les soldats, les forces de
sécurité et les colons armés échappent
facilement aux poursuites quand il
s’agit d’homicides de Palestiniens.
En réalité, l’« assassinat civil
ciblé » peut très bien être compris
par des colons d’extrême droite et par
d’autres éléments extrémistes en Israël
comme une autorisation à tuer par un
« civil » plutôt que par l’appareil
militaro-sécuritaire.
Malgré que Katz tourne autour du pot
et évite de définir précisément
l’expression, son affirmation que
certains leaders et militants BDS sont
liés aux « terrorisme » et aux
« organisations terroristes » ne
fait qu’augmenter entre les lignes ce
permis de tuer.
L’administration US et l’Union
Européenne sont bien sûr aussi
responsables de cette impunité
criminelle. Outre de fournir la bouée de
sauvetage du régime israélien
d’apartheid et d’occupation, de l’armer
jusqu’aux dents et de le protéger de
toute sanction internationale sérieuse
depuis des décennies, les USA et l’UE
ont envoyé leurs ambassadeurs à Tel-Aviv
participer à cette conférence
israélienne anti-BDS. Ils n’ont toujours
pas pipé mot pour protester contre la
menace implicite de neutralisation des
défenseurs des droits de l’homme qui est
a été faite.
Ceci correspond à un feu vert tacite
des USA et de l’UE à Israël pour qu’il
poursuive sa guerre maladive et illégale
contre le mouvement non-violent BDS et
ses principaux militants, en Palestine
et autour du monde.
C’est la raison pour laquelle je suis
sérieusement inquiet pour ma sécurité
physique et pour celle de mes collègues
palestiniens, israéliens et
internationaux. Nous tenons le
gouvernement israélien pour responsable
de tout dommage physique pouvant être
infligé sur l’un d’entre nous en
conséquence de cette tentative ignoble
de nous faire taire.
Nous tenons aussi l’administration US
et l’UE pour partiellement responsables
d’une quelconque de ces attaques
éventuelles.
Indépendamment de leur position sur
BDS, nous appelons les organisations des
droits humains et les citoyens du monde
concernés par les droits civils et les
droits humains à prendre une position
claire pour défendre notre droit à
promouvoir BDS, en tant que question
de conscience et de libre expression.
Nous les appelons aussi à condamner sans
ambiguïté cette provocation sans
précédent du gouvernement israélien à la
violence contre les défenseurs des
droits humains, Palestiniens et autres.
Moshe Dayan a
dit qu’« Israël doit être comme
un chien fou, trop dangereux pour qu’on
l’embête. » Le régime israélien
actuel suit scrupuleusement l’avis de
Dayan. Mais on peut arrêter les « chiens
fous ». En fait, il faut stopper
les chiens fous, car personne ne peut
dire qui ils mordront ensuite.
Omar Barghouti
Traduction : JPB pour
AURDIP
(1) Note de l’Aurdip
Le
dossier BDS
Les dernières mises à jour
|