Syrie
Sommet d’Ankara
Erdogan expose son projet de
colonisation en Syrie
Revue de presse par Mouna Alno-Nakhal
Jeudi 19 septembre 2019
Lundi16 septembre, les présidents
des trois États garants du « processus
d’Astana » de désescalade militaire en
Syrie ont tenu leur cinquième sommet
tripartite à Ankara. Dans un premier
temps, le président turc a fait savoir
que la solution à Idleb ne pouvait être
que politique et, qu’avant le début de
ce sommet, il avait eu avec le président
Poutine et le président Rohani des
entretiens bilatéraux ayant porté sur
divers points ne se limitant pas à la
Syrie.
Dans un
deuxième temps, les trois présidents ont
tenu une conférence de presse commune
[1] au cours de laquelle ils ont
réaffirmé les constantes des communiqués
précédents quant au respect de la
souveraineté, de l’indépendance et de
l’intégrité territoriale de la Syrie ;
les nouvelles annonces se limitant à la
liste du « Comité constitutionnel »
quasiment réglée, à la tenue du prochain
sommet à Téhéran avec invitation de
l’Irak et du Liban en tant
qu'observateurs et, soit dit en passant,
au conseil malin ou malicieux de M.
Poutine aux autorités saoudiennes de
protéger leurs familles et leur pays en
suivant les préceptes du Coran ou,
sinon, en achetant des systèmes
antiaériens à la Russie comme l'Iran l'a
déjà fait en achetant les systèmes de
missiles russes S-300, comme la Turquie
l'a déjà fait en achetant les systèmes
de missiles russes S-400. [2]
Mais ni les
S-400, ni le rappel par M. Poutine des
« échanges économiques et commerciaux à
hauteur de 25 milliards de dollars en
2018, notamment sur le plan énergétique
avec la construction du réseau gazier et
de la centrale nucléaire en Turquie »
n’ont empêché le président turc
d’exposer son projet de colonisation du
Nord de la Syrie au nez et à la barbe du
président Poutine et du président Rohani,
en ouverture et en fermeture de la
conférence de presse commune. En effet :
I. Extrait
de la déclaration d’Erdogan en ouverture
du Sommet d’Astana :
« La
situation à l’Est de l’Euphrate doit se
régler en sauvegardant l’unité
territoriale de la Syrie et aussi, la
sécurité de la Turquie. Or, un tiers du
territoire syrien se trouve sous le
contrôle des organisations terroristes,
lesquelles utilisent les femmes, les
enfants et les personnes âgées comme
boucliers humains pour protéger leurs
éléments […].
Jusqu’ici,
nous pouvons dire que Daech ne constitue
aucune menace dans la région et que,
d’une façon générale, ceux qui
constituent la principale menace en [ou
pour la ?] Syrie sont les milices et
organisations kurdes armées. Par
conséquent, la région ne pourra
retrouver la stabilité tant que ces
milices ne seront pas combattues.
J’ai
informé le président Poutine et le
président Rohani de mon point de vue sur
la « Zone de sécurité » : partant de la
sécurité des frontières turques, nous
n’autoriserons aucun « corridor
terroriste ». Donc, nous voulons bâtir
une ville pour les réfugiés, réhabiliter
les terres cultivables et créer les
conditions nécessaires à leur retour
dans cette région […]. Ainsi, nous y
renforcerons la sécurité et la stabilité
tout en protégeant les réfugiés via ce
qui est désormais qualifié, dans les
médias, de « couloir de la paix ».
Si d’ici
deux semaines nous ne constatons pas
d’actions efficaces de la part des
États-Unis, j’ai informé le président
Poutine et le président Rohani que nous
avons nos propres moyens pour régler la
question des réfugiés.
Nous avons
3,6 millions réfugiés. Nous avons
beaucoup sacrifié pour leur offrir de
bonnes conditions [de vie]. Lorsque la
crise a atteint son point culminant,
nous avons fait notre maximum pour la
résoudre en veillant à sauvegarder
l’unité du territoire syrien.
Grâce à
l’opération « Bouclier de l’Euphrate »
et à l’opération « Rameau d’Olivier »,
nous avons libéré 4000 Km2 de
terre syrienne et, aujourd’hui, les
réfugiés vivent en paix dans cette
région libérée et envoient leurs enfants
à l’école… » [3, NB :
traduction à partir de la version arabe
de RT].
II. À ce
stade,
la déclaration du Dr Bachar
al-Jaafari du 2 août dernier, suite à la
tenue de la 13ème session du
processus d’Astana, démolit un premier
bouquet de mensonges dans ce discours :
« Nous
avons eu des discussions très denses
avec les garants russe et iranien. Et,
en marge de ces rencontres à Noursoultan,
nous avons participé aujourd’hui à
d’autres réunions très importantes,
lesquelles ont marqué de leurs
empreintes positives le texte de la
déclaration finale [4].
