Interview
"En France, pour être traité comme
un citoyen à part entière, il vaut mieux
s’appeler Romain que Salah",
Elsa Lefort, épouse de Salah Hamouri
Nadir Dendoune
Elsa
Lefort épouse de Salah Hamouri,
arbitrairement incarcéré dans les geôles
israéliennes depuis le 23 août 2017.
AHMAD GHARABLI / AFP
Vendredi 6 avril 2018
Depuis le 23 août 2017, Salah Hamouri,
avocat franco-palestinien est incarcéré
arbitrairement en Israël (voir nos
éditions). Après avoir espéré en vain
une mobilisation des autorités
françaises pour le faire libérer, son
épouse Elsa Lefort, est aujourd'hui
pleine de désillusions.
Vous semblez
déçue des autorités françaises ?
Oui, elles
affirment qu’elles se mobilisent pour
faire libérer Salah mais au final, les
moyens ne sont pas vraiment mis pour
obtenir cette libération. Les autorités
françaises nous disent suivre le dossier
de mon mari avec attention et prétendent
solliciter régulièrement leurs
homologues israéliens.
Emmanuel Macron
lui-même aurait évoqué le sujet avec
Benjamin Netanyahu en décembre dernier,
mais plus de sept mois après
l’arrestation de mon époux et alors
qu’aucune charge ne pèse contre lui, il
est toujours en prison.
Ces derniers
jours, vous êtes d'autant plus en
colère...
Effectivement.
Quand je vois comment la diplomatie
française en Israël est pleinement
mobilisée depuis plus d'un mois pour
Romain Franck, (NDLR : cet employé du
consulat français a été arrêté le 15
février, accusé de trafic d'armes entre
Gaza et la Cisjordanie occupée), qui est
pourtant inculpé pour des faits
extrêmement graves. Des faits qu'il
semble par ailleurs reconnaître. Je
rappelle que mon époux est lui,
incarcéré, sans charge.
Vous dénoncez
donc une différence de traitement.
Comment l'expliquez-vous ?
S’il est normal que
la France se soucie de tous ses
ressortissants incarcérés à l’étranger
et qu’elle mette en place la protection
consulaire notamment, les faits parlent
d’eux mêmes : il y a une inégalité de
traitement entre mon mari et d’autres
Français incarcérés.
On a déjà pu voir
cela avec le journaliste Loup Bureau
incarcéré en Turquie et libéré grâce à
une forte action de notre diplomatie.
Aujourd’hui, il y a en Israël deux
Français incarcérés, l’un pour des
raisons politiques et l’autre relève du
droit commun. L’un est incarcéré depuis
le 23 août 2017 sans charge, et l’autre
est accusé d’avoir utilisé les avantages
de sa fonction au sein du consulat de
France à Jérusalem pour faire du trafic
d’armes.
Mon mari clame son
innocence, Romain Franck semble
reconnaître les faits, mais pourtant, il
est mieux traité que mon époux par la
France. Il a été visité plusieurs fois
en un mois par les autorités françaises
dans son lieu de détention, y compris
par Madame l’Ambassadrice elle-même.
Personnellement,
cela ne me choque pas. Ce que je
dénonce, c'est l'inégalité de
traitement. Mon mari reçoit une visite
mensuelle du Consul général,
l’Ambassadrice ne s’est jamais déplacée
et ne s’est jamais saisi de son dossier.
Par ailleurs,
Romain Franck bénéficie d’une couverture
médiatique favorable : on lui trouve des
excuses, on parle de manipulation, on
minimise son implication....
Définitivement, en France, il vaut mieux
s’appeler Romain que Salah si l’on veut
espérer être traité comme un citoyen à
part entière.
Ça ne marche pas
non plus quand on s'appelle Elsa...
Oui. Début 2016, j'ai été placée en
détention près de l'aéroport de Tel Aviv,
avant d'être expulsée vers la France,
alors que j'étais enceinte de six mois.
Les autorités israéliennes me
reprochaient de ne pas être en
possession d'un visa en bonne et due
forme. Ce qui bien entendu était faux. A
l'époque, j'étais pourtant employée
affiliée au Consulat de France et mon
visa avait été obtenu légalement par le
Consulat comme c’est le cas pour tous
les employés consulaires. J'ai pu alors
ressentir ce que voulait dire être
abandonnée par la France.
Au centre de
détention, j’avais obtenu le droit de
téléphoner à l’Ambassadeur de France. Il
m’a alors violemment répondu qu’il ne
pouvait rien pour moi et que je n’avais
qu’à appeler le Consulat. Si lui ne
pouvait rien pour une Française
enceinte, incarcérée, employée d’un
institut français qui dépend directement
du Ministre des Affaires étrangères,
alors qui pouvait faire quelque chose
pour moi ?
Vous dites aussi
que ce deux poids deux mesures mine le
pacte républicain....
Oui ! La notion de
“cohésion nationale” ne peut pas être
qu’un slogan. Depuis de trop nombreuses
années, les personnes qui prétendaient
vouloir consolider l’unité nationale
n’ont eu de cesse de creuser les
différences entre les Français, en
fonction de leur origine ou de leur lieu
de vie.
Et bien
qu’aujourd’hui, je sois sincèrement
écœurée par le traitement accordé à mon
époux par la diplomatie française, je
n’abandonnerai pas car le Président et
le Gouvernement ont une responsabilité
envers mon lui, même s’il s’appelle
Salah !
Plus de 7 mois de
détention pour mon époux et la
diplomatie française n'est toujours pas
en mesure de nous garantir une issue
heureuse, cela semble invraisemblable !
Chaque jour, mon fils réclame son père,
et je suis bien incapable de lui dire
quand cette injustice cessera enfin.
Qu’est ce que cela
signifie pour des gens comme nous d’être
Français ? A quelle Nation sommes nous
censés nous sentir appartenir quand on
est ainsi traité ? Je réitère ma demande
d’être reçue par Monsieur le Président
de la République. Mon mari subit une
injustice dont lui seul a les clés. S’il
ne souhaite pas en faire usage, qu’il
nous en expose au moins les raisons.
Nous sommes en droit de savoir.
Propos
recueillis par Nadir Dendoune
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