Chronique de
Palestine
Un hôpital de Jérusalem où les bébés
meurent seuls
Olivier Holmes et Hazem Balousha
L'unité de
soins intensifs néonatals de l'hôpital
Al Makassed à Jérusalem-Est
Photo : Quique Kierszenbaum
Lundi 9 septembre 2019
Oliver Holmes à Jerusalem et
Hazem Balousha à Gaza – Le blocus
israélien de Gaza impose que les parents
soient séparés de leurs enfants
gravement malades.
À première vue,
rien ne semblait inapproprié dans
l’unité de soins intensifs pour enfants.
Neuf lits étaient occupés par neuf
petits nouveau-nés, tous munis de tubes
attachés à leur corps filiforme. Les
moniteurs émettaient des blips
électroniques réguliers. Les infirmières
allaient et venaient d’un lit à l’autre.
Un pédiatre à l’air fatigué remplissait
de la paperasse.
Et pourtant il
manquait quelque chose : il n’y avait
pas de parents.
Certains avaient
été renvoyés chez eux pour se reposer ou
buvaient peut-être anxieusement du café
à la cafétéria du rez-de-chaussée. Mais
pour deux bébés de cet hôpital
palestinien de Jérusalem, la mère
restait piégée à une heure et demie de
là par un blocus qu’Israël impose à
Gaza. Les deux nourrissons mourront plus
tard, l’un d’eux sans avoir revu sa
mère.
Des nourrissons
palestiniens gravement malades emmenés
de Gaza appauvrie et ravagée par la
guerre à l’hôpital Makassed mieux
équipé, souffrent et meurent sans la
présence de leurs parents.
Israël autorise la
sortie temporaire de Gaza pour des
raisons médicales dans certains cas,
mais pas dans tous. En même temps, il
empêche ou retarde sérieusement le
départ de nombreux parents de patients,
et d’autres ne présentent jamais de
demande, craignant que des contrôles de
sécurité approfondis pour les adultes ne
retardent l’obtention du permis de
sortie de leur enfant et ne leur fassent
perdre du temps vital.
Depuis le début de
l’année dernière, 56 bébés de Gaza ont
été séparés de leur mère et de leur
père, et six d’entre eux sont morts sans
la présence d’un parent, selon
l’hôpital.
Dans l’un des cas,
une jeune mère de Gaza de 24 ans a eu
l’autorisation de se rendre à Jérusalem
pour accoucher de triplés gravement
malades deux mois avant terme . Deux
pesaient moins qu’un paquet de sucre.
Mais le permis d’Hiba
Swailam a expiré et elle a dû retourner
à Gaza. Elle n’était pas là lorsque son
premier enfant est mort âgé de neuf
jours, ou deux semaines plus tard
lorsque son deuxième bébé est également
mort. On l’a informée par téléphone.
La survivante,
Shahad, a passé les premiers mois de sa
vie confiée aux soins d’infirmières, et
Hiba ne pouvait voir sa fille que par
appels vidéo. Alors que le bébé était
prêt à sortir de l’hôpital depuis
février, aucun membre de la famille ne
pouvait aller la chercher.
Après avoir été
contactées pour commentaires, les
autorités israéliennes ont autorisé
Swailam à quitter Gaza. Elle a été
autorisée à se rendre à Jérusalem le
jour même où Israël a répondu à la
demande de commentaires du Gardian, le
29 mai.
Physicians for Human Rights-Israel
(Médecins pour les droits de
l’homme-Israël), organisation médicale
israélienne à but non lucratif, a
déclaré que plus de 7 000 permis avaient
été délivrés l’année dernière à des
mineurs de Gaza. Moins de 2 000 permis
ont été accordés aux parents, on peut en
déduire que la plupart des enfants a
fait le voyage sans leur mère et leur
père. Mor Efrat, directeur du groupe
pour les territoires palestiniens
occupés, a déclaré que « le gouvernement
israélien devrait être tenu responsable
de la souffrance humaine ».
