Opinion
Israël entre
hystérie et nouvelle fonction
dans la guerre contre la Syrie
Nasser Kandil
Mercredi 10 décembre 2014
Dimanche 7 décembre, les commentateurs
des « raids israéliens » autour de Damas
se sont distribués en deux grands
groupes. D’un côté, ceux qui ont tenté
de comprendre ce que cela pouvait bien
cacher et s’il s’agissait du début d'une
nouvelle étape après une période
d’accalmie relative de ce type
d’agression. De l’autre, ceux qui se
sont préoccupés de savoir si la Syrie
allait répliquer et comment.
Deux types de
questionnement qui méritent analyse et
réflexion, à condition d’éviter les
surenchères creuses et les tentatives de
diabolisation.
Inutile de nous
attarder à discuter de la valeur
militaire de ces raids. L’opération est
« nulle », puisque le réseau de missiles
de la défense aérienne syrienne n’a pas
riposté et que les objectifs atteints se
résument à de vieilles installations
vides, facilement et rapidement
remplaçables.
En revanche, les
raisons politiques méritent explication,
ces raids étant inséparables de quatre
observations étroitement liées les unes
aux autres :
La première
observation concerne
ce qui se passe en Israël où la discorde
gouvernementale en est arrivée à la
dissolution de la Knesset provoquant des
élections anticipées [1] dans un
contexte où la classe politique reste
engagée dans l’impasse, que la décision
soit en faveur de la guerre ou de la
paix ; ce qui fait que ces élections ne
changeront rien à la situation, sinon à
conduire à encore plus de divisions
politiques.
En effet, les
décisions en faveur de la paix ont amené
Isaac Rabin au pouvoir avec une grande
majorité, mais son assassinat a fait
échouer la paix. Les Accords d’Oslo ont
amené Ariel Sharon et Benyamin
Netanyahou et leur échec dans les
guerres contre le Liban a amené Ehud
Barak sous le slogan du « retrait sur
une année ». Mais le retour de Sharon
avec le déclenchement de l’Intifada
palestinienne a fait tomber cette option
de retrait, laquelle aurait limité les
dégâts. Sharon n’a pas réussi à écraser
le soulèvement palestinien. Et, depuis
le retrait de Gaza en 2005 et l'échec de
la guerre de Juillet en 2006 [contre le
Liban], Israël est incapable de former
une direction politique qui porte un
projet clair avec les mécanismes
appropriés pour le mettre en œuvre.
C’est là où les
incursions perturbantes et les menaces
pour la sécurité remplissent plusieurs
fonctions à la fois. Dans le cas
présent, il s’agit d’une fausse promesse
de guerre ; d’une image de héros offerte
par Netanyahou, lui-même, en vue des
prochaines élections ; de lettres de
créances présentées aux USA pour un
nouveau rôle fonctionnel à l’ombre de la
crise syrienne ; d’un message
d'inquiétude face au développement des
relations militaires entre la Russie et
la Syrie, en lien avec la Résistance au
Liban ; et c’est, de l’avis même des
opposants à Netanyahu avec à leur tête
Avigdor Lieberman, une dérobade devant
l’échec électoral par la guerre, un fait
accompli imposé à la région et au monde,
signifiant : « nous sommes dans le
pétrin, nous vous y entrainerons avec
nous, sauvez nous ! ».
La deuxième
observation
concerne les discussions en cours entre
les États-Unis et la Turquie à propos
des deux versions de la « zone de
sécurité » [2], à la frontière
syro-turque, devenue la condition
sine qua non pour la participation
du gouvernement Erdogan à la Coalition
engagée dans la guerre contre Daech, à
défaut d’avoir réussi à imposer son
exigence première consistant à renverser
le régime syrien.
Une condition turque
[zone tampon de 20 à 40 Kms, en
territoire syrien, doublée d’une zone
d’exclusion aérienne, NdT] qui, de
l’aveu même de l’Administration US,
risque de mener à une confrontation avec
les réseaux syriens de la défense
aérienne, voire avec la Résistance
libanaise et, peut-être au-delà, avec
les forces régionales et internationales
soutenant la Syrie.
D’où, pour éviter la
crise avec le gouvernement turc,
l’alternative US réduisant la dite zone
de sécurité à une mince « bande de
sécurité » jouxtant la frontière turque,
destinée à accueillir des unités armées
de l’opposition syrienne prétendument
« modérées », soutenues par Washington
et Ankara et imposées à la Syrie censée
fermer les yeux par crainte de la
confrontation.
Un ballon d’essai US
ayant récolté des résultats négatifs ;
d’une part, suite aux déclarations
conjointes de la Syrie et de la Russie
affirmant que les frappes aériennes de
la Coalition internationale menée par
Washington, en territoire syrien,
étaient illégales [3]; d’autre part,
suite aux déclarations du Président
syrien, Bachar al-Assad, se résumant à
dire que ces frappes étaient
« inefficaces » [4].
Un message signifiant
que la Syrie cessera de tolérer ces
frappes au cas où l’idée d’une
quelconque « bande de sécurité » à sa
frontière nord était maintenue. Ce que
l’Administration US a parfaitement saisi
au point que, pour éviter la
confrontation, elle a transféré son idée
du nord vers le sud, en confiant la
mission à Israël», d’ores et déjà
parrain de Jabhat al-Nosra [5][6],
organisation terroriste avec laquelle il
dispose de « cellules d’opérations
communes ».
Une coordination,
entre Israël et Jabhat al-Nosra, qui
s’est clairement manifestée par des
raids israéliens similaires sur le front
de Quneitra en mars dernier [7], et par
le soutien des services de renseignement
israéliens lors des embuscades tendues à
l’Armée libanaise à Baalbek.
Par conséquent, ces
raids sur la Syrie annoncent
l'élargissement de la mission
israélienne sur une zone allant de la
frontière sud de la Syrie jusqu’à la
périphérie de Damas, afin d’y installer
une formation armée protégée par Israël.
Ainsi, les USA
pourront se concentrer sur leur guerre
contre Daech, pendant qu’Israël se
chargera de poursuivre la guerre d’usure
décidée contre la Syrie.
La troisième
observation
concerne la géographie des zones ciblées
par les raids israéliens du 7 décembre.
« Al-Dimas », près de Damas côté ouest,
se situe à l'arrière-plan du Qalamoun et
« l’Aéroport de Damas » se situe à
l’arrière plan des deux Ghouta est et
ouest.
Deux régions où il
est notoirement connu que les groupes
armés vivent une situation désastreuse
face aux avancées « dangereuses » de
l’Armée nationale syrienne, selon les
canaux de ces groupes eux-mêmes et selon
les canaux d’Israël, des USA et de la
Turquie. Avancées d’autant plus
« dangereuses » que l’Armée nationale
syrienne progresse aussi sur les fronts
d’Alep et de Deir el-Zor, et ne semble
pas loin de remporter les mêmes succès à
Daraa, à Cheikh Meskin, à Jobar et à
Douma.
Par conséquent, les
raids israéliens sont venus insuffler
une dose de moral aux groupes armés,
leur dire qu’ils ne sont pas seuls, tout
en leur suggérant qu’il est toujours
possible de les couvrir par les airs, de
les aider à repousser les attaques de
l’Armée nationale syrienne et même de
frapper ses quartiers militaires.
La quatrième observation
est en rapport avec la situation au
Liban où Israël cherche à entrer sur la
ligne, mais avec prudence, étant donné
les avertissements de la Résistance
libanaise depuis sa dernière opération
dans les Fermes de Chebaa au Sud Liban
[8].
Par conséquent, ces raids israéliens sur
la Syrie cherchent à renforcer la ligne
de front des groupes armés à Ersal
[Liban] et au Qalamoun, en contournant
le partage territorial établi entre la
Syrie et le Hezbollah, ce dernier se
chargeant de dissuader militairement
Israël d’avancer dans ses régions.
Mais le Qalamoun étant une région
montagneuse où s’imbriquent étroitement
le Liban et la Syrie, une telle pression
du côté syrien pourrait soulager les
groupes armés menacés d’encerclement par
la neige et qui ne peuvent espérer leur
salut, ni par la terreur qu’ils ont
semé, ni par les décapitations
successives de soldats libanais, ni par
les opérations d’assistance logistique
israéliennes ; ce qui explique le
recours à ces raids après les succès de
l’Armée nationale syrienne, en
coordination avec le Hezbollah, contre
des positions de Jabhat al-Nosra dans
les massifs du Qalamoun.
Pour conclure, les
raids israéliens correspondent au début
d’une nouvelle étape, mais ne traduisent
pas une modification de l’équilibre des
forces. Si changement il y a, il serait
plutôt en faveur de la Syrie et de la
Résistance. Ceci dit, il s’agit de ne
pas tomber dans la surenchère et le
piège d’une réponse directe et
immédiate. La vraie réponse réside dans
la détermination de l’Armée nationale
syrienne et de la Résistance à purifier
tous les fronts, à commencer par Alep,
en continuant vers les deux Ghouta et
vers le Qalamoun, avant qu’Israël et
Jabhat al-Nosra ne réussissent à ouvrir
les fronts de Koussaya puis de Arkoub au
Liban.
Nasser Kandil
8/12/2014
Source :
Al-Binaa
إسرائيل» بين الهستيريا والدور الوظيفي»
http://www.al-binaa.com/?article=22814
Traduction de l’arabe
par Mouna Alno-Nakhal
Notes
:
[1]
Israël : les députés votent la
dissolution du Parlement
http://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2014/12/08/israel-les-deputes-votent-la-dissolution-du-parlement_4536892_3218.html
[3] Syrie : Fabius,
Lavrov, et les mensonges des médias
français
http://www.palestine-solidarite.org/analyses.mouna_alno-nakhal.301114.htm
[4] Le président al-Assad
au magazine Paris Match : Les Syriens
n’accepteront jamais que leur pays
devienne un jouet entre les mains de
l’Occident
[5] Rapport de l’ONU : Report of the
Secretary-General on the United Nations
Disengagement Observer Force for the
period from 4 September to 19 November
2014
https://drive.google.com/file/d/0B4XISuoPj6voZW1mNk1tSGYwV28/view?pli=1
[6] La guerre
continue d’Israël contre la Syrie
http://www.mondialisation.ca/la-guerre-continue-disrael-contre-la-syrie/5418733
[8] Opération
militaire du Hezbollah contre les
soldats sionistes au Sud
http://www.almanar.com.lb/french/adetails.php?eid=195777&cid=18&fromval=1
Monsieur Nasser
Kandil est
libanais, ancien député, Directeur de
TopNews-nasser-kandil, et Rédacteur en
chef du quotidien libanais Al-Binaa
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