Opinion
L’antiracisme contre les libertés.
Bref éclairage sur le plan d’action de
Manuel Valls
Nicolas Bourgoin
Samedi 18 avril 2015
L’enfer est pavé de bonnes intentions.
Le gouvernement Hollande sort une
nouvelle fois l’artillerie pénale dans
ce qui semble être devenu sa priorité
expresse : la lutte contre le racisme,
plus particulièrement l’antisémitisme.
Si l’intention est évidemment louable,
la méthode utilisée met sérieusement à
mal les libertés publiques. Cet
activisme sur le front des valeurs
républicaines, qui tranche
singulièrement avec une passivité
manifeste sur la question de la défense
des travailleurs, est lourd de
conséquences. Le plan de l’exécutif qui
prévoit notamment de sortir les injures
racistes et antisémites du droit de la
presse, relativement protecteur, pour en
faire un délit à part entière
a suscité l’inquiétude des associations
de défense des droits de l’Homme. Il
sera désormais possible d’envoyer
quelqu’un en prison, éventuellement en
procédure accélérée, pour des propos
jugés racistes. La procédé est identique
à celui employé dans la lutte contre le
terrorisme : criminaliser les paroles ou
les idées jugées incompatibles avec les
valeurs de la République. Avec un risque
similaire : créer purement et simplement
un délit d’opinion.
En panne de légitimité « socialiste »
au moment du passage
en force de la loi Macron, sans
doute la réforme
la plus libérale votée sous la 5ème
République, la Garde des Sceaux
annonçait un
énième projet de loi contre le racisme
et l’antisémitisme. La mécanique est
bien rodée : surfer sur l’émotion
collective provoquée par un événement
dramatique pour faire passer une
nouvelle loi liberticide. La dernière en
date ne fait pas exception. La
profanation d’un cimetière juif de
Sarre-Union par cinq mineurs qui ont
saccagé 250 tombes ainsi que les
agissements de certains supporters de
Chelsea qui ont
empêché un homme noir de monter dans
le métro ont servi de prétexte à un
énième durcissement pénal. Annoncé à
Créteil,
lieu hautement symbolique, le
nouveau projet de loi de l’exécutif fait
des actes racistes et antisémites des
circonstances aggravantes dans de
multiples infractions. Il crée en outre
une plateforme dédiée aux personnes
victimes de ces actes et donne la
possibilité à celles-ci de se regrouper
et d’agir ensemble.
La lutte contre le racisme et
l’antisémitisme, décrétée par François
Hollande « grande cause nationale »
après les attentats du mois de janvier,
faisait déjà l’objet d’une priorité
expresse : par
sa circulaire du 12 janvier 2015,
Christiane Taubira avait demandé aux
procureurs de la République de « faire
preuve d’une extrême réactivité dans la
conduite de l’action publique envers les
auteurs d’infractions racistes ou
antisémites » en insistant pour qu’une
réponse pénale « systématique, adaptée
et individualisée » soit apportée à
chacun de ces actes. En clair :
tolérance zéro pour ce type
d’infraction, attitude qui contraste
singulièrement avec le traitement
réservé à la délinquance classique,
un champ largement délaissé par le
gouvernement.
Le nouveau plan de l’exécutif
consacré à la lutte contre le racisme
est doté d’une enveloppe de 100 millions
d’euros sur 3 ans, ce qui peut
surprendre en ces temps de disette
budgétaire. Mais le volet préventif est
ambitieux : « communication offensive »
pour inculquer dès le plus jeune âge les
valeurs de tolérance avec une batterie
de mesures pédagogiques dans les écoles
et des campagnes d’affichage, mise en
place d’une instance opérationnelle de
lutte contre le racisme et
l’antisémitisme dans chaque département,
création d’une « unité nationale de
lutte contre la haine » sur Internet,
aide accrue aux victimes et renforcement
de la sécurité des lieux de culte, des
écoles et des points de rassemblements
juifs.
Si l’intention de lutter contre le
racisme est louable, on peut
s’interroger sur sa finalité. Et sur
cette question, les dérives de la lutte
antidjihadiste sont riches
d’enseignement : pour simplement avoir
refusé la minute de silence après les
attentats de Charlie Hebdo ou avoir
posté un message provocateur sur les
réseaux sociaux, de nombreuses personnes
– parfois des collégiens –
ont été inculpées d' »apologie du
terrorisme », innovation juridique
de la loi Cazeneuve votée en novembre
dernier, passible de 7 années
d’emprisonnement et 100.000 euros
d’amende. Ces excès
ont suscité l’inquiétude des
associations de défense des droits de
l’Homme. Et pour cause : nul futur
terroriste derrière les barreaux mais de
simples citoyens déclarés coupables
d’avoir déserté la mobilisation générale
pour la « guerre contre le terrorisme ».
De façon similaire, on peut craindre
que l’accusation d’antisémitisme serve à
criminaliser l’opposition à la politique
israélienne ou à la soumission de la
France au lobby pro-israélien, surtout
quand on entend Manuel
Valls décréter que la « haine du
juif » se nourrit de l’antisionisme.
Dominique Reynié, politologue
assermenté au micro de France-Inter
identifiait même le Front de Gauche à un
« foyer d’expression de
l’antisémitisme ». Les électeurs de
Marine Le Pen et les Français musulmans,
victimes de la politique mondialiste du
gouvernement socialiste, étaient pour
l’occasion mis dans le même sac. Et sans
surprise, la réponse consistant une fois
de plus à museler Internet, en
particulier les réseaux sociaux et les
plateformes de partage de vidéos où « se
retrouvent ces publics-là ».
L’instrumentalisation de
l’antiracisme entraîne une réduction
drastique de la liberté d’expression
publique. Dénoncer la main-mise de la
finance internationale sur l’économie
française, contester le pouvoir des
banques, ou encore défendre la cause des
peuples opprimés par l’impérialisme
sioniste ou étasunien vaut
excommunication. Le vrai antisémitisme
est très minoritaire en France comme
le montrent les études d’opinion
mais il pourrait bien se développer à la
faveur de ces campagnes à répétition qui
visent à criminaliser indirectement
l’expression d’opinions ou d’analyse
contestataires de l’ordre dominant.
Elles finiront à force de durcissements
par ne laisser au citoyen que deux
options : se soumettre ou devenir un
délinquant d’opinion.
Voir également sur le site de
l'auteur
: un entretien à propos de son dernier
ouvrage « La
République contre les libertés« .
Une
présentation orale de cet ouvrage
Le sommaire de Nicolas Bourgoin
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