Opinion
La loi sur le renseignement,
un texte pour museler la
contestation sociale
Nicolas Bourgoin
Vendredi 24 avril 2015
Le scénario apparaît immuable : un
attentat ultramédiatisé suscite une vive
émotion collective, le gouvernement
promet une réponse à la hauteur du péril
et fait passer une énième batterie de
mesures liberticides en procédure
d’urgence. La loi sur le renseignement
qui sera votée le 5 mai ne fait pas
exception, loin s’en faut, se voulant
conjurer l’attaque meurtrière contre
Charlie Hebdo,
l’un des points forts du système de
domination médiatique. Et tout comme
les précédentes, elle a un spectre
d’action bien plus large que la seule
menace terroriste contre laquelle elle
est censée lutter comme le montre la
liste de ses objectifs officiels :
– la prévention des atteintes à
l’indépendance nationale, à l’intégrité
du territoire et à la défense
nationale, aux intérêts majeurs de la
politique étrangère et aux intérêts
économiques industriels et scientifiques
majeurs de la France,
– la prévention du terrorisme
– la prévention des atteintes à la
forme républicaine des institutions, des
violences collectives de nature à porter
atteinte à la sécurité nationale, de la
reconstitution ou d’actions tendant au
maintien de groupements dissous.
– la prévention de la criminalité et
de la délinquance organisée
– la prévention de la prolifération
des armes de destruction massive
En ligne de mire, donc : les lanceurs
d’alerte, les syndicalistes, les
manifestants de tous bords, les zadistes,
les indépendantistes, la dissidence
politique,… en gros tous ceux qui
contestent la politique du gouvernement
par des actions parfois radicales. La
loi sur le renseignement est un texte
sur mesure pour combattre l’opposition
politique.
Piloté directement par le Premier
Ministre, le projet de loi sur le
renseignement a pour objectif de
légaliser les pratiques clandestines et
intrusives des services de renseignement
et de leur offrir de nouveaux outils
pour surveiller Internet : mise sur
écoute de véhicules, installation de
mouchards pouvant enregistrer les
frappes sur un clavier d’ordinateur,
pose de caméras au domicile d’un
suspect, de balises de géolocalisation
ou de boîtes noires, interception de
communications électroniques et
téléphoniques en temps réel,… et le tout
avec la collaboration (forcée) des
acteurs du numérique et de la téléphonie
sommés de répondre à toute demande
d’information émanant des services de
police administrative. Cerise sur le
gâteau, un algorithme placé sur le
réseau des opérateurs télécoms pourra
détecter les « signaux faibles » d’une
menace terroriste, c’est-à-dire les
comportements numériques suspects
annonciateurs d’un passage à l’acte.
Autorisant la mise sous surveillance
quasi-systématique de la population
française, ce texte met à l’honneur le
« décèlement précoce » cher à Alain
Bauer, autrement dit le dépistage de la
menace à son stade embryonnaire,
creusant encore un peu plus le sillon de
la pénalité préventive. Tirer d’abord,
interroger ensuite, voilà à quoi semble
se résumer la
nouvelle doctrine de sécurité à l’oeuvre
depuis une dizaine d’années qui a déjà
fait quelques victimes dans les rangs
des insoumis. Tenir certains propos sur
Internet ou sur les réseaux sociaux peut
donner lieu à inculpation pour
apologie du terrorisme ou même pour
association
de malfaiteurs en relation avec une
entreprise terroriste, si bien que
l’on peut aujourd’hui parler de
délit de préterrorisme. L’affaire de
Tarnac de l’automne 2008, qui a vu la
fabrication de toutes pièces d’une
menace terroriste fantôme, pourrait
bien devenir
la norme.
Si elle emporte
l’adhésion de l’UMPS, cette nouvelle
loi a suscité en revanche de vives
inquiétudes de la part des défenseurs
des droits de l’Homme ou de la liberté
d’expression, des professionnels du Net,
de la Commission nationale de
l’informatique et des libertés, du
Conseil national du numérique, du
président de la Commission nationale du
contrôle des interceptions de sécurité
(CNCS), de
certains juges antiterroristes et
des formations politiques de gauche
radicale. Même le Conseil de l’Europe
est réticent. Il faut dire qu’aucun
gouvernement de la Cinquième République
n’était allé aussi loin dans le chantage
au terrorisme et
l’instrumentalisation des peurs à des
fins autoritaires. Réduit au rôle
d’exécuteur des basses oeuvres de la
finance mondialisée et en panne de
légitimité, le gouvernement n’a guère
d’échappatoire. Ne lui reste que la
méthode forte consistant à renforcer son
arsenal technologique et législatif pour
faire taire toute expression
d’opposition radicale à sa politique
économique et sociale. Dernier fait
d’armes d’un exécutif discrédité, la loi
sur le renseignement est bien un
attentat aux libertés.
Voir également sur le site de
l'auteur
: un entretien à propos de son dernier
ouvrage « La
République contre les libertés ».
Une
présentation orale de cet ouvrage
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