Monde
Qatar : Voici venu le temps des aveux…
Mouna Alno-Nakhal
Dimanche 29 octobre 2017
Il a fallu attendre avril 2016 pour
entendre l'ancien premier ministre du
Qatar, Cheikh Hamad Ben Jassam ou « HBJ
», déclarer dans un entretien avec Roula
Khalaf du Financial Times [1] :
« Je vais dire une
chose pour la première fois... Quand
nous avons commencé à nous engager en
Syrie, en 2012, nous avions le feu vert
pour que le Qatar dirige [les
opérations], car l'Arabie saoudite ne
voulait pas le faire à cette époque.
Ensuite, il y a eu un changement dans la
politique et Riyad ne nous a pas dit
qu'elle nous voulait sur le siège
arrière. Aussi, nous nous sommes
retrouvés en concurrence et cela n'était
pas sain ».
Quant à la Libye,
c’est sans vergogne, que HBJ avait
résumé l’agression meurtrière des
coalisés par cette odieuse métaphore :
« Il y avait trop
de cuisiniers, le plat a été gâché » !
Ce que HBJ n’avait
pas dit est que le feu vert
américano-sioniste est passé au rouge
parce que les turpitudes qataries
commises en Syrie, en étroite
collaboration avec la Turquie et une
frange du Hamas, par le biais d’Al-Qaïda
et des Frères Musulmans, n’ont pas
réussi à détruire l’État syrien, en
quelques mois, comme prévu. Nous n’y
reviendrons pas…
Ce 25 octobre 2017,
c’est à la Télévision officielle qatarie
« massrh TV » qu’il a réservé ses
confidences. Un long entretien de 110
minutes portant sur les crises avec
l'Arabie saoudite, les Émirats arabes
unis, le Bahrein ; les relations avec
l’Iran, l’Israël, les Frères Musulmans ;
le soutien aux dites révolutions arabes,
etc. Entretien jugé d’une « grande
importance » par la chaîne qatarie qui
résume ses déclarations en ces quelques
têtes de chapitres :
Je regrette au
plus haut point la création de la chaîne
TV « Al-Jazeera ».
-
J’ai contacté les
chiites du Bahreïn dans le but d’une «
réconciliation ». Le problème a été
réglé par la force. J’étais contre cette
tendance.
-
Nous avons
informé le roi Abdullah de nos contacts
avec Kadhafi et de ses mauvaises
intentions à l’égard de l’Arabie
saoudite.
-
· Chaque capitale
des Pays du Golfe doit avoir un rôle
précis en dehors de toute confrontation,
l’Arabie saoudite étant la grande sœur
qui doit nous ménager en tant que petit
pays.
-
Par cette crise,
nous nous sommes donnés en spectacle au
monde entier, tandis que nos peuples qui
vivaient en harmonie ont commencé à se
quereller et à s’insulter les uns les
autres.
-
Tous se rendent
aux États-Unis, leur donnent des
informations vraies ou fausses sur nos
États respectifs, lesquelles
informations seront un de ces jours
utilisées contre nous tous et nous
nuiront à tous.
Il serait
fastidieux de revenir sur chacun de ces
points et sur bien d’autres, omis dans
cette liste, tels que :
-
De l’aveu même du
général US Petraeus, le bureau des
Talibans à Doha a été ouvert sur demande
officielle des USA. Il s’agissait de
l’utiliser comme « hub » des
négociations pour la récupération de
prisonniers. En 2003, suite à leur
démolition du grand Bouddha, nous leur
avions refusé une « ambassade » malgré
les pressions US en leur disant que nous
ne le ferions que pour un État
internationalement reconnu.
-
Nous nous sommes
engouffrés dans la guerre du Yémen sans
en connaître la raison. La demande était
saoudienne. Nous y avons consenti.
-
Lorsque
l’ambassade d’Arabie saoudite a été
attaquée en Iran, nous avons retiré
notre ambassadeur, alors que nous avions
d’excellentes relations avec ce pays,
que nous respectons son intelligence
ainsi que sa diplomatie, et que nous
sommes partenaires sur un énorme
gisement gazier que nous exploitons à
quelques mètres l’un de l’autre.
-
Ces dernières
années, nous avons rompu nos relations
avec l’Irak parce que la politique
saoudienne exigeait la rupture de tout
contact. Mais voilà qu’ils l’ont rétabli
sans même en référer au CCG !
Rétablissement que j’approuve et qui
aurait dû être fait depuis longtemps.
-
Nous n’avons pas
particulièrement soutenu les Frères
Musulmans. Nous n’avons eu que des
relations d’État à État, lorsque Morsi
est arrivé au pouvoir en Égypte.
-
S’agissant des
enregistrements de ses conversations
avec Kadhafi à propos d’un changement de
régime en Arabie saoudite, HBJ est bien
obligé d’admettre qu’ils sont
authentiques. Mais « malgré le respect
dû à un mort dont on ne devrait dire que
du bien », il l’a accusé d’avoir
escroqué les EAU en leur vendant une
raffinerie de pétrole qui n’existait
pas, et d’avoir extorqué le Qatar sans
plus de précision.