Séparer les
nourrissons malades de leurs parents
peut avoir des effets dévastateurs. Les
médecins pensaient que l’un des triplés
qui est mort lorsque leur mère était à
Gaza souffrait d’une maladie pour
laquelle l’une des meilleures mesures
préventives est l’allaitement. « Je ne
dirais pas que si la mère avait été là,
ils ne l’auraient pas contractée, mais
les risques auraient été moindres », a
expliqué Hatem Khammash, le chef de
l’unité néonatale.
Ibtisam Risiq,
l’infirmière chef qui dirige l’unité de
soins intensifs pédiatriques, a observé
un effet psychologique chez les
nouveau-nés sous ses soins qui sont
seuls. « Ils ont besoin d’amour. Leur
rythme cardiaque augmente. Ils sont
déprimés », dit-elle.
Assise à son
bureau, des piles de papiers partout,
elle surveillait ses infirmières se
hâter pour maintenir les bébés en vie.
Elle les réprimandait pour avoir laissé
par terre des emballages médicaux
rejetés. Un grand écran d’ordinateur
derrière elle montrait la fréquence
cardiaque de chacun des patients.
Pendant qu’elle parlait, l’un faisait un
bon à 200 pulsations par minute. « Ça
devrait être 130, » dit-elle, et elle
dépêcha vite une infirmière.
Des médecins
entraient et sortaient. Mme Risiq a
décroché le téléphone pour discuter avec
un administrateur qui avait appelé pour
un autre enfant qui avait besoin de
soins urgents. Il demandait en vain si
l’un des patients de Mme Risiq était
assez stabilisé pour le transférer dans
une unité de moindre risque.
« Nous sommes à
100% de taux d’occupation, » répondit
Mme Risiq. « C’est la même chose tous
les jours. Tous les jours je dois y
faire face. »
Déjà aux prises
avec des difficultés financières,
l’hôpital Makassed s’est détérioré
depuis que Donald Trump a
réduit de plusieurs millions de dollars
l’aide médicale qui lui été apportée
ainsi qu’à d’autres hôpitaux qui
desservent les Palestiniens de
Jérusalem-Est.
Une rivalité
politique féroce entre les factions
politiques palestiniennes en Cisjordanie
et à Gaza a également aggravé une crise
sanitaire. L’Autorité palestinienne (AP)
basée en Cisjordanie, le seul groupe
avec lequel Israël accepte d’être en
contact, a été
accusée d’avoir réduit l’aide médicale
à Gaza pour pousser le Hamas à céder le
contrôle de la Bande, accusation que
l’AP nie.
Un enfant
malade du cancer à l’hôpital de Gaza,
juin 2017.
Les fréquences coupures
d’approvisionnement en électricité et en
médicaments sont
les premières atteintes au droit à la
santé dans le territoire soumis au
blocus
Photo : Mohammad Asad
Saleh al-Ziq, le
chef du bureau de l’Autorité
palestinienne pour Gaza qui transmet les
demandes de permis de sortie à Israël, a
déclaré qu’il conseillait que les
enfants malades ne soient accompagnés
que par des personnes de plus de 45 ans,
dont les permis sont généralement
traités plus rapidement par les
autorités israéliennes car ils sont
considérés moins dangereux.
Le résultat c’est
que l’hôpital akassed est plein de
grands-parents, au lieu de parents, qui
sont généralement plus jeunes. L’hôpital
doit prendre en charge leur hébergement
et leur nourriture, et a installé des
caravanes pour leur permettre de dormir.
Mais dans certains cas, ils doivent eux
aussi retourner à Gaza et les bébés sont
laissés complètement seuls.
Dans l’unité de
soins intensifs pédiatriques, Mme Risiq
a pris un grand registre vert rempli de
ses inscriptions griffonnées
d’admissions, dont un grand nombre était
des prématurés.
Un nouveau-né,
Reema Abu Eita, est venu de Gaza avec sa
grand-mère pour une opération d’urgence
de la moelle épinière. L’intervention a
été retardée parce qu’elle avait une
infection, a expliqué Mme Risiq,
regardant le bébé, qui avait les yeux
fermés et la poitrine qui se soulevait.
Le père d’Abu Eita, chauffeur
d’ambulance, a réussi à obtenir un
permis pour rendre visite à sa fille,
mais le bébé est mort avant son retour à
Gaza.
