Opinion
Comment les élites ont fabriqué
le
« problème salafiste »
Nicolas Bourgoin
Photo:
D.R.
Mercredi 6 avril 2016
Bis repetita placent. Invité à
clôturer la journée de conférences et de
débats sur «l’islamisme et la
récupération populiste en Europe»,
organisée par le forum «Le
Sursaut», Manuel Valls a, une énième
fois, considéré que le voile « n’était
pas un objet de mode mais un
asservissement de la femme ». Cette
déclaration fait écho aux
propos racistes de la ministre des
droits des femmes assimilant les
femmes qui choisissaient de porter le
voile « aux nègres américains qui
étaient pour l’esclavage. » On peut bien
sûr voir dans cette ostracisation la
dernière carte d’une équipe
gouvernementale en déroute. La stratégie
du bouc émissaire ou du diviser pour
mieux régner et toujours rentable dans
les périodes de crise pour dédouaner les
vrais responsables (qui ne sont
évidemment pas musulmans…). Mais cette
haine anti-Islam rejoint un projet
politique plus vaste : lever les
derniers obstacles qui s’opposent encore
à la mise en place d’un capitalisme
globalisé.
Renforcer les clivages
communautaires
Les
propos de Manuel Valls déclarant que
le salafisme était en train de « gagner
la bataille idéologique et culturelle »
ont été qualifiés par le président du
Conseil français du culte musulman
(CFCM), Anouar Kbibech de
positions « clivantes » et
« anxiogènes ». Ces deux termes
résument en effet la stratégie suivie
par le Premier Ministre : entretenir un
climat de peur en agitant le fantasme
d’un Islam conquérant, tout en
renforçant les clivages entre
communautés par le mécanisme bien connu
du self-fullfilling prophecy – l’ostracisation
favorise le repli communautaire, donnant
ainsi des arguments à ceux qui le
dénoncent. Le terme de « bataille
identitaire » employé par Manuel
Valls n’est pas anodin car elle suppose
qu’un individu se définit avant tout par
son appartenance religieuse. Postulat
totalement contradictoire avec la
laïcité dont il a pourtant fait son
cheval de bataille…
… en instrumentalisant le
féminisme.
Manuel Valls n’a pas manqué d’en
appeler à la défense des femmes contre
l’asservissement religieux, alibi
classique des préjugés islamophobes.
Dans son viseur :
la mode pudique qui permet aux
femmes musulmanes de se vêtir en
conformité avec leurs valeurs. La
ministre des Droits des femmes lui a
emboîté le pas en s’en prenant aux
marques qui font la promotion de la mode
pudique. La ministre a ainsi déclaré que
les « burkini » de Marks & Spencer
faisaient «
la promotion de l’enfermement du corps
des femmes » et a jugé que la
collection pudique et les autres
collections de ce type étaient «
irresponsables ». « On ne peut pas
admettre que c’est banal et anodin que
de grandes marques investissent ce
marché et mettent les femmes musulmanes
dans la situation de devoir porter ça »,
a-t-elle soutenu.
L’argumentaire de la ministre repose
sur deux postulats : que les femmes qui
portent ces vêtements le font sous la
contrainte et que l’émancipation
féminine passe forcément par la nudité.
Difficiles à démontrer à moins de tenir
pour acquise la supériorité des
« valeurs occidentales ». La question
identitaire posée par Manuel Valls
rejoint finalement la question coloniale
: le dévoilement forcé des musulmanes
fait écho à la
cérémonie du dévoilement à Alger de
sinistre mémoire (des femmes musulmanes
ont été forcées de brûler leurs voiles
pendant la guerre d’Algérie sous la
menace de militaires français). Comme
le rappelle la sociologue Zahra Ali,
« l’argument de l’émancipation et de la
libération des femmes musulmanes a été
central durant la colonisation, et ce
féminisme colonial a servi d’assise à la
prétention à civiliser le « monde
musulman ». Ce féminisme réactionnaire
n’est jamais loin du néoconservatisme
: le thème de la « libération des femmes
» a été largement investi par
l’administration Bush pour
justifier ses guerres impérialistes en
Afghanistan et en Irak.
Salafisme ou Islam.
À l’avant-poste du combat
anti-pudique, l’islamophobe Elisabeth
Badinter qui
a appelé au boycott des marques
occidentales (Dolce & Gabbana, H&M,
Marks and Spencer, Uniqlo…) développant
des tenues islamiques en qualifiant au
passage d’islamo-gauchistes ceux qui
défendent les musulmans contre
l’impérialisme occidental. Position pour
le moins surprenante quand on connaît
les liens étroits qui unissent notre
féministe patentée à l’Arabie Saoudite
qui ne brille guère, pourtant, par la
place qu’y occupent les femmes.
Finalement, on peut se demander
contre quelle cible est dirigée la
croisade menée par les élites
socialistes. L’Islam ? L’islamisme ? Pas
le salafisme en tout cas, et surtout pas
à l’époque où Fabius affirmait qu’Al
Nosra faisait du bon boulot. Il est
vrai qu’il parlait alors de la Syrie…
La vraie cible est peut-être bien
l’Islam, religion structurée et
structurante dont les principes
s’opposent à l’idéologie consumériste
que les impérialistes rêvent de voir
étendre à l’ensemble du monde. Comme
l’expose Pierre Hillard, l’Islam est
sans doute
le dernier rempart contre le Nouvel
Ordre Mondial. Un rempart que les
élites oligarchiques voudraient bien
voir sauter…
Publié le 6 avril
2016 avec l'aimable autorisation de
l'auteur
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