-
Quant à Israël, à
chacun de comprendre que :
« Son revenu
national dépasse n’importe quel pays
arabe, alors qu’il na pas de pétrole
(!?)… Ils ont des cerveaux et quatre
millions de personnes dont trois
millions possèdent une double
nationalité, ce qui signifie qu’elles
peuvent émigrer mais restent parce
qu’elles ont un but qu’elles cherchent à
atteindre. Quant à nous, nous cherchons,
tous, leur amitié et les craignons. Qui,
parmi nous, parle encore de la question
palestinienne ?... Nous ne parlons plus
que des modalités de normalisation…
Je connais bien les
Israéliens. J’ai travaillé avec eux et
j’ai été insulté pour cela. Mais notre
but était la paix… que la question
palestinienne soit réglée de manière
pacifique à Gaza et en Cisjordanie…
Maintenant, je sais que nombre de
dirigeants régionaux traitent avec eux
et que nombre de réunions ont lieu,
certaines en mer Rouge. Mais je sais
aussi qu’elles sont vouées à l’échec… ».
Et HBJ de se
demander si, malgré toute cette bonne
foi et cette fidélité à toute épreuve,
le comportement de ses frères assiégeurs
[l’Arabie saoudite, les EAU, le Bahreïn
et l’Égypte] ne traduit pas leur volonté
d’imposer un changement de la politique
régionale.
Politique que le
Qatar approuverait très probablement, à
condition qu’elle existe, qu’elle soit
clairement planifiée, qu’il en soit le
partenaire ou, tout au moins, qu’on lui
laisse le choix d’y adhérer. D’autant
plus que le Qatar s’est montré magnanime
à leur égard :
« Les quatre frères
avaient reconnu le changement de régime
qui s’est produit au Qatar en 1996… bien
que nous n’ayons pas eu besoin de leur
soutien puisque telle était la décision
de notre peuple [sic], et alors que nous
étions au courant du complot qu’ils
tramaient contre nous dès le Sommet de
Mascate [2] l’année précédente… À
l’époque, des militaires ressortissants
de ces États assiégeurs ayant participé
au complot avaient été fait prisonniers
à Doha… Plus tard, le roi Abdullah a
demandé de les relâcher et de tourner la
page. Son altesse, le père du prince
actuel, a répondu à sa demande… C’est
dire que même quand la tension a atteint
son paroxysme, nous avons gardé un
minimum de respect mutuel… Nous n’avons
pas touché aux symboles, et le ton n’a
jamais atteint le niveau d’aujourd’hui…
».
Ils n’ont pas
touché aux symboles ! À l’entendre, le
Qatar n’a fait que chasser en Syrie,
cuisiner en Libye, et secourir les gens
de Gaza des griffes du terrifiant
Israël. Et s’il a perdu la proie pour
l’ombre, il ne faudrait quand même pas
oublier qu’il n’est pas le seul coupable
et que les frères assiégeurs ont été
plus que des complices. C’est en tout
cas ce que laisse à penser son discours
sur la Syrie que nous avons réservé pour
la fin.
Un discours qui ne
nous apprend rien que nous ne sachions
déjà mais qui, mieux que le criminel,
connait les détails du crime ? Même s’il
ne dit pas toute la vérité :
« Dès que les
choses ont commencé en Syrie, je me suis
rendu en Arabie saoudite à la demande de
son altesse père. J’ai rencontré le roi
Abdallah, que Dieu lui accorde Sa
miséricorde. Il m’a dit : « Nous sommes
avec vous, vous avancez, nous
coordonnons, mais vous prenez les choses
en mains ». Ce que nous avons fait. Je
ne voudrais pas entrer dans les détails…
Nous possédons des preuves complètes sur
ce sujet.
Tout passait par la
Turquie, tout se faisait en coordination
avec les forces américaines, les Turcs,
nous-mêmes et nos frères saoudiens. Tous
étaient présents via leurs militaires.
Il se peut que des
erreurs aient été commises au niveau de
certains détails en matière de soutien
[au terrorisme, Ndt], mais pas en ce qui
concerne Daech. Là, ils exagèrent !
Il se peut qu’il y
ait eu relation avec le Front al-Nosra.
C’est possible. Par Dieu, je n’en sais
rien ! Cependant, si tel était le cas,
je peux dire que dès qu’il a été décrété
que le Front al-Nosra était
inacceptable, il n’a plus été soutenu et
les efforts se sont focalisés sur la
libération de la Syrie… [Ici, sans
transition, NdT]…nous nous sommes
disputés la proie… la proie s’est
envolée… et nous nous la disputons
encore !
Et maintenant que
des tueries ont eu lieu en Syrie et que
Bachar est toujours là… Maintenant, vous
dites que Bachar peut rester. Nous ne
sommes pas contre. Nous n’avons pas à
nous venger de Bachar. Il fut notre ami.
Mais vous étiez
avec nous et dans la même tranchée. Vous
avez changé d’avis. Dites-le ! ».
Mouna Alno-Nakhal
28/10/2017
Source : TV
officielle du Qatar / Émission Al-Haqiqa
: « La vérité »
https://www.youtube.com/watch?v=fyAWhy5b4lM
Notes :
[1] Les aveux de
cheikh Hamad, surnommé HBJ, sur la Libye
http://www.huffpostmaghreb.com/2016/04/21/hamad-ben-jassem-libye-syrie_n_9751762.html
[2] Qatar refuse la
tutelle de Riyad dans la région du Golfe
http://www.liberation.fr/planete/1995/12/08/qatar-refuse-la-tutelle-de-riyad-dans-la-region-du-golfe_152749
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