Actualité
Négrophobie structurelle :
l’interminable mascarade médiatique
Olivier Mukuna
Mardi 24 septembre 2019
Elles se sont encore très bien portées
cet été comme en cette rentrée. Les
négrophobies structurelles belge et
française. Du folklore wallon faisant
l’apologie du blackface et relayé par
les médias du monde entier (1) à
l’hystérie médiatique autour d’un
imaginaire « racisme anti-blancs »
hexagonal, en passant par ce footballeur
congolais du FC Genk accusé de vol chez
H&M parce que noir (2), ou cette
violente agression policière contre un
médiateur de quartier d’origine
africaine à Sevran (3)...
Malgré une
couverture médiatique planétaire
négative, durant tout l'été, doublée
d'une inquiétude émise par l'Unesco, le
folklore wallon négrophobe d'Ath et son
"Sauvage" grimé en noir se voient
fermement défendus par les Autorités de
la ville, confortées par un silence
complice de l'ensemble de la classe
politique belge.
Imperturbablement,
en France comme en Belgique, un fait
divers négrophobe chasse l’autre. Sur
des séquences de plus en plus
rapprochées. Mais souvent maquillées et
inarticulées. Allant rarement au fond
sociopolitique. L’article qui va suivre,
je l’avais déjà écrit en septembre 2018.
Actu et faits différents ; problématique
(politique)
et amnésie (médiatique) identiques.
A l’époque, par lassitude, je n’avais
finalement pas diffusé ce papier titré «
Négrophobie structurelle : le déni, les
médias et nous » (4). Erreur réparée et
agrémentée.
Parce qu’anonyme ou célèbre, le citoyen
afro-descendant n’est décidément jamais
en sécurité. Physique, professionnelle
ou médiatique.
Dans une société où les élites clament
leur « non-racisme » mais couvrent ou
abusent des réflexes historiques de la
suprématie blanche, il nous faut refuser
le silence, l’autocensure, la
capitulation.
Mamoudou Barry, 31
ans, père d’un enfant de 2 ans, est mort
des suites de ses blessures, le 20
juillet 2019, après avoir été roué de
coups par un Français d’origine turque,
présentant des «antécédents
psychiatriques ».
Parce qu’au plus fort de cette
négrophobie, l’homme ou la femme noire y
perd la vie.
A l’instar du chercheur universitaire
guinéen, Mamoudou Barry, mortellement
agressé dans la banlieue de Rouen, pour
avoir répondu à une insulte négrophobe
lancée par un déséquilibré, le soir de
la finale de la Coupe d’Afrique des
Nations (5)...
Dans un registre moins dramatique, ce
qui est arrivé à Romelu Lukaku (amalgame
simiesque crié par des supporteurs
blancs), à Lilian Thuram
(suspicion/accusations de «racisme
anti-blancs » par des journalistes et
éditorialistes blancs), à Dieumerci
Ndongola (accusation de vol en grande
surface) et à Lamine Ba (agression
policière aussi violente qu’injustifiée)
s’abat tous les jours sur des milliers
d’anonymes afro-descendants ; sans le
moindre débat ou traitement médiatiques
ni la possibilité pour les victimes
d’immédiatement faire reconnaître leur
bonne foi ou leur innocence.
Cadrage médiatique blanc
A la même vitesse que se propagent les
idées d’extrême-droite, la négrophobie
structurelle se consolide en Europe.
Nombre de rapports et d’études en
attestent. Avec une différence de taille
sur les 15 dernières années : ce
phénomène sociopolitique fait désormais
l’objet d’une couverture médiatique,
souvent approximative et univoque, à la
remorque des originelles et exemplaires
dénonciations virales sur les réseaux
sociaux. Le calcul des « responsables »
de médias étant le suivant : ‘Si ça
marche sur le net pourquoi censurer/se
priver d’une actu susceptible de faire
remonter nos audiences ?’ Au-delà de ce
critère mercantile, le traitement
journalistique des actes, propos et
crimes négrophobes - à quelques
exceptions près - demeure spécieux et
superficiel, pour ne pas dire
unilatéralement et opportunément blancs.
Romelu Lukaku avait
lancé un (énième) appel aux Fédérations
de football pour qu’elles prennent des
sanctions contre le racisme des
supporteurs de Cagliari. Sans succès...
Dans son message, le Diable Rouge avait
ajouté : "Mesdames et Messieurs, nous
sommes en 2019 : au lieu d’avancer, nous
reculons et je pense qu’en tant que
joueurs nous avons besoin d’unité et de
faire une déclaration sur ce sujet pour
garder ce jeu propre et agréable pour
tout le monde."