Il est
indubitable que le langage adopté par ce
texte a évolué dans un sens positif.
Mais, en dépit de cela, nous appelons
toujours à ce que les belles idées se
conjuguent à des actes sur le terrain,
notamment du côté turc.
Le fait
que le gouvernement turc actuel soit
l’un des trois garants du processus
d’Astana implique de sa part une
responsabilité et des obligations quant
à la mise en application de ce
processus, conformément à l’ensemble des
déclarations finales adoptées à Astana
ou à Sotchi. Or, nous, en Syrie,
nous ne constatons pas d’application
honnête des accords d’Astana ou de
Sotchi de la part du gouvernement turc.
Et lorsque je parle de « Sotchi »,
je parle de l’accord russo-turc
du 17
septembre 2018 ; ce qui signifie qu’au
bout de bientôt une année de la
conclusion de ces ententes entre le
président Poutine et le président
Erdogan, nous n’avons constaté aucune
mise en application franche et honnête
dudit accord de Sotchi du côté turc.
Lequel accord implique, comme vous le
savez, le
retrait des groupes terroristes à 20 Kms
du côté ouest de la route d’Abou’l-Douhour,
entre Alep et Idleb ainsi que le retrait
des armes lourdes et moyennes.
Ces retraits n’ont pas eu lieu. En
revanche, le nombre de terroristes a
augmenté et notamment le nombre de
terroristes étrangers à Idleb. C’est
pour toutes ces raisons que nous
rappelons à nos amis, présents à Astana,
le manquement du gouvernement turc à ses
engagements pris lors de la conclusion
des accords d’Astana et de Sotchi [le
premier avec l’Iran et la Turquie, le
deuxième avec la Russie ; NdT].
Permettez que je vous donne quelques
informations précises sur la présence
actuelle des forces militaires turques
sur notre territoire : 10 655 militaires
dont des officiers, des sous officiers
et des soldats ; 166 chars, 278
véhicules blindés, 18 lance-missiles,
173 mortiers, 73 véhicules munis de
mitrailleuses lourdes, 41 bases de
missiles antichars ; ce qui en soi
constitue une violation des accords
d'Astana, lesquels consistaient
textuellement à autoriser l’installation
de 12 postes d'observation tenus par
des « policiers turcs » munis d’armes
légères et dont le nombre ne devait pas
dépasser 280 observateurs sur une
« ligne de sécurité » allant de notre
frontière nord avec la Turquie jusque la
frontière avec Lattaquié, plus au sud.
Par conséquent, les Accords d’Astana
n’ont autorisé que cette « ligne de
sécurité » [autour d’Idleb] ; preuve,
s’il en fallait, de la véracité de nos
déclarations parlant de violation de
notre souveraineté aussi bien par cette
présence militaire non autorisée que par
l’occupation de vastes régions du
nord-ouest de notre territoire.
Et abstraction faite de ce déploiement
militaire turc en violation des accords
d’Astana et de Sotchi, d’autres
violations du régime turc ne sont pas
moins dangereuses. En voici quelques
exemples :
-
D’après des déclarations
attribuées au ministre turc de
l’Intérieur, la Turquie a nommé
trois walis [sorte de gouverneurs]
sur trois villes syriennes : A’zaz,
Jarablos et Marea.
-
Quant à la ville d’Afrin,
Erdogan a personnellement désigné
son wali et son gouvernement a
poussé le vice jusqu’à la rattacher
à la province de Hatay qui n’est
rien d’autre que le « sandjak
d’Alexandrette » syrien occupé par
la Turquie.
-
Dans les régions qu’il occupe
au nord-ouest de la Syrie,
le garant turc
a imposé aux citoyens syriens le
remplacement de leur identité
syrienne par l’identité turque, la
langue turque et les programmes
scolaires turcs dans leurs écoles,
pendant que les terroristes et les
groupes armés qu’il soutient volent
les vestiges historiques à Aïn-Dara,
à Afrin et ailleurs avant de les
acheminer vers la Turquie.
-
Et à Idleb, vous avez tous
entendu parler du récent vol de sa
moisson d’olives avant exportation
sur le marché mondial par la
Turquie.
-
Quant à Jarablos la syrienne,
le garant turc a inauguré un hôpital
qu’il a baptisé : « Hôpital du
jardin de la nation ottomane »…
Et la liste des violations est longue…
Ce sont là quelques remarques que j’ai
souhaité faire en prélude de cette
conférence de presse » [5].
III.
