Actualité
Les sanctions
annoncées par les États-Unis contre
le
personnel de la Cour Pénale
internationale (CPI):
brève mise en
perspective
Nicolas Boeglin
Photo extraite de note
de presse intitulée
"Netanyahu hails Trump for
announcing
sanctions against ‘corrupt’ ICC", Times
of Israel, edición del 11/06/2020
Mardi 13 juillet 2020
Nicolas Boeglin,
Professeur de Droit International Public,
Faculté de Droit, Université du Costa
Rica (UCR)
Le 11 juin dernier, les États-Unis ont
officiellement adopté certaines
sanctions a l´encontre du personnel de
la Cour Pénale Internationale (CPI).
Dans le décret présidentiel (“Executive
Order”) adopté par la plus haute
autorité américaine (voir
texte intégral ), on y lit
dans les considérants que, pour l'actuel
locataire de la Maison
Blanche, la CPI est devenue une menace
réelle pour la sécurité des États-Unis,
en soulignant que:
"Je détermine donc que toute
tentative de la CPI d'enquêter,
d'arrêter, de détenir ou de poursuivre
tout membre du personnel des États-Unis
sans le consentement de ce pays, ou du
personnel de pays qui sont des alliés
des États-Unis et qui ne sont pas
parties au Statut de Rome ou qui n'ont
pas autrement consenti à la juridiction
de la CPI, constitue une menace
inhabituelle et extraordinaire pour la
sécurité nationale et la politique
étrangère des États-Unis, et je déclare
par la présente une situation d ´urgence
nationale pour faire face à cette menace”
/
(traduction libre de l´auteur de la
version officielle qui se lit ainsi: “I
therefore determine that any attempt by
the ICC to investigate, arrest, detain,
or prosecute any United States personnel
without the consent of the United States,
or of personnel of countries that are
United States allies and who are not
parties to the Rome Statute or have not
otherwise consented to ICC jurisdiction,
constitutes an unusual and extraordinary
threat to the national security and
foreign policy of the United States, and
I hereby declare a national emergency to
deal with that threat").
Le texte de ce décret présidentiel est
quelque peu discret en ce qui concerne
le malaise croissant causé par la CPI
aux États-Unis au cours des derniers
mois concernant l'ouverture d'une
enquête dans les
territoires palestiniens occupés, et
dont nous parlerons très brièvement
ci-dessous.
Une augmentation
progressive de la pression américaine
Il sied de rappeler que ce fut depuis la
capitale israélienne que l´actuel
Secrétaire d'Etat nord-américain
Mike Pompéo avait annoncé,
le 16 mai dernier, que l'enquête du
procureur de la CPI relative aux
exactions commises par Israël dans
les territoires palestiniens aurait de "graves
conséquences" pour cette juridiction
pénale internationale (voir par exemple
cette note véase
note de presse de
Voice of America intitulée "Pompeo
Warns ICC Against Asserting Authority
Over Israel").
Ce même mois, le 2 juin, ce
fut toujours le Secrétaire d'État
nord-américain qui indiqua, au cours
d´une conférence réalisée aux Etats-Unis
et dont les propos furent surtout
relayés en Israel, que:
“Je pense que la CPI et le monde
entier verront que nous sommes
déterminés à empêcher que les Américains
et nos amis et alliés en Israël et
ailleurs ne soient entraînés par cette
CPI corrompue"
(traduction libre de l´auteur de la
formule suivante: "I
think that the ICC and the world will
see that we are determined to prevent
having Americans and our friends and
allies in Israel and elsewhere hauled in
by this corrupt ICC" (voire
note de presse
intitulée "US vows to prevent ‘corrupt’
ICC from probing Americans, Israelis for
war crimes", Times of Israel,
edition du 2/06/2020).
En ce qui concerne les pressions de
toutes sortes exercées sur la CPI en ce
moment par Israël, par son
inconditionnel allié nord-américain,
auquel le Canada s'est également joint
de manière beaucoup plus discrète, nous
renvoyons nos lecteurs à notre note
antérieure
publiée dans divers sites de langue
espagnole (Note 1).
Israël: le filigrane
qui tente de se cacher derrière cette
annonce
Il est bon de rappeler que le seul État
au monde à avoir officiellement salué
ces sanctions nord-américaines contre la
CPI est Israël: voir parmi bien d´autres
cette note
de presse du
Times of Israel intitulée
"Netanyahu hails Trump for announcing
sanctions against 'corrupt' ICC").
Il est en fait très probable que ces
sanctions aient été décidées en étroite
coordination avec les autorités
israéliennes (comme le
suggère par exemple le titre de cette
autre note
de presse intitulée
"Israel coordinated US sanctions
against 'corrupt' ICC").
