Opinion
RFID : la police numérique arrive
et ses pouvoirs sont illimités
Nicolas Bourgoin
Photo:
D.R.
Mercredi 3 juin 2015
Vivre avec une puce électronique sous
la peau, c’est désormais possible et
même recommandé. Les
Implant parties fleurissent un peu
partout en Europe et l’une est d’ores et
déjà prévue à Paris le 13 juin,
organisée par le collectif de biohackers
suédois Bionyfiken. Au menu :
conférences (en anglais) et pose
d’implants NFC (garantie indolore).
Festives et hi-tech, ces soirées vantent
les mérites de cette dernière folie
technologique : plus besoin de badge
pour s’identifier, de carte bancaire
pour payer ou de code pour déverrouiller
son smartphone ou son ordinateur. La
puce permet aussi le stockage de données
personnelles directement lisibles sur un
terminal de lecture. Selon ses
promoteurs, il s’agit avant tout
d’améliorer nos capacités d’êtres
humains par la biotechnologie et
d’optimiser notre rapport à
l’environnement, en bref nous faciliter
la vie et nous rendre plus efficaces. Il
s’agit aussi de préparer l’opinion
publique à ce qui sera demain la norme
quand les pouvoirs publics
rendront le puçage obligatoire.
Pratiqué aux Etats-Unis
depuis une dizaine d’années, le
puçage cutané s’étend rapidement en
Europe. Certaines entreprises suédoises
proposent déjà
l’implant de puces à leurs employés
afin de les rendre plus productifs et en
Espagne elles servent
de moyens de paiement dans certaines
discothèques. Mais l’affichage
promotionnel du procédé cache mal sa
finalité réelle. Les volontaires de ce
marquage électronique dernier cri sont
en réalité les cobayes d’un projet
d’envergure qui vise ni plus ni moins
qu’à rendre l’individu totalement
transparent et à le livrer pieds et
poings liés aux dispositifs de
surveillance et de contrôle.
Identifier
et suivre les objets
La technologie RFID (Radio Frequency
Identification) permet d’identifier un
objet ou un être vivant, d’en connaître
les caractéristiques et d’en suivre le
cheminement, le tout à distance et sans
contact, grâce à une étiquette émettant
des ondes radio, attachée ou incorporée
à l’objet. Les informations sont
stockées sur le produit où l’étiquette
est collée ou implantée, et transmises
au lecteur RFID par ondes radio. La RFID
est utilisée pour la traçabilité de
certains produits ou objets,
l’identification des animaux d’élevage
(remplaçant le tatouage) ou des
individus (par stockage des données
biométriques dans les badges
électroniques, passeports, cartes
d’identité ou d’assurance maladie,
titres de transport ou permis de
conduire). De plus en plus présentes
dans la vie quotidienne, leur usage est
amené à s’étendre toujours plus car il
est encouragé par les pouvoirs publics. Plusieurs
pays européens imposent ainsi
la pose de puces sous-cutanés pour
l’identification des animaux domestiques
et, en France, des maternités proposent
des bracelets électroniques visant à
prévenir
l’enlèvement des nourrissons.
Une
technologie à hauts risques
Certains dangers liés à l’usage de la
RFID ont déjà été relevés. Si elle ne
permet pas théoriquement la surveillance
continue des individus, contrairement
aux GPS dont sont pourvus les
smartphones, l’ensemble des données à
caractère personnel contenues dans les
puces RFID que nous utilisons, souvent à
notre insu, pourrait permettre par
recoupement une identification à
distance des personnes et de leur
pratiques de consommation. De plus, le
piratage est toujours possible : ces
ondes étant rarement cryptées, il est
très facile de les intercepter et même
de les copier sur un autre support, et
ainsi d’usurper
l’identité d’autrui. Et rien
n’interdit d’y
placer des “cookies”, comme ceux
qu’envoient les sites web, afin de
suivre à la trace le trajet des objets
ou des personnes ainsi identifiés. Le
risque de traçabilité des individus et
le faible niveau de protection de leurs
données personnelles ont suscité l’inquiétude
de la CNIL.