Un autre nouveau-né
de Gaza, Khalil Shurrab, a été admis
avec un foie hypertrophié. Le teint
jaune à cause d’une jaunisse, il
souffrait de convulsions.
La grand-mère de
Khalil l’accompagnait, selon son père,
qui parlait depuis Gaza. « Le personnel
de l’hôpital lui a appris à nous
envoyer, à moi et mon épouse des photos
de lui sur WhatsApp, » a expliqué Jihad
Shurrab, 29 ans.
Son épouse, Amal, a
dit qu’elle ne dormait plus après le
départ de son fils. « J’aurais voulu
pouvoir l’accompagner à Jérusalem. Je
suppliais tout le monde, mais on me
disait que j’étais jeune et que les
Israéliens n’accepteraient jamais. »
Au soulagement de
la famille, l’hôpital Makassed a
finalement libéré Khalil au bout d’un
mois, et le bébé a pu retourner à Gaza.
Mais une fois de retour, ils ont
découvert que les médicaments n’étaient
pas disponibles localement.
« L’hypertrophie augmentait, » dit son
père. Il a décidé d’essayer de quitter
Gaza par le sud via l’Égypte, qui impose
également un blocus mais permet de
sortir dans certains cas. « Le jour où
nous devions faire le voyage, il est
mort. »
IIsraël dit que son
blocus terrestre, aérien et maritime de
Gaza vise à empêcher le Hamas et
d’autres groupes militants de lancer des
attaques. L’ONU le qualifie de «punition
collective» pour les 2 millions de
personnes qui s’y trouvent piégées. Les
résidents appellent cela un siège.
Cogat, l’organe du
ministère de la défense chargé de
coordonner les activités du gouvernement
israélien dans les territoires
palestiniens, a répondu par écrit qu’il
n’y avait pas de limite d’âge pour les
permis et que chaque demande était
examinée individuellement.
En ce qui concerne
le cas des triplés, il a déclaré qu’une
« erreur humaine dans les formulaires de
demande » était responsable du rejet
d’une demande déposée par la mère en
avril.o:p>
Il a imputé la
crise sanitaire à Gaza au Hamas et à
l’Autorité palestinienne, qui ont
« réduit massivement leur budget d’aide
médicale pour les habitants de la Bande
de Gaza ». Le Hamas a utilisé des
patients comme mules pour introduire
clandestinement des explosifs et des
« fonds de la terreur » en Israël,
a-t-il expliqué.
Cogat a par
ailleurs précisé qu’il « délivre des
dizaines de milliers de permis pour les
patients et délivre également des permis
pour les médecins palestiniens, qui
reçoivent une formation dans les
hôpitaux en Israël. »
Alors qu’il est
plus difficile pour les habitants de
Gaza de sortir de la Bande, il est aussi
difficile, parfois impossible pour les
parents palestiniens de Cisjordanie de
se rendre à l’hôpital Makassed qui
dessert aussi la Cisjordanie. Israël
revendique la souveraineté sur
l’ensemble de Jérusalem et a même isolé
ses quartiers à majorité arabe du reste
des territoires palestiniens. Certains
patients, de nombreux enfants plus âgés
souffrant de cancer, ont leur famille
qui, bien que vivant à quelques minutes
de là, ne peut pas leur rendre visite.
Il est si courant
que les enfants soient séparés de leur
famille que les hôpitaux palestiniens de
Jérusalem leur procurent des tablettes
pour qu’ils puissent passer des appels
via Skype.
UUne organisation
caritative de soins basée au Royaume
Uni,
Medical Aid for Palestinians,
organise des visites de l’hôpital
Makassed pour des députés britanniques
afin de leur montrer les conséquences de
la séparation des enfants de leurs
parents.
Une députée
travailliste qui s’est rendue sur place
a déclaré qu’elle insistait auprès du
gouvernement britannique pour qu’il
intervienne. osena Allin- Khan, qui
travaillait autrefois comme médecin
urgentiste, a déclaré : «Aucun enfant au
monde ne devrait être seul dans les
moments où il est le plus vulnérable.»
« Le gouvernement
britannique doit faire pression sur les
autorités israéliennes pour réformer ce
système inhumain. »
220 juin 2019 –
theguardian – Traduction:
Chronique de Palestine – MJB
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