Irak
Irak : Alliance USA-Iran ou accord
ponctuel
contre un ennemi commun ?
Nasser Kandil
Photo:
D.R.
Lundi 23 juin 2014
Aujourd’hui, 20
juin, la scène irakienne occupe « la
une » de tous nos médias locaux, mais
l’évènement le plus marquant de ces
trois derniers jours est venu des médias
occidentaux ; lesquels, après maintes
tergiversations sur la complexité des
négociations entre
l'Iran et le
groupe 5+1 [les cinq membres permanents
du Conseil de sécurité de l'ONU et
l'Allemagne], nous ont surpris par la
nouvelle disant que les parties se sont
entendues sur la rédaction d’un accord
final concernant le dossier nucléaire
iranien [1].
Les
choses progresseraient donc rapidement.
[…].
Que signifie cet accord ? Est-il, d’une
façon ou d’une autre, en relation avec
ce qui se passe en Irak ? En est-il la
conséquence ou le prélude ? Autrement
dit, est-ce la conscience du danger
devant la situation irakienne qui a
poussé les États-Unis à éliminer
rapidement les obstacles qui bloquaient
les négociations, ou bien y a-t-il eu
entente secrète préalable avec l’Iran
et, par conséquent, ce qui se passe en
Irak vient opportunément concrétiser
l’énorme danger que représente Al-Qaïda
contrôlant plusieurs provinces
irakiennes, pour servir de prétexte à
deux voies possibles : réoccuper l’Irak
comme le voudraient nombre de Sénateurs
américains ; ou déléguer à une puissance
régionale, de la taille de l’Iran, la
charge de superviser le grand nettoyage
de l’Irak des restes d’Al-QaÏda ? […].
Je ne soutiens pas l’hypothèse d’une
entente américano-iranienne préalable
qui aurait produit ce qui se passe en
Irak, et ceci parce que l’Iran ne
prendrait jamais le risque de laisser
Al-Qaïda occuper trois provinces
irakiennes situées entre sa frontière et
la frontière syrienne, abstraction faite
du coût élevé politique et moral en
centaines de martyrs et de blessés comme
nous le constatons depuis quelques
jours, pour ensuite les récupérer dans
le cadre d’un accord passé avec les
États-Unis. Cette explication relayée
par certaines plumes à la solde de
l’Arabie saoudite, du Qatar et d’autres
États du Golfe vise à ternir l’image de
l'Iran en suggérant qu’il est désormais
« le gérant » des politiques américaines
au Moyen-Orient, et qu’il aurait renoncé
à ses constantes invariables. Et les
voilà, qui commencent à parler d’une
« alliance américano-chiite contre les
sunnites » et de bien d’autres
balivernes, pour brouiller les cartes et
nourrir la haine derrière une façade
sectaire, alors que les vraies
motivations sont strictement politiques
[…].
En réalité, ce à quoi nous avons assisté
en Irak mérite une analyse rationnelle
éloignée de toute émotion,
classification, et même de toute
définition. Nous sommes évidemment
d’accord avec ceux qui considèrent
qu’Al-Qaïda, y inclus sa branche au
Moyen-Orient [Daech], est une
organisation terroriste […], lequel
terrorisme est défini
comme « un système de violences
systématiques auquel certains mouvements
politiques extrémistes ont recours pour
créer un climat d'insécurité favorisant
leurs desseins » […]. Mais avec Daech,
nous sommes devant un phénomène
inhabituel, car la façon dont il s’est
comporté au Liban, en Syrie et en Irak
est sans précédent dans l’Histoire du
terrorisme […] :
1.
La première caractéristique qui
distingue cette organisation, de toutes
les autres, est d’avoir non seulement
inversé les règles du jeu, mais aussi
d’en avoir établi de nouvelles. C’est
pour la première fois que nous sommes
face à une organisation dont les
frontières sont illimitées, du moins
entre la Jordanie, le Liban, la Syrie,
la Palestine, et l'Irak, et qui
considère cet espace comme une structure
géographique et politique unique ; tous
ses fronts étant soumis à un
commandement unique et à un plan
d’action unique.