Extrait de la déclaration d’Erdogan en
fermeture du Sommet d’Astana :
Concernant
la « zone de sécurité », M. Trump avait
parlé de 30 kilomètres à l’intérieur du
territoire syrien ; la frontière
turco-syrienne d’est en ouest s’étendant
sur 910 Kilomètres de long. Nous avons
3,6 millions de réfugiés syriens dont
des Kurdes et des Arabes, pour lesquels
40 milliards de dollars, et même plus,
ont été dépensés, alors que n’avons reçu
que des aides d’environ 7 milliards de
dollars de la part des Nations Unies et
de l’Union européenne. C’est le total
des sommes accordées à la Turquie pour
la soutenir face au problème des
réfugiés [syriens]. Ces sommes n’entrent
donc pas dans notre trésorerie, mais
servent à dresser de nouvelles tentes, à
leur assurer les repas, l’enseignement
et les services de santé. Par
conséquent, le travail se poursuit dans
ce sens et, actuellement, nous
réfléchissons à ce que nous pourrions
faire en plus des actions que nous avons
déjà menées.
J’en ai
parlé avec les chefs d’États et je
continuerai. En effet, pour ces réfugiés
présents en Turquie… [transition
manquante ou incompréhensible, NdT]… sur
30 kilomètres de profondeur [en
territoire syrien] et 410 kilomètres de
long nous avons décidé de bâtir des
unités résidentielles, et non des
tentes, sur une surface d’environ 250
kilomètres carrés… Tel est l’habitat et
le territoire que nous souhaitons leur
assurer. Ainsi, ils pourront vivre et
cultiver des fruits et légumes sur leur
terre. De plus, il faudra travailler à
leur offrir des emplois et les Nations
Unies devraient contribuer à cette
opération.
J’ai
discuté de cette question avec Mme
Merkel, M. Macron, le roi saoudien,
nombre de dirigeants d’organisations
internationales, et aussi avec M. Rohani.
Si nous menons une campagne pour la
concrétisation de ce projet, nous
contribuerons à ramener ces réfugiés sur
leur territoire en zone sécurisée. Pour
cela, il nous faut un soutien logistique
et les moyens d’assurer la sécurité […].
J’espère que nous aboutirons à un accord
sur cette question, afin que ces gens
puissent rentrer chez eux et que nous
puissions les sortir de leurs
tentes… » [3].
IV. De quelle zone de sécurité
parle Erdogan et dans quel but ?
Certes, les
États-Unis et la Turquie ont annoncé le
7 août dernier leur décision d’établir
un « centre d’opérations conjointes »
pour coordonner une zone de sécurité
dans le nord-est du pays, décision
qu’ils ont commencé à mettre à exécution
le 8 septembre courant, apparemment sans
trop de zèle de la part des étatsuniens,
de l’avis d’Erdogan.
D’où,
peut-être, ses menaces et son ultimatum
de 2 semaines au cas où leurs actions
resteraient aussi inefficaces.
Peut-être… parce qu’avec Erdogan on se
sait jamais sur quelle corde il joue.
N’a-t-il pas menacé, le 5 septembre
courant, d’ouvrir la vanne des réfugiés
vers l’Europe, s’il n’obtenait pas
l’aide réclamée pour la création d’une
« zone de sécurité » en Syrie ? [6].
Et,
concernant l’étendue de cette zone
réclamée par Erdogan depuis des années,
c’est vite dit d’affirmer « M.Trump
avait parlé de 30 kilomètres à
l’intérieur du territoire syrien ».
À notre connaissance, possiblement
incomplète, le flou entoure toujours
l’accord turco-américain et Erdogan
l’entretient, puisqu’il commence par
parler de 910 Kms de long avant de
réitérer publiquement devant ses deux
partenaires russe et iranien sa décision
de construire sa ville et son corridor
de la paix sur 450 Kms de long.
C’est Erdogan
qui a exigé une profondeur de 30 à 40
Kms, non seulement pour éloigner
davantage les activistes séparatistes
kurdes de ses frontières, mais aussi
pour contrôler la région de l’ouest à
l’est à travers les forces qui lui sont
affidées, sous couvert de porter secours
à 3,6 millions de réfugiés syriens,
prétendument tous traîtres à leur patrie
et fin prêts à prêter allégeance à son
sultanat imaginaire et à ses frérots
bien réels.
Parmi ces
forces, le Front al-Nosra quelle que
soit l’appellation qu’il se donne ou se
donnera, puisqu’Erdogan n’a parlé que du
terrorisme de Daech -laquelle
organisation terroriste n’est plus une
menace selon ses dires- et des milices
kurdes armées. Pas un mot sur le Front
al-Nosra, alias Hay’at Tahrir al-Cham,
alors qu’il sévit toujours à Idleb. Pour
lui, il est sans doute encore temps
d’utiliser des membres de cette autre
organisation terroriste, extrémistes
mais pas notoirement sanguinaires, comme
5ème colonne dans le futur
gouvernement syrien. Comme si Poutine et
Rohani ne le savaient pas. Comme si
Merkel, Macron, le roi de la Saoudie et
bien d’autres ne le savaient pas.