Davantage en
Belgique qu’en France, les producteurs
et superviseurs du cadrage médiatique,
c’est-à-dire des limites du débat, avec
qui et comment « on » en parlera,
continuent d’interpréter leur mascarade
de cancres et de mal-comprenants.
S’échinent à nier, masquer ou minimiser
ce fonctionnement structurel et criminel
au sein de sociétés occidentales
racialement hiérarchisées. Non dans la
loi mais dans les faits. Non dans le
discours ou le débat publics mais dans
les perceptions, les représentations et
les décisions. Celles qui, encore
aujourd’hui, portent à conséquences
racistes, discriminatoires et
meurtrières.
De façon systémique ou structurelle.
Démonstration. Arrêtons-nous sur ce que
les médias mainstream ont nommé « la
polémique Thuram » tandis que leurs
homologues d’extrême-droite grimaient
l’ex-sportif guadeloupéen devenu
activiste en leader « enfin démasqué »
des « racistes anti-blancs ». Pour
rappel, le champion du monde de football
1998 a surtout souligné la perpétuation
d’un « complexe de supériorité dans la
culture blanche », européenne, dont
l’une des conséquences s’observe dans
les stades de foot où des centaines de
complexés poussent des cris de singe
lorsqu’un joueur afro-descendant touche
le ballon (6).
A la mort du
chercheur Barry, alors que l'identité de
son meurtrier est encore inconnue, la
professeur Barbara Lefebvre a cru
"utile" de médiatiser une "évidence" :
l'auteur de ce crime crapuleux "est
d'origine maghrébine"... L'enquête
établira qu'il s'agit en réalité d'un
Français d'origine turque. Une
déclaration raciste de Lefebvre qui ne
l'empêchera nullement de se voir
réinvitée dans les médias français.
Scrutons maintenant un extrait de
l’entretien donné à atlantico.fr par une
éditocrate montante, Barbara Lefebvre,
ex-soutien du candidat (colonialiste et
voleur d’argent public) à la dernière
présidentielle, François Fillon, mais
aussi productrice en série d’inepties
islamophobes et d’apologies du
colonialisme. Des «qualités» qui,
conjuguées à son privilège racial blanc,
lui confèrent des invitations régulières
à s’exprimer dans plusieurs médias
français :
« Il faut remarquer que ces propos de
Lilian Thuram pour le moins clivants et
racialistes ne ressemblent pas au
discours qu’il tient habituellement dans
le cadre de sa fondation dont une partie
de l’action se déploie en partenariat
avec l’Education nationale. Doit-on y
voir une dérive personnelle vers le
racialisme décolonial, une provocation,
ou une maladresse de langage ? Peut-être
a-t-il voulu donner des gages au camp
décolonial : Thuram le traître à la
cause de ses frères « racisés » car trop
complaisant avec les « non-racisés »,
lui que Nicolas Anelka en 2016 avait
comparé sur Twitter au personnage du
«nègre de maison» du film Django
Unchained ? Finalement Thuram s’est
rapidement soumis à l’exigence
collective : il s’est excusé. » (7)
Polémique fallacieuse
Si égalité républicaine m’était donnée
de répondre, dans n’importe quel média
français blanc, à Lefebvre, je lui
dirais d’abord que la « dérive
personnelle » soi-disant « racialiste »
de Lilian Thuram n’a rien de neuf :
l’homme l’exprimait déjà il y a 12
ans... En 2007, au stade Charléty à
Paris, où il parrainait la première
journée internationale contre la
drépanocytose (maladie génétique rare),
lors de l’interview qu’il m’accorda pour
la presse belge. Voici ce qu’à l’époque
« le traître à la cause de ses frères
racisés » disait :
« En France, c’est quasiment culturel
que de nourrir un sentiment négatif
envers l’immigration ou envers les
populations noires et maghrébines. C’est
le fruit amer de l’Histoire. Il fût un
temps, pas si lointain, où l’on avait
inventé la classification des races.
Celle-ci existe encore ! On pourra me
dire le contraire, mais j’estime que
c’est faux. Aujourd’hui, il y a toujours
des complexes de supériorité chez
l’homme blanc et des complexes
d’infériorité chez l’homme noir. Cela
découle de notre histoire. Il ne sert à
rien de critiquer les gens pour cela, il
est beaucoup plus intéressant d’essayer
de comprendre et de déboucher sur
quelque chose de positif. »
Juillet 2007. Stade
Charléty (Paris). Lilian Thuran répond à
nos questions, entouré de trois jeunes
filles portant le T-shirt de l’OILD
(Organisation Internationale de Lutte
contre la Drépanocytose).