2.
La deuxième caractéristique est que
c’est une organisation dont le plan
financier est tout aussi inhabituel, au
sens où le cerveau économique qui a
choisi de dresser la citadelle de Daech
à Deir ez-zor en Syrie, et non à Idleb
ou dans la Ghouta de Damas, avait misé
d’avance sur ses 100 000 barils de
pétrole par jour, sur la possibilité de
les écouler via la mafia turque, et
aussi sur l’hostilité et la haine du
gouvernement turc qui, sous la
couverture des prétendus opposants
syriens du Conseil puis de la
« Coalition d'Istanbul » [CNS], lui
permettrait de récupérer la moitié des
revenus de la vente au minimum.
Maintenant, comme l’affirment les
Services de renseignement américains, et
d’autres [2],
Daech a pu amasser 500 millions de
dollars pour sa guerre en Irak et le
recrutement de 50 000 combattants.
De même en Irak, si la bataille suprême
a été dirigée contre Baïji [3]
-la plus grande raffinerie du pays
produisant 300 000 barils de pétrole par
jour et sans laquelle la crise de
produits pétroliers dans la région est
assurée- c’est bien parce que là aussi
le marché est garanti d’avance, étant
donné que les mafias en Jordanie, au
Liban, en Syrie, voire dans certaines
régions de l’Iran et autour de l'Irak,
pèseraient de tout leur poids pour en
payer le prix, quand bien même Beïji
serait aux mains d’Al-Qaïda ! Nous
savons tous que lorsque les États-Unis
ont interdit le pétrole irakien à
l’exportation, les Américains, les
Britanniques, et tous porteurs de
valises du marché noir logeaient dans
les hôtels de Bagdad et affrétaient
leurs bateaux, en pleine nuit, au nez de
la prétendue surveillance. Nous savons
aussi que d’autres se servaient de
bateaux de pêche et d’embarcations
« made in Dubaï » dont les réservoirs
avaient une contenance de 1000, 5000, ou
10 000 litres pour échapper à toute
surveillance […].
3.
La troisième caractéristique est le
cerveau tacticien qui fait que Daech
sélectionne toujours une position
centrale qu’il attaque, puis occupe, et
à partir de laquelle il contrôle la zone
géographique environnante délimitée
d’avance. C’est ainsi que nous avons vu
des centaines et des milliers de
véhicules chargés d’hommes armés de
mitrailleuses lourdes et moyennes entrer
à Alep via la frontière turque, à
Al-Raqqa, à Deir ez-zor, à Tikrit, puis
à Mossoul. Il ne mène pas vingt
batailles à la fois mais ouvre un front
après l’autre […].
Nous sommes donc confrontés à des
méthodes de travail inédites, alors que
les autres organisations terroristes,
telles celles d’Al-Nosra, du groupe
d’Abdullah al-Azzam et d'autres, mènent
des actions que l’on pourrait qualifier
d’ « actes gratuits ou suicidaires » vu
que leurs combattants sont envoyés sur
des opérations hasardeuses qui
pourraient réussir ou ne pas réussir.
Que l’objectif soit atteint ou pas,
s’ils ne sont pas tués, ils tuent !
Tandis que Daech est entré dans Mossoul
et Tikrit sans mener une seule opération
suicide. Il a neutralisé les barrages de
sécurité et a occupé les casernes en un
temps record grâce à la complicité de
Azzat al-Douri et de son « armée
naqchbandie », composée d’anciens
officiers baasistes irakiens et
majoritairement de confession sunnite,
après lui avoir fait miroiter le poste
de gouverneur intérimaire de la région
centre […].