Reste à
savoir s’ils vont s’incliner devant ses
menaces ou continuer à nourrir la
légende des séparatistes kurdes pour
assurer, tôt ou tard, la partition de la
Syrie ; ce qui revient au même pour les
Syriens.
V. Du
danger et de l’utilité du Comité
constitutionnel dans les conditions
actuelles :
L’idée de la
création du Comité constitutionnel
-chargé de réviser la constitution
syrienne actuellement en vigueur, non
d’en rédiger une nouvelle à partir de
rien comme certains le prétendent- a
démarré début 2018 à Sotchi alors que
Staffan de Mistura était encore
émissaire de l’ONU pour la Syrie.
Il a été
décidé que le comité devait réunir 50
membres choisis par le gouvernement
syrien, 50 membres choisis par
l’opposition et un troisième groupe de
50 membres issus de la société civile et
choisis par l’ONU. Troisième groupe dont
la composition pouvait se révéler
hautement dangereuse, vu le risque d’une
majorité constituante incompatible avec
le combat de la Syrie pour son
indépendance, sa souveraineté, son
intégrité territoriale et la protection
de sa mosaïque humaine contre toute
sorte de tutelle. La salle du Conseil de
sécurité doit encore résonner des débats
houleux des chantres de la démocratie à
ce sujet. Et voilà qu’à ce Sommet
d’Ankara, Erdogan annonce : « Nous
avons fait preuve d’une approche
flexible… nous avons tous les trois fait
d’énormes efforts… nous avons éliminé
tous les problèmes qui empêchaient la
création de ce comité ».
Tout risque
est-il aujourd’hui écarté ? Et, en
admettant que ce comite aboutisse à une
bonne révision de la Constitution, en
quoi serait-elle utile dans les
conditions actuelles en Syrie ? Les
Syriens invités à s’exprimer sur le
sujet répondent en posant nombre de
questions, dont les suivantes :
-
Est-ce
la Constitution qui mettra fin à
l’occupation américaine et turque ?
-
Est-ce
la Constitution qui expulsera les
bases de l’OTAN plantées
illégalement en terre syrienne ?
-
Est-ce
la Constitution qui empêchera
Erdogan de faire mine de menacer
Trump alors qu’ils sont de mèche
pour briser la Syrie, leurs
désaccords portant sur des détails
de longueur et de profondeur de
leurs zones d’influence
respectives ?
-
Est-ce
la Constitution qui empêchera
Erdogan de piller le pays, de
grignoter une colonie après l’autre
par des opérations baptisées
cyniquement « Rameau d’Olivier », de
turquifier de vastes régions, de
chercher ouvertement à redessiner la
carte démographique et ethnique du
pays, comme l’a prouvé le Dr Bachar
al-Jaafari aux diplomates du monde
entier ?
-
Est-ce
la Constitution qui empêchera les
terroristes de continuer à
martyriser les citoyens, notamment
ceux dont Erdogan est le garant ou
le protecteur ?
-
Est-ce
la Constitution qui empêchera
Erdogan et le camp ennemi de pousser
à bout les malheureux citoyens pris
dans leurs pièges, afin qu’ils
cèdent sous le poids des malheurs de
la guerre et des sanctions ?
-
Et
enfin, qu’est-ce qui a motivé ce
soudain revirement d’Erdogan ?
Réponse : Une fois de
plus, Erdogan tente de gagner du temps
et ce n’est pas le Comité
constitutionnel qui va lui en accorder
face à la volonté de l’Armée syrienne et
de son Commandant en chef d’en finir
avec les terroristes à Idleb. Et bien
que nous ne possédions pas les clés de
déchiffrage du langage corporel, il nous
suffit de constater que Poutine et
Rohani, impassibles, lui ont signifié
qu’il n’y aura pas de répit pour ses
terroristes préférés. Pour le reste, qui
vivra verra…
Mouna Alno-Nakhal
18/09/2019
Notes :
[1] [Comité
constitutionnel, réfugiés, terrorisme :
les grandes annonces du sommet d'Ankara
sur la Syrie (RT-France)]
[2] [Poutine
cite le Coran... et conseille à l'Arabie
saoudite d'acheter des S-400 russes]
[3] [Sommet
d’Ankara (Rt-arabic), source de notre
traduction des déclarations d’Erdogan]
[4] [Déclaration
finale du 13ème round du
processus d’Astana (SANA)]
[5] [Video :
Conférence de presse de Bachar
al-Jaafari suite aux pourparlers
d’Astana 13 [SANA]]
[6] [Erdogan
agite le spectre d'une nouvelle crise
migratoire en Europe]
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