Actualité
Suprême délit d’opinion
Olivier Mukuna
Jeudi 12 janvier 2017
Cher
Dyab, J’ai envie de t’écrire ces
quelques lignes car ce n’est pas depuis
hier que ta diabolisation
politico-médiatique me dérange. Des
jours de prison que tu as subi à
l’initiative du “grand démocrate” Guy
Verhofstadt (2003) jusqu’à cette
polémique sur ton soutien à la
résistance palestinienne “par tous les
moyens nécessaires”. Une position
pourtant légitime qui a aboutit à te
faire virer du Standaard où tu étais
chroniqueur à succès...
A quoi
bon rédiger un article rationnel sur une
controverse qui ne l’est pas ? A quoi
bon contre-argumenter face à la mauvaise
foi hystérique ? A quoi bon rappeler les
principes de la liberté d’expression ou
l’article 19 de la Déclaration des
droits de l’homme à l’adresse de
politiciens ignares, de journalistes
peureux et d’internautes aliénés qui se
foutent de ces repères démocratiques
comme de leur premier tricycle ?
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C’est
vain mais je ne puis m’en empêcher. Le
délit d’opinion qu’on te reproche masque
mal les objectifs politiques et racistes
des crieurs qui vont l’alimenter. J’en
connais un peu la sonorité stridente.
Pour avoir été viré du Soir à
l’initiative du sioniste Marc
Metdepenningen qui, entre autres
délires, m’accusait d’être “un
antisémite notoire”... S’il y a un point
commun entre absurdités flamande et
francophone, c’est bien celui-là :
rarement les meilleurs ou les plus
honnêtes demeurent en fonction. Avais-tu
le droit de qualifier “d’acte de
résistance” le meurtre de quatre soldats
israéliens commis par un Palestinien ?
La réponse est oui. Au même titre que la
Résolution 2621 des Nations-Unies qui a
affirmé le 12 octobre 1970 : « le droit
inhérent des peuples coloniaux de lutter
par tous les moyens nécessaires contre
les puissances coloniales qui répriment
leur aspiration à la liberté et à
l’indépendance ». Est-ce que tu as alors
“dépassé le cadre de la liberté
d’expression”, comme le martèle Karel
Verhoeven, le rédacteur en chef du
Standaard ? La réponse est non. Prenons
un exemple parmi cent pour l’illustrer :
les multiples ingérences occidentales
dans la guerre en Syrie sont illégales
au regard du droit international.
L’envoi d’armes, l’entraînement de
mercenaires djihadistes et nos
bombardements coalisés depuis six ans
ont tué nombre de militaires et de
civils syriens. Pour autant, ici,
personne n’a eu l’idée de virer les
chroniqueurs chantant, minimisant ou
masquant notre implication meurtrière
dans cette sale guerre ; aucun
Secrétaire d’Etat, fainéant et raciste
jusqu’à l’os, n’a eu l’idée de qualifier
ces chroniqueurs de “malades” ; le très
performant Unia (1) ne s’est jamais
précipité pour “ouvrir une enquête” et
voir s’il y a avait là “une
infraction”... Dès qu’il s’agit de la
violence et des meurtres de nos “alliés”
ou de la farce sordide baptisée “lutte
contre le terrorisme”, chaque
assassinat, chaque torture, chaque
injustice est compréhensible,
justifiable dans les médias et ne fera
l’objet d’aucune polémique hystérique ni
de mise au ban de chroniqueurs
“déviants”. Tentons de déshabiller cette
hypocrisie jusqu’au bout, si tu le veux
bien, cher Dyab. Dans les coulisses, tu
sais ce qu’ils disent. Tu n’es pas
belge, tu es désigné “arabe”. Comme je
ne suis pas belge, je suis désigné
“noir”. Et plus que jamais, à partir de
ces labels infériorisants, mon frère,
les valets des puissants nous
accorderont plutôt une liberté de
soumission que d’expression. Dans la
misère du débat sociopolitique belge,
nos idéaux anticolonialistes, notre
antiracisme politique, nos espoirs de
justice et de démocratie, nos volontés
de les exprimer d’égal à égal sont...
tolérés. A condition qu’ils ne nomment
ni ne critiquent Israël. Le délit
d’opinion suprême ! Le tabou lancinant
des médias. L’angle mort de toute
carrière politique. La
démission-corruption de tout
intellectuel à gages. Le cynisme
rentable et le larbinisme revendiqué. La
suprématie blanche confortée.
Celles
et ceux qui chroniquent ou gardent le
silence sur les guerres coloniales que
l’Occident mène à travers le monde
sont-ils les mieux placé-e-s pour
s’offusquer du recours à la violence par
le membre d’un peuple opprimé ? Ces
hypocrites sublimes et infatigables,
toujours prêts à citer Nelson Mandela au
détour d’un discours creux, ont-ils déjà
réfuté son assertion qui rejoint
directement ton propos “interdit” (2) :
« C'est toujours l'oppresseur, non
l'opprimé qui détermine la forme de
lutte. Si l'oppresseur utilise la
violence, l'opprimé n'aura pas d'autre
choix que de répondre par la violence.
Dans notre cas, ce n'était qu'une forme
de légitime défense” ? Si l’on remonte
plus loin dans le temps et que l’on
revient aux “rassurants” Etats-Unis
d’Amérique, on pourra également se
souvenir de cette sentence de Frederick
Douglass, célèbre figure du mouvement
pour l’abolition de l'esclavage : « S'il
n'y a pas de lutte, il n'y a pas de
progrès. Ceux qui prétendent vouloir la
liberté et pourtant refusent
l'agitation, sont des hommes qui veulent
les récoltes sans labourer la terre. Ils
veulent la pluie sans le tonnerre et la
foudre. Ils veulent l'océan sans le
terrible rugissement de ses nombreuses
eaux. Cette lutte peut être morale ; ou
elle peut être physique ; ou elle peut
être à la fois morale et physique, mais
ce doit être une lutte. Le pouvoir ne
concède rien sans demande. Il ne l'a
jamais fait et il ne le fera jamais.»
En
décidant de t’engager, Dyab Abou Jahjah,
De Standaard m’avait agréablement
surpris. Au-delà du pari commercial, les
dirigeants de ce quotidien innovaient en
donnant un espace médiatique à un
activiste “racisé”, connu pour ne pas la
fermer. Le genre d’innovation absolument
inconcevable chez les managers blancs et
néoconservateurs de la presse belge
francophone. Mais tes chefs flamands et
pro-israéliens n’ont tenu que trois ans.
Pour finalement te virer pour délit
d’opinion pro-palestinienne sur Facebook
et Twitter. Non contents de se couvrir
de ridicule, ils crachent sur les
principes d’indépendance et de
pluralisme journalistiques tout en
consacrant le Secrétaire d’Etat Théo
Francken en nouveau directeur-associé du
journal (3). Comme s’ils voulaient
confirmer que la chronique libre ainsi
que la soif de justice sont décidément
ailleurs que dans ces médias cancéreux
qui ne nous parlent plus depuis
longtemps.
Confraternellement.
Olivier Mukuna
(1)
Unia ou le Centre interfédéral pour
l’égalité des chances, service public
belge autoproclamé “indépendant” et “de
lutte contre la discrimination et pour
la promotion de l’égalité des chances”.
(2)
http://www.aboujahjah.org/articles-...
(3) Donnant ses injonctions via Twitter,
le Secrétaire d’Etat à l’asile Francken
s’est demandé “comment un chroniqueur
attitré du Standaard pouvait tenir de
tels propos ? ”. Quelques heures plus
tard, Dyab Abou Jajah était débarqué du
Standaard...
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