Syrie
Syrie /
Qui trompe qui : Lavrov ou Kerry ?
Nasser Kandil
Samedi 6 août 2016
Résumé :
Les doigts se pointent vers Hillary
Clinton, devenue non seulement la
candidate du parti démocrate à la
présidence, mais aussi la candidate de
l'alliance israélo-saoudienne, le
troisième partenaire étant le Front al-Nosra.
Elle torpille les accords
américano-russes par l’intermédiaire du
Secrétaire à la Défense des États-Unis,
Ashton Carter, en préparation d’un
nouveau chapitre de la guerre contre la
Syrie, dans lequel le projet de mainmise
des Frères Musulmans sur ce pays est
remplacé par le modèle afghan, afin de
faire payer le prix fort à la Russie et
de modifier les équilibres, quitte à se
mouiller dans le récent coup d’État en
Turquie, non pour gagner la guerre
contre le terrorisme, mais pour profiter
du dernier quart d’heure du mandat d’Obama,
devenu un canard boiteux, et servir les
intérêts d'Israël et de l'Arabie
saoudite [NdT].
Le Secrétaire
d'État américain, John Kerry, a déclaré
qu’il craignait que les couloirs
humanitaires annoncés par les Russes ne
soient une ruse [1] et que si
cela devait se vérifier, Washington
mettrait un terme à toutes formes de
coopération avec Moscou.
Il est
intéressant de noter que Kerry n'a pas
qualifié de « ruse » le fait que l'Armée
syrienne et ses alliés aient
complètement encerclé Alep, notamment en
coupant la route du Castello et en
prenant le quartier industriel du
Layramoun, mais s’est limité aux
couloirs humanitaires.
De leur côté,
les alliés de la Syrie n’ont cessé de
répéter depuis le début de ladite
« cessation des hostilités » en février
2016 -et tout ce qui s’en est suivi
comme réarmement qualitatif du Front al-Nosra
et des milices opérant sous sa bannière,
ou en étroite relation avec son
organisation, dont 200 chars, 1000
missiles TOW, 100 canons de longue
portée et des dizaines de milliers de
toutes sortes de projectiles, plus des
centaines de millions de dollars
consentis et un afflux de milliers de
militants d’Al-Qaïda en Syrie via sa
frontière avec la Turquie - que les
Américains avaient « trompé » les
Russes.
Et ceci, en
feignant s’être entendus sur l’objectif
d’assiéger le Front al-Nosra et Daech
[EIIL, ISIS, État islamique en Irak et
au Levant] afin de les écarter de la
scène politique et militaire en tant
qu’organisations terroristes, puis en
jouant les prolongations à cet effet,
jusqu’à ce que les préparatifs du Front
al-Nosra -en collaboration avec la
Turquie, le Qatar, l’Arabie saoudite et
Israël- soient achevés, avant de lancer
ses milices dans une offensive ayant
abouti à la reprise de Khan Touman et de
Khalsa au sud d'Alep, ainsi qu’à la
reprise de Kansabba dans la campagne de
Lattaquié, et à des dizaines de martyrs
dans les rangs de l'Armée syrienne, des
experts iraniens et du Hezbollah.
Cette
tromperie US perdure malgré l’annonce
d’une nouvelle entente suite à la
rencontre de Kerry et de Lavrov à Moscou
en juillet dernier, les Américains
traînant les pieds, une fois de plus,
sous prétexte qu’ils auraient besoin de
plus de temps pour séparer ceux qu'ils
qualifient d'« opposition modérée » des
terroristes du Front al-Nosra, tout en
faisant pression sur les Russes pour
qu’ils cessent tout soutien miliaire
efficace contre cette organisation
terroriste.
Et tandis
qu’à Washington John Kerry est regardé
comme un mari trompé et que les alliés
de la Syrie considèrent que Sergueï
Lavrov se berce d’illusions, les
réalités politiques auxquelles sont
confrontés les Présidents Obama et
Poutine disent qu’une entente entre
Washington et Moscou est obligatoire,
imposée par les circonstances, quelles
que soient les ambitions des uns et des
autres. Elle implique une nouvelle
approche du dossier syrien sous le
slogan de la guerre contre le
terrorisme, non sous celui du changement
de régime.
Moscou et ses
alliés sont déterminés à éradiquer le
Front al-Nosra dans le nord de la Syrie,
mais il semble qu’à Washington les
choses se présentent différemment.
Ainsi, à peine Kerry avait-il annoncé
l’accord de principe conclu entre les
deux chefs des diplomaties russe et
américaine dans le but de combattre
Daech et le Front al-Nosra, trois
évènements inséparables de ce qui se
passe à Washington ont eu lieu :
-
Le changement de
positionnement du Front al-Nosra [2]
consécutif au feu vert donné par Ayman
al-Zawahiri, le chef d’Al-Qaïda,
l’autorisant à sacrifier, si nécessaire,
ses liens avec l’organisation pour
poursuivre le combat en Syrie, suivi des
remerciements publics du chef du Front
Al-Nosra, Al-Joulani, lequel s’est
empressé de donner à sa milice le
nouveau nom