L’aspect sanitaire pose également
problème, la dangerosité des ondes
électromagnétiques émises par ce nouveau
procédé s’ajoutant à celle des ondes
déjà présentes dans la téléphonie mobile
et les systèmes Wi-Fi. Ainsi, un
rapport de l’AFSSET déconseille une
exposition continue aux ondes de la RFID
et préconise une distance minimale d’au
moins 20 centimètres, deux
recommandations bafouées par le procédé
de l’implantation cutanée. De fait, de
nombreuses études révèlent déjà un
lien entre implant et survenue de
cancers et au vu de leurs résultats on
peut légitimement penser que cette
nouvelle technique sera
l’un des prochains scandales sanitaires.
La société
sous l’œil des puces
Mais le danger principal est surtout
d’offrir aux récents projets de
surveillance généralisée des populations
un outil parfaitement adapté et
efficient. Implanté dans le corps de
l’individu, la RFID devient l’instrument
de contrôle social sans doute le
plus redoutable jamais conçu. Le
stockage quasi-illimité des données
personnelles permet de l’identifier à
distance, de savoir (presque) tout de
lui et de le suivre dans tous ses
déplacements. Le gouvernement anglais
confronté à la surpopulation des prisons
étudie la possibilité de remplacer le
bracelet électronique, jugé encombrant,
par un implant
pour surveiller les personnes sous
contrôle judiciaire. La Suède, le pays
européen le plus
avancé dans le projet d’implantation
des puces sous-cutanées est aussi le
premier à interdire le
paiement en espèces : aucune
transaction ne doit désormais échapper
au regard intrusif de l’État, aucun
individu ne doit s’affranchir de
l’emprise du système bancaire. En
France, la surveillance électronique par
RFID viendra compléter les dispositifs
de surveillance numérique prévus dans
la loi sur le renseignement en
facilitant le profilage électronique et
la géolocalisation des personnes jugées
à risque, ainsi que les dispositifs de
surveillance de l’espace public,
notamment l’usage de la
vidéosurveillance intelligente
permettant d’identifier les individus
dans une foule par reconnaissance
faciale et de repérer les comportements
« suspects ».
La RFID, une
arme de guerre
Utilisée pour la première fois en 1940 à
des fins militaires (afin de reconnaître
les avions amis ou ennemis), la RFID est
aujourd’hui l’une des armes qui permet
au pouvoir de gouverner par la guerre.
Fusion progressive de la sécurité
intérieure et de la défense nationale
sous les auspices du Livre Blanc,
explosion des moyens alloués au
renseignement préventif dans la
dernière loi sur le renseignement,
militarisation permanente de l’espace
public par
les plans Vigipirate sous couvert de
guerre sans fin contre le terrorisme (et
par amalgames successifs contre toute
forme de contestation radicale), traque
de l’ennemi
intérieur socio-ethnique et des
déserteurs de la Grande mobilisation
contre le terrorisme (ceux qui ne
sont pas « Charlie »), fantasme d’une « cinquième
colonne islamiste » dans les
banlieues françaises sur fond de guerre
de civilisation… c’est toute la
distinction entre temps de guerre et
temps de paix qui vole en éclat et nous
plonge dans un état de
guerre permanente.
Guerre militarisée ou guerre de basse
intensité, l’objectif est toujours
identique : par l’usage de la force
brute, contraindre l’adversaire à se
soumettre à nos propres volontés, comme
l’écrivait Carl v. Clausewitz. Et le
moyen aussi : laisser à l’adversaire le
moins de liberté possible, ce à quoi
s’emploient activement les gouvernements
successifs depuis une quinzaine d’années
en promulguant une série ininterrompue
de lois qui réduisent toujours plus les
libertés publiques. La RFID, comme les autres
outils technologiques de surveillance et
de contrôle alimentant le
renseignement préventif, sert le projet
totalitaire d’une société d’individus
dans laquelle toute notion de vie privée
a été abolie et placée sous la
domination totale et permanente de
l’appareil d’État.
Voir également sur le site de
l'auteur
: un entretien à propos de son dernier
ouvrage « La
République contre les libertés ».
Une
présentation orale de cet ouvrage.
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