Aïe : ça pique ou
on continue, « soeur Barbara » ? Malgré
que cet extrait n’aie pas été exprimé en
créole, il doit rester quelques cancres
et mal-comprenants parmi les
journalistes et éditorialistes
franco-belgo-blancs. En pensant
(obligatoirement) à eux, j’avais posé
cette autre question à Lilian Thuram : «
Pour vous, l’esclavage et la
colonisation ont été justifiés par une «
idéologie ». Quel en est le principal
héritage contemporain ? » Réponse :
« Les complexes de supériorité et
d’infériorité dont je vous ai parlé. Au
départ, l’esclavage, ce sont des gens
qui veulent faire du profit. En
capturant des femmes et des hommes noirs
qu’ils exploitent pour en tirer une
richesse. En fait, il s’agissait d’une
guerre. Pour toute guerre - celle-là ou
celle qui se déroule aujourd’hui en Irak
-, il faut créer une idéologie qui
l’accompagne. L’objectif étant de
consolider l’idée que nous avons raison
de faire ça. Comme on dit aujourd’hui :
il faut vendre le concept. Mais si
celui-ci dure 400 ans !
Si pendant quatre siècles, de génération
en génération, vous entendez
inlassablement que les Noirs sont
différents, inférieurs et mauvais, vous
finissez par le croire. Dans
l’inconscient collectif, il reste des
séquelles de ces croyances. Au sein de
la population noire, c’est assez
flagrant. Si vous l’étudiez bien et
recueillez plusieurs témoignages, vous
verrez qu’elle a un problème par rapport
à ce qu’elle pense d’elle-même. »
Censure négrophobe
De bonnes âmes nous objecterons que la
pauvre Lefebvre ne pouvait ou n’avait
pas le temps de relire chaque interview
donnée par Thuram, sur ces 12 dernières
années, avant de débiter ses inepties
malhonnêtes et politiquement orientées.
Certes.
Pour le torchon
d'extrême-droite Valeurs Actuelles :
aucune "polémique" mais bien une
"Affaire ot; ; soit ce Général de
l'armée des "racistes anti-blancs", qui
cache "dérive" et "réseaux", et donc
exigeait le lancement d'une "Enquête sur
un tabou français"... Il est vrai que le
ridicule ne tue pas.
D’ailleurs, de nos jours, qui se prépare
encore sérieusement avant d’aller
s’exprimer dans un média mainstream ?
Tant chacun-e sait ou subodore que la
majorité d’entre-eux sont désormais
cornaqués par des managers, en déficit
de neurones, dont le souci prioritaire
est de sélectionner/diffuser du
conformisme rentable, des lieux communs
anesthésiants ou des raccourcis
abrutissants afin de faire adhérer sinon
consentir à notre « merveilleux » modèle
de société néolibérale... foncièrement
injuste, sexiste, raciste, colonialiste
et pollueur.
Pour autant, je rejoins volontiers
l’objection. D’autant que mon entretien
journalistique avec Lilian Thuram a été
refusé par les médias belges pour
lesquels je bossais à l’époque...
Papier recalé par le très médiocre «
journaliste » blanc Vincent Peiffer ,
salarié de l’hebdo Télémoustique ; rejet
confirmé ensuite par son « courageux »
rédacteur en chef blanc Jean-Luc Cambier.
Papier également refusé par le
sarkozyste Marc Deriez, rédacteur en
chef blanc de Paris Match Belgique.
Cette proposition d’entretien avec
«l’inconnu» Lilian Thuram ne provoqua
qu’un silence méprisant chez les
dirigeants blancs de l’époque du
Vif-l’Express (dont je n’ai même plus
envie de me souvenir des noms). Bref,
autant de nullités «visionnaires» et
négrophobes, hélas toujours en
activités, dites « journalistiques »,
dans le petit milieu frileux et
subventionné de la presse écrite
belgo-blanche.
“Tu n’es pas dans mes pompes, mec !”
D’autres bonnes âmes jugeront que j’ai «
la dent dure », la rancune
professionnelle tenace, que je manque de
« confraternité » lorsque je me fais
censurer, que je me « victimise » pour
un papier « sûrement » refusé pour
d’autres raisons que certains propos
tenus par l’interviewé et/ou l’épiderme
non blanche de ce dernier comme celle de
l’intervieweur. Après avoir envoyé à la
gare ces apprentis-psychiatres, j’invite
lectrices et lecteurs à observer que
cette censure de 12 ans d’âge confirme
une immuable mascarade médiatique.
Journaliste
belgo-congolaise, u a fait la
recension et l'analyse d'une centaine
d'exemples de stigmatisation des noirs
et de l'Afrique à travers la presse
belge et française dans son livre "Peau
noire, médias blancs" (Ed. Kwadinka,
2017).
Il y a
indubitablement lien entre le rejet
intégral belge de l’interview de Thuram
en 2007 et la fallacieuse « polémique »
médiatique française de septembre 2019
qui porte, précisément, sur des propos
que l’activiste antiraciste avait déjà
tenu en 2007. Aucun complot mais un
fonctionnement médiatique blanc
similaire. Structurel. Négrophobe.