Mais si Daech a quitté la Syrie pour se
concentrer sur l’Irak, c’est bien parce
qu’il a réalisé qu’il allait dans le mur
devant une armée syrienne qui remportait
victoire après victoire et un peuple
syrien, notamment les sunnites, qui
l’avait rejeté en refusant son idéologie
et son mode de vie et avait décidé de
rester dans le giron de l’État. Il a vu
les foules de citoyens syriens se
précipitant en masse pour élire leur
Président, au Liban ; en Jordanie, puis
en Syrie, et en a vite tiré les
conséquences. Il n’a pas perdu son temps
à se frapper la tête contre le mur et
raconter des bobards. Réaliste, il a
plié bagages et s’est contenté de garder
les positions pouvant lui servir de
couverture pour l’étape suivante en
Irak. Reliant les fronts irakien et
syrien, il a gardé Deir ez-Zor dont les
puits de pétrole forment l'épine dorsale
de son projet futur […].
Le nouveau Daech « né de l'échec en
Syrie » est une organisation
politiquement mature, financièrement
nantie, géographiquement audacieuse par
sa remise en question des règles du jeu
et des frontières de Sikes-Picot ; ce
qui signifie que sa défaite ne sera pas
chose facile et certainement pas par une
réaction sectaire !
Mettre en échec le projet de Daech n’est
possible que par un esprit politique et
moral supérieur qui démantèlerait les
sources de son pouvoir, maintenant qu’il
a réussi à exploiter la position turque
à travers Izzat al-Douri, aujourd’hui
disparu de la circulation, et qu’il
dispose de plusieurs camps
d’entrainement pour des milliers de
combattants en territoire turc, grâce au
financement du Qatar et de l’Arabie
saoudite qui lui ont permis d’occuper
cette première place.
Sinon, Daech va devenir une « force
populaire » soutenue par 8 millions
d'habitants du centre de l’Irak et donc
aux frontières de l'Iran, de la Syrie,
et du Kurdistan ; les kurdes ayant des
velléités séparatistes, la situation
irakienne est raisonnablement d’autant
plus dangereuse pour L’Irak et
perturbante pour la Syrie et l’Iran.
Mais l’avancée de Daech ne se limitera
pas aux frontières de ces deux pays. À
la moindre occasion, son objectif
suivant est en Turquie car c’est le
passage qui lui permettra d’avancer vers
l’Ouest, et en Jordanie car c’est le
« flanc mou » du monde arabe et non
l’Irak […]. Une fois en Jordanie, qui ne
pourra lui résister plus que quelques
heures, Daech ne retournera pas en
Syrie, mais se dirigera vers l’Arabie
saoudite où il dispose de forces
combattantes, de cellules dormantes
prêtes, d’autres sources de financement
et d’extensions. À partir de là, il
partagera le « jeu de la sécurité
régionale » avec Israël, lequel paraîtra
nécessairement menacé vu ses 680 Kms de
frontières avec la Jordanie […].
D’où les inquiétudes de l’Arabie
saoudite, et aussi de l’Égypte qui se
trouve face à un dilemme : soit il admet
que la priorité des priorités est la
lutte contre la menace terroriste, non
l’acharnement contre M. Al-Maliki ; soit
il s’abstient d’embarrasser l’Arabie
saoudite qui a mis dix milliards de
dollars sur la table pour que l’Égypte
adopte ses prises de position publiques
contre la Syrie […]. Personnellement, je
ne parierai pas dans un sens ou l’autre,
car je ne dispose pas d’éléments
indiquant combien de temps ce pays
pourrait encore résister dans ces
conditions […].
Par conséquent, L'Egypte, les États-Unis
et l’Europe sont fatigués parce que leur
guerre est dans une impasse et qu’ils ne
disposent plus de cartes susceptibles de
les sortir d’affaire. À M. François
Hollande qui déclare que ce qui se passe
en Irak est le résultat tragique de
« la guerre qu’al-Assad poursuit contre
son propre peuple » [4],
j’ai déjà répondu par un article bref
pour lui dire : « Vous avez raison, car
ce qui se passe en Syrie est le résultat
de l’hypocrisie de ce que vous appelez
la communauté internationale qui prétend
lutter contre le terrorisme pendant
qu’elle le soutient sans limites en
Syrie » [5].
Ce qui se passe en Syrie est le résultat
du rassemblement de tout ce que le monde
compte comme serpents venimeux dans le
seul objectif de détruire l’État syrien
sous prétexte d’une politique justifiée
par la seule « sécurité d’Israël ». Mais
la Syrie ayant triomphé, où voulez-vous
que cette colonie virale hautement
infectieuse se dirige, sinon vers l’Irak
affaibli ?