En effet, jamais dans l'histoire, Israël
n'a pu compter avec une administration
américaine aussi diligente et attentive
a ses revendications comme celle dirigée
par l'actuel locataire de la Maison
Blanche. Bien que le décret de ce
dernier fasse principalement référence
aux enquêtes de la CPI sur d'éventuelles
exactions commises par des militaires
américains, et très sporadiquement à
Israël dans sa justification, il faut
rappeler que c´est depuis le 5 mars 2020
que la CPI a adopté sa dernière décision
relative aux exactions commises en
Afghanistan (voir lien
officiel de la
CPI): or, suite au 5 mars, nous n´avons
su (ni entendu…) d´aucune
sanction américaine contre la CPI, comme
celles annoncées ce 11 juin 2020.
La chronologie des faits et le ton de
l´administration nord-américaine ne
semblent donc pas du tout correspondre à
l'explication donnée dans certains
médias qui mettent – et ce presque à
l'unisson - l'accent sur les enquêtes de
la CPI relatives à l'Afghanistan pour
justifier cette récente réaction
nord-américaine (voir par
exemple cette
note explicative
de l'Express en France ou bien
encore cette
note plus
récente de Voice of America)
Il est utile de se souvenir que, depuis
la création de la CPI en 1998, Israel et
les Etats-Unis n´ont cessé de déployer
d´intenses efforts diplomatiques afin de
limiter la possibilité pour la CPI
d´enquêter ce qui se passe sur le
territoire palestinien.
Il convient de rappeler à ce
sujet que ces deux Etats – ainsi que
l´Iran - ont procédé au dépôt de la
signature du Statut de Rome le dernier
jour pour le faire, le 31 décembre 2000:
les deux premiers ont procédé ensuite à
retirer leur signature quelques années
plus tard - tout comme le fera le Soudan
-, ce qui constitue une véritable
innovation en droit international public
(voir
notes 4 et 16
qui reproduisent les
notifications faites en 2002 au
dépositaire du Statut de Rome par ces
deux Etats).
Le premier accord bilatéral d´immunité
(BIA en anglais) afin d´écarter la
compétence de la CPI au personnel
militaire et non militaire étasunien
- mais aussi israélien,
réciprocité oblige - fut signé entre
Israël et les Etats-Unis le 4 août 2002
(voir
texte ). Les Etats-Unis
obtiendront par la suite la signature de
plus d´un centaine d´accords bilatéraux
de ce type. On lit dans un bel article
sur le sujet, publié en France en 2003,
que:
“La stratégie américaine consiste a
déconstruire la coopération
internationale mise en place entre la
Cour et les Etats dans le statut de Rome
et donc à faire vaciller un tratié
multilatéral par l´intermédiaire d´une
multitude de traités bilatéraux” (Note
2).
Il convient aussi de mentionner que lors
d´une conversation (privée) entre
diplomates nord-américains et leurs
homologues israéliens en février 2010 (voir correspondance
diplomatique du 23 février 2010 de
l´Ambassade des Etats-Unis a Tel Aviv),
on a pu apprendre que:
“Libman noted
that the ICC was the most dangerous
issue for Israel and wondered whether
the U.S. could simply state publicly its
position that the ICC has no
jurisdiction over Israel regarding the
Gaza operation”.
Le Colonel Liron Libman était, du moins
a l´époque, un haut fonctionnaire
israélien, fin connaisseur des règles
existantes en droit international
puisqu´il assuma pendant de longues
années la Direction du Departement de
Droit International de l´armée
israélienne (connue par ses sigles IDF).
Enfin, il est signalé dans une
remarquable thèse doctorale publiée en
France en 2010 analysant en profondeur
la position juridique des Etats-Unis par
rapport à la CPI que,
lors de déclarations données suite au
mois de juillet 1998 par le chef de la
délegation des Etats-Unis à Rome:
« En ce qui concerne Israël enfin,
David Scheffer reconnut après Rome que
la délégation américaine avait endossé
la crainte d´Israël d´être
victime d´accusations devant la future
Cour en raison de sa politique dans les
territoires occupés “ (Note 3).
La réaction de la CPI
et des États parties à la CPI
Indépendamment des intentions réelles
des États-Unis en annonçant ces
sanctions, la CPI a immédiatement rejeté,
dans une déclaration officielle, cette
décision américaine, sans précédent dans
les annales de la justice internationale,
en déclarant (voir le texte
intégral ) que
"Ces attaques constituent une
escalade et une tentative inacceptable
d'interférer avec l'État de droit et les
procédures judiciaires de la Cour. Elles
sont annoncées dans le but déclaré
d'influencer les actions des
fonctionnaires de la CPI dans le cadre
des enquêtes indépendantes et objectives
de la Cour et des procédures judiciaires
impartiales. Une attaque contre
la CPI représente également une attaque
contre les intérêts des victimes de
crimes d'atrocité, pour qui la Cour
représente le dernier espoir de justice”
(traduction libre de l´auteur de la
version officielle qui se lit ainsi: "These
attacks constitute an escalation and an
unacceptable attempt to interfere with
the rule of law and the Court's judicial
proceedings. They are announced with the
declared aim of influencing the actions
of ICC officials in the context of the
Court's independent and objective
investigations and impartial judicial
proceedings. An attack on the ICC also
represents an attack against the
interests of victims of atrocity crimes,
for many of whom the Court represents
the last hope for justice”).