L’unique différence, en 2019, c’est que
nombre de médias français ont
allègrement tronqué et décontextualisé
ledit propos afin de mieux désinformer
et tenter de diaboliser Lilian Thuram.
Chacun-e se fera bien sûr son opinion.
Pour ma part, je sais pourquoi mon
interview de 2007 n’a jamais été publiée
dans un média mainstream. D’une part, le
footballeur y égratignait (gentiment) le
nouveau président blanc fraîchement élu,
Nicolas Sarkozy, qu’il était alors «de
bon ton médiatique» d’encenser sinon de
révérer. D’autre part, en matière de
négrophobie structurelle, Thuram y
disait déjà ce que ne supportent pas de
lire une majorité de journalistes
blancs. Sorti dans un journal italien,
ce complexe de supériorité blanche a
«soudain» fait bondir éditocrates et
journalistes français partageant le même
épiderme comme les raccourcis tronqués
qu’affectionnent leaders et militants
d’extrême-droite...
Juillet 2007. Dans
les couloirs du stade Lilian
Thuram écoute les bénévoles qui
sensibilisent au quotidien à la lutte
contre la drépanocytose, une maladie
génétique grave qui touche
particulièrement les
afro-descendant-e-s.
Pour conclure par
un air médiatique plus respirable,
citons les propos tenus par Joey Starr,
le 13 septembre, dans le studio feutré
d’une télé française de service public
(8). Invité à réagir sur « la polémique
Thuram », le célèbre rappeur et comédien
antillais s’est fendu d’une opinion fort
pertinente, répercutée ou commentée
par... zéro médias blancs. Tchiiip ! Aux
côtés de la comédienne Béatrice Dalle,
face à une assistance ultra-white (4
journalistes et 1 chef-cuisinier, tous
blancs), Joey Starr alias Didier
Morville a pulvérisé le pestilentiel rot
médiatique, produit de la digestion d’un
vieux concept d’extrême-droite - « le
racisme anti-blancs » - qui ne renvoie à
aucune réalité systémique d’oppression,
de discriminations et de violences
meurtrières en sociétés occidentales :
« Vous imaginez combien de talents, de
vies, de cursus ignorés, gâchés [par la négrophobie structurelle]
et ainsi de
suite... Alors bien sûr, quand on entend
Lilian Thuram dire ça, on se réfugie
derrière. On se dit : ‘Mais c’est vrai
!’ Et puis, quand on entend toute la
polémique qu’il y a derrière, on se dit
: ’Ah bon ?! Vous le réfutez encore ! Ah
d’accord ?!’ Mais comment tu peux... Tu
n’es pas dans mes pompes, mec ! Tu ne
parles pas à ma place. En plus, pour un
footballeur, je trouve que Lilian fait
un effort, quand même. Il est bien, quoi
! S’ils étaient tous comme ça, bordel,
le monde serait différent. Non mais on
est d’accord que le football régit aussi
un peu le monde ?! Quand la France gagne
la Coupe du monde, on a un petit essor
économique, on a des choses, il se passe
plein de trucs derrière... S’ils étaient
tous comme lui, putain, le monde serait
différent. Voilà : merci, Lilian ! »
Absolument. Il y a 12 ans comme
aujourd’hui : merci, Lilian !
Olivier Mukuna
(1)
http://www.rfi.fr/europe/20190816-belgique-blackfaces-polemique-bruxelles-pantheres
(2)
https://www.rtbf.be/sport/football/belgique/jupilerproleague/detail_ndongala-accuse-a-tort-de-vol-une-grosse-humiliation-je-suis-choque?id=10312519
(3)
https://www.rtl.fr/actu/justice-faits-divers/sevran-ce-que-l-on-sait-de-l-arrestation-musclee-qui-suscite-la-polemique-7798329138
(4) Article réservé aux amis FB de
l’auteur.
(5)
https://www.rtbf.be/info/monde/detail_une-marche-blanche-en-hommage-a-mamoudou-barry-le-jeune-chercheur-guineen-tue-a-rouen?id=10279945
(6)
https://www.rtbf.be/sport/football/etranger/italie/detail_pas-de-sanction-pour-cagliari-apres-les-cris-racistes-contre-lukaku-mais-que-fait-la-serie-a?id=10317822
(7)
https://www.atlantico.fr/decryptage/3578731/derives-de-l-antiracisme--lilian-thuram-la-maladresse-qui-la-cache-la-foret-des-decoloniaux-indigenistes-et-racises-assumes-barbara-lefebvre
(8) A partir de la 16 ème minute :
https://www.youtube.com/watch?v=7YksBEAkRUs
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