Les Services du renseignement français
ont livré à l’opposition armée des
missiles
antichars
[6][7], dont une partie s’est
retrouvée au Mali,
ce qui prouve que Daech
était déjà en train de
s’organiser ; si bien que
désormais toute cette prétendue
communauté internationale est face à ses
responsabilités. Les États-Unis savent
parfaitement qui a utilisé les armes
chimiques, qui a tenté de s’en servir
comme prétexte pour intervenir en Syrie,
qui les fabrique, qui sait les
utiliser ; mais, lorsque les enquêteurs
de l'ONU ont demandé à voir les images
de leurs satellites braqués sur la
Syrie, 24 heures sur 24, pour visualiser
le missile tombé sur al-Ghouta, ils ont
refusé de les leur remettre !
Les États-Unis savent aussi qui est
Daech, comment il s’est procuré du gaz
sarin, et comment il a tenté de se doter
de l'arme nucléaire auprès des réseaux
d’Abdul Qader Khan, le « père » de la
bombe atomique pakistanaise… Ils en
savent beaucoup, ce qui fait qu’ils sont
encore plus inquiets que beaucoup
d’autres. Ainsi, lorsqu’ils ont suggéré
au premier ministre irakien, Al-Maliki,
de se lancer dans une opération
politique c’est parce qu’ils étaient
conscients que le seul moyen de gérer
politiquement et militairement cette
situation complexe en Irak, passe par un
État tranquille possédant les cartes
nécessaires pour mener à bien cette
entreprise ; ce qui est le cas de l’Iran
dont il vaudrait mieux ne plus retarder
les nouvelles fonctions au Moyen-Orient
[…].
C’est une situation comparable à ce qui
s’est passé à La « Conférence de Yalta »
entre
les USA et l’URSS au lendemain de la
deuxième Guerre Mondiale. Mais, comme
l’après Yalta, il ne s’agit nullement
d’une alliance, mais d’un accord
ponctuel face à un ennemi commun, l’Iran
étant la puissance régionale montante
capable de gérer le processus politique
en Irak et avec Al-Maliki […]
Nasser Kanfil
20/06/2014
Source :
Vidéo « 60 minutes avec Nasser Kandil »
http://www.youtube.com/watch?v=B7oVx73qY_Q&list=UUbUb0Ql6ihq8wS0A8ePU8yA
Transcription et traduction : Mouna Alno-Nakhal
Notes :
[1]
Nucléaire
iranien : début de la rédaction d'un
accord final
http://french.ruvr.ru/news/2014_06_19/Nucleaire-iranien-debut-de-la-redaction-dun-accord-final-5994/
[2]
Bourdin Direct: Laurent Fabius - 20/06
http://video-streaming.orange.fr/actu-politique/bourdin-direct-laurent...
[3]
Irak : combats entre djihadistes et
armée régulière pour la raffinerie de
Baïji
http://www.france24.com/fr/20140618-irak-offensive-djihadiste-baiji-raffinerie-petrole-brut-energie-eiil/
[4] Irak, Syrie : Hollande a réuni un
conseil restreint de défense
http://unionrepublicaine.fr/irak-syrie-conseil-restreint-de-defense/
[5]
صدق هولاند
http://topnews-nasserkandil.com/topnews/share.php?art_id=3192
[6]
Les missiles antichars Milan de
fabrication FRANCAISE dans les mains des
mercenaires en Syrie
http://www.youtube.com/watch?v=LLYhQ_8LrWs
[7]
La France a-t-elle déjà livré
des
missiles aux rebelles syriens ?
http://www.lopinion.fr/17-juin-2013/france-a-t-elle-deja-livre-missiles-aux-rebelles-syriens-1154
Monsieur Nasser Kandil est
libanais, ancien député, Directeur de
TopNews-nasser-kandil, et Rédacteur en
chef du quotidien libanais Al-Binaa
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