Opinion
Guerre en Syrie, révision de la
Constitution et lois discriminatoires :
que cache la fuite en avant de François
Hollande ?
Nicolas Bourgoin
Photo: D.R.
Mardi 17 novembre 2015
Effet d’aubaine, les attentats du 13
novembre donnent les mains libres à
l’exécutif pour négocier un virage
ultra-sécuritaire en s’assurant du
soutien de l’opinion publique. Le
scénario est rodé – acte de terrorisme,
médiatisation à outrance et réaction
sécuritaire – mais la réponse surprend
cette fois par sa brutalité et son
ampleur inédite. Constitutionnalisation
de l’état d’urgence, offensive
anti-musulmane sur le front intérieur et
guerre militarisée sur le font
extérieur. Au-delà de l’incohérence de
la diplomatie française, de
l’islamophobie compulsive
quasi-délirante et de
l’instrumentalisation de la menace
terroriste à des fins sécuritaires, se
cache un projet désormais avoué par le
chef de l’État lui-même : mener une
guerre de civilisation contre le monde
musulman, suivant ainsi le sillon tracé
par l’administration Bush au lendemain
des attentats du 11 septembre. Les
effets de cette politique sont connus :
effondrement économique, tensions
géopolitiques et chaos migratoire. Trois
maux qui ne font qu’alimenter la menace
terroriste. Mais à qui donc profite le
crime ?
Comme on pouvait s’y attendre, le
pouvoir exécutif s’est engouffré dans la
fenêtre ouverte par les attentats du 13
novembre, mettant ainsi à profit les
enseignements de la bonne vieille
stratégie du choc : profiter du
désarroi provoqué par un événement
exceptionnel pour faire passer des
mesures inacceptables en temps normal.
Le carnage du Bataclan a ouvert ainsi la
porte à une politique de tous les
dangers pour la paix, la sécurité et les
libertés publiques.
Poursuite de
la stratégie de la tension en Syrie
Après
avoir livré des armes aux « rebelles »
ennemis du régime Syrien, la France
continue de faire de l’éviction de
Bachar El-Assad une priorité expresse,
répondant ainsi aux voeux de ses alliés
saoudiens, qataris, turcs et israéliens.
Dans
son discours devant le Congrès du
Parlement français à Versailles,
François Hollande a déclaré une nouvelle
fois que la recherche d’une solution
politique excluait le président syrien
en exercice. Le soutien renouvelé aux
groupes terroristes agissant en Syrie ne
pourra que continuer à susciter des
vocations comme ce fut le cas suite aux
déclarations de Fabius concernant le
Front al-Nosra.
Islamophobe
d’État sur le front intérieur.
Eternels boucs émissaires, les
musulmans sont à nouveau montrés du
doigt par les responsables politiques.
Bernard Cazeneuve propose la
dissolution de nombreuses mosquées –
plusieurs dizaines, voire des centaines
pourraient être détruites – jugées
« radicales » et des « associations qui
s’en prennent aux valeurs de la
république », mesures qui viendraient
s’ajouter à l’expulsion des imams
appelant au jihad. Il a précisé qu’une
disposition en ce sens serait
prochainement étudiée en conseil des
ministres. Est également envisagée la
création d’un régime spécial pour les
bi-nationaux musulmans nés français
autorisant leur déchéance de la
nationalité française ainsi que
leur interdiction de séjourner sur le
territoire français en cas de
radicalisation, une mesure qui avait
été évoquée après les attentats de
janvier pour être abandonnée ensuite
sous la pression des associations de
défense des droits de l’homme. Une fois
revenus en France, certains pourront se
voir imposer « des conditions de
surveillance draconiennes », comme des
assignations à résidence ou « une
participation à un programme de
déradicalisation ». Loi de Nuremberg des
temps modernes, cette mesure
institutionnalise une séparation entre
deux catégories de citoyens français :
les citoyens à part entière dont la
nationalité est définitivement acquise
et les musulmans.
Instauration
d’un état d’urgence permanent.
Mais la mesure la plus lourde de
conséquences est sans doute la création
programmée d’un régime juridique spécial
– « l’état de crise » – permettant de
mettre en oeuvre des mesures
exceptionnelles attentatoires aux
libertés publiques et contraires à la
Constitution mais répondant aux
nécessités de la guerre contre le
terrorisme. Il s’agit ni plus ni moins
que de réviser la Constitution afin de
pérenniser le régime de l’état d’urgence
qui autorise le transfert de pouvoirs de
police de l’autorité civile à l’autorité
militaire, la création de juridictions
militaires et l’extension des pouvoirs
de police. Selon François Hollande,
cette réforme de la Constitution « devra
permettre aux pouvoirs publics d’agir,
conformément à l’État de droit, contre
le terrorisme de guerre« . Cette loi
martiale déjà dans les cartons ira même
au-delà de ce que prévoit la loi de 1955
sur l’état d’urgence qu’il veut
d’ailleurs prolonger
de trois mois et qui a déjà donné
lieu à des
centaines de perquisitions et
d’assignations à domicile. Selon les
dires du chef de l’État, la nouvelle loi
qu’il souhaite voir adoptée dans les
meilleurs délais sera « plus
protectrice, plus adaptée au
développement des nouvelles technologies
et à la menace terroriste ».
La guerre de
civilisation, c’est maintenant !
Invoquant la légitime défense pour
justifier ce chapelet de mesures
régressives adoptées sur fond d’union
sacrée, l’exécutif considère que la
France est en guerre et qu’elle devra
faire face à de nouvelles répliques.
En guerre contre qui ? Valls avait
lâché le morceau en affirmant il y a
quelques mois que la France était
engagée « dans une guerre de
civilisation » contre le monde
arabe-musulman. Véritable prophétie
auto-créatrice, la guerre menée contre
le terrorisme islamique alimente la
menace même qu’elle prétend combattre en
suscitant des vocations dans le camp
adverse par les dommages collatéraux
qu’elle entraîne. Pour qualifier les
attentats de samedi dernier, Hollande
a parlé d’acte de guerre, formule
employée en son temps par George W.Bush
au lendemain des attentats du 11
septembre. Ce choix sémantique qui est tout
sauf anodin ouvre la porte à un
régime d’exception comparable celui du
Patriot Act étasunien.
Comme toutes les idéologies, le
modèle du choc des civilisations
présente une image schématique et
falsifiée du réel qui masque les enjeux
fondamentaux. La vision binaire qu’elle
propose (civilisation judéo-chrétienne
contre Islam barbare et conquérant ou
« civilisation humaine » contre «
barbarie » comme dit Bernard
Cazeneuve) est trompeuse car les
premières victimes du terrorisme
islamiste sont les musulmans eux-mêmes.
Faisant de l’Islam une menace par
essence, elle empêche de comprendre les
racines sociales, économiques et
géopolitiques du terrorisme, pourtant le
seul moyen de le faire reculer
efficacement en évitant une fuite en
avant aux coûts faramineux pour toutes
les parties en présence. La mécanique du
bouc émissaire sert avant tout les
intérêts des dominants qui cherchent à
diviser pour mieux régner. Cette
évidence rappelle que la fonction même
de l’idéologie est de protéger le
système de domination : l’oligarchie a
évidemment tout à perdre d’une lecture
du terrorisme qui mettrait en cause la
domination occidentale, les prédations
néo-coloniales et les effets
déstabilisateurs de la mondialisation
financière dont elle est partie
prenante.
Le sommaire de Nicolas Bourgoin
Le dossier politique française
Les dernières mises à jour
|