Pour sa part, le Président de
l'Assemblée des États Parties au Statut
de Rome a appelé les États et les autres
membres de la communauté internationale
à réaffirmer leur soutien sans réserve
au travail de la CPI, tout en annonçant
une réunion urgente des États parties.
Dans sa déclaration (voir texte
complet
), on peut lire que:
“Je convoquerai une réunion
extraordinaire du Bureau de l'Assemblée
la semaine prochaine pour étudier
comment renouveler notre engagement
inébranlable envers la Cour.
J'invite les États
Parties et toutes les parties prenantes
du système du Statut de Rome à réitérer
à nouveau notre engagement indéfectible
à faire respecter et à défendre les
principes et valeurs consacrés dans le
Statut, et à préserver son intégrité,
sans se laisser décourager par quelque
mesure ou menace que ce soit contre la
Cour et ses responsables, les membres de
son personnel et leurs familles”.
Finalement, le 23 juin dernier, 67 Etats
parties au Statut de Rome ont adopté une
déclaration conjointe intitulée “Déclaration
en soutien à la Cour pénale
internationale (CPI) suite à la
publication du décret américain du 11
juin 2020”, dans laquelle on y lit
que:
“La CPI, en tant que première et
unique Cour pénale internationale
permanente au monde, est un élément
essentiel de l’architecture
multilatérale qui défend l’état de droit.
Elle incarne notre engagement collectif
à lutter contre l’impunité des crimes
internationaux. En apportant notre plein
soutien à la CPI et en promouvant sa
portée universelle, nous défendons les
progrès que nous avons accomplis
ensemble vers un ordre international
fondé sur des règles, dont la justice
internationale est un pilier
indispensable” (Note 4).
En guise de
conclusion
Il ne fait aucun doute que cette
décision nord-américaine n'a pas de
précédent dans l'histoire du droit
international. Elle
pourrait éventuellement miner davantage
le peu de crédibilité des États-Unis
auprès de la communauté internationale,
en particulier depuis que l'actuel
locataire de la Maison Blanche y a pris
ses fonctions (au mois de janvier 2017).
La date choisie pour annoncer
publiquement ces sanctions contre la CPI
a fait très probablement partie d'un
calendrier très précis, convenu par les
États-Unis et Israël.
Dans le cadre de ce calendrier, et du
jeu diplomatique dangereux auquel tous
deux se livrent consistant à remettre en
cause de manière récurrente les
fondements mêmes de l'ordre juridique
international, Israël a
inauguré le 14 juin dernier
une nouvelle colonie israélienne sur les
hauteurs du Golan, portant le nom de
l´actuel Président nord-américain (voir
cette note
de presse de The Guardian
intitulée "Trump Heights' : Israeli
settlement in Golan named after US
president").
----Notes
Note 1:
Cf. BOEGLIN N., “"Fiscal de
Corte Penal Internacional (CPI):
solicitud de investigación contra
exacciones militares israelíes procede
en todos los territorios palestinos,
Gaza incluida", disponible
ici .
Note 2:
Cf. COULEE F., “Sur un Etat
tiers bien peu discret: les Etats-Unis
confrontés à la Cour Pénale
Internationale », 39 AFDI /Annuaire
Français de Droit Internactional (2003),
pp. 32-70. p. 58. Article complet
disponible
ici .
Note 3:
Cf. FERNANDEZ J., La politique
juridique extérieure des Etats- Unis à
l´égard de la Cour Pénale Internationale,
Paris, Pedone, 2010, p. 172.
Note 4:
Le texte complet de cette déclaration
conjointe en francais (disponible
ici )
a été divulgué par quelques sites
officiels, comme par exemple celui de la
Mission Permanente de la France auprès
des Nations Unies. Concernant le fait
que seuls 67 Etats sur
123 Etats parties au Statut de
Rome l´aient souscrite, nour renvoyons à
notre brève note publiée en espagnol:
BOEGLIN N., “Sanciones de EE. UU.
a la Corte Penal Internacional (CPI): a
propósito de la reciente respuesta
colectiva de 67 Estados”, 9 juillet
2020, site de la Universidad de Costa
Rica (UCR), disponible
ici.
Le
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