Opinion
Projet de réforme pénale :
verrouillage sécuritaire et dérive
néo-conservatrice
Nicolas Bourgoin
Photo:
D.R.
Mardi 29 mars 2016
Les mêmes causes produisent les mêmes
effets : les derniers attentats
devraient être le prétexte à un nouveau
durcissement de la législation
antiterroriste à l’image des précédentes
lois votées depuis quatre ans selon le
triptyque habituel – renforcement du
pouvoir exécutif, intensification de la
surveillance et diminution des libertés
publiques. Les débats qui s’ouvrent au
Sénat (majoritairement à droite) à
partir de ce mardi devraient être ceux
de tous les dangers pour ce qu’il reste
de démocratie. Jamais à court de
surenchère, la droite a d’ores et déjà
émis des propositions pour « muscler »
le projet de loi adopté par l’Assemblée
Nationale, allant de l’instauration
d’une période de sûreté de 30 ans
(contre 22 aujourd’hui) au
rétablissement de la peine de mort pour
les terroristes en passant par la
création d’une perpétuité incompressible
(défendue notamment par Nathalie
Kosciusko-Morizet) ou encore la mise en
place d’une rétention de sûreté après la
prison, la création d’un délit de
consultation habituelle de site
terroriste, ou d’un délit de voyage à
l’étranger (sic) avec séjour dans un
lieu où s’entraînent les
terroristes.. Le Sénat prévoit aussi de
renforcer le contrôle administratif des
personnes de retour de zones
d’opérations terroristes. Autres
dispositions que devraient introduire
les sénateurs : l’organisation d’un
régime plus rigoureux d’exécution des
peines ainsi que la création d’une
circonstance aggravante permettant de
criminaliser certains délits
d’association de malfaiteurs en relation
avec une entreprise terroriste, et de
faciliter la saisie des correspondances
stockées.
Mais ces outrances cachent
l’essentiel : le basculement progressif
du droit pénal classique dans un régime
de « droit pénal de l’ennemi » qui
traite le terroriste comme un
« combattant illégal » (pour reprendre
la terminologie bushienne plus que
jamais d’actualité). Ne pas considérer
l’auteur d’attentat comme un délinquant
amendable mais comme l’agent d’une
puissance ennemie. De fait, les appels
incantatoires à intensifier la « guerre
contre le terrorisme » lancés par les
responsables politiques –
Manuel Valls en tête – et les medias
sous contrôle ont pour fonction de
donner corps au mythe d’une guerre des
civilisations. Au risque d’alimenter la
menace même qu’ils prétendent combattre
tout en liquidant au passage ce qu’il
reste d’État de droit.
Le projet de loi « renforçant
la lutte contre la criminalité organisée
et son financement, l’efficacité et les
garanties de la procédure pénale »
vise à un durcir le code pénal pour les
auteurs d’actes terroristes et à
renforcer le pouvoir exécutif (forces de
l’ordre, préfets et procureurs) au
détriment de celui des juges. Il creuse
donc le sillon des
précédentes lois antiterroristes
votées depuis 2012
marquant une vraie défiance envers
l’autorité judiciaire. Les
principales mesures du texte concernent
le renforcement des moyens alloués aux
forces de l’ordre et aux services de
renseignement intérieur, un
assouplissement des règles d’engagement
armé des policiers, la mise en place
d’un dispositif de contrôle
administratif des personnes de retour du
djihad en Syrie et en Irak, un
élargissement des conditions de fouilles
de bagages et des perquisitions, ou
encore un accès facilité pour les
parquets et les juges d’instructions aux
interceptions électroniques.
Le renforcement du pouvoir de la
police administrative, notamment du
préfet, et de celui du procureur,
dépendant du garde des Sceaux, au
détriment de celui des magistrats du
siège, conduit à laminer le
contre-pouvoir judiciaire au profit du
pouvoir exécutif. Le procureur pourra
notamment ordonner des perquisitions de
nuit ou la pose de micros ou de caméras
au domicile d’un suspect en se passant
de l’aval d’un juge d’instruction. Quant
au préfet, Il pourra décider de
l’assignation à résidence de personnes
revenues du jihad sur le territoire
français à titre préventif (sans qu’il y
ait eu commission d’infraction) et
toujours sans contrôle d’un juge.
Tout comme les précédentes, cette
dernière loi antiterroriste (qui vise
aussi le grand banditisme) s’attaque
ainsi aux garanties du justiciable face
à l’appareil d’État, affaiblissant
d’autant la démocratie judiciaire et
l’État de droit. À l’image de ce recul
démocratique, le gouvernement avait
prévu de passer en force
en légiférant par ordonnances.
État d’urgence, état
d’exception.
Les réformes pénales conduites sous
couvert de « guerre contre le
terrorisme » permettent au gouvernement
actuel de laminer le droit pénal en
multipliant les mesures d’exception
réservées aux auteurs d’actes
terroristes, comme autant de brèches
creusées dans l’État de droit. De même
qu’avec
l’instauration de l’état d’urgence,
il s’agit d’affaiblir le contre-pouvoir
judiciaire face à celui de l’appareil
répressif d’État. En d’autres termes :
mettre en place un État policier.
Le terme même de « guerre » contre le
terrorisme ânonné sans relâche par les
responsables politiques et les médias
montre que l’on a quitté le registre du
droit pénal classique qui considère
l’infracteur comme un délinquant
amendable pour celui du
droit pénal de l’ennemi qui est,
selon le juriste Günther Jakobs,
caractéristique des régimes totalitaires.
Un ennemi est au mieux neutralisé, au
pire éliminé. Comme le dit
si clairement Philippe Bas, le
président LR de la commission des lois
du Sénat, « je veux ne laisser
pratiquement aucune chance à un condamné
pour actes de terrorisme de sortir un
jour de prison ». En ajoutant aussitôt :
« Il faut déroger à ce qui est prévu
pour les autres crimes ». Il reste donc
à espérer que la législation
antiterroriste ne devienne la norme
pénale par contaminations successives.
Le flou qui entoure la notion même de
terrorisme n’est pas pour nous rassurer
sur ce point…
La banalisation de la notion de
« guerre contre le terrorisme »
désormais passée dans le langage courant
signe le triomphe des thèses
néo-conservatrices portées par
l’administration Bush quand la guerre
contre les « ennemis
combattants illégaux »
justifiait l’emploi de mesures de sûreté
comme l’internement sans garanties
procédurales des présumés terroristes
dans les lieux de non-droit que sont le
camp de Guantanamo ou les « prisons
secrètes de la CIA ». De même qu’avec le
Patriot Act étasunien qui a
produit la notion de « prisonnier
extra-judiciaire », il s’agit de
déconstruire le droit pénal (et même le
droit de la guerre) en multipliant les
mesures d’exception pour in fine
faire prévaloir la raison d’État sur
l’État de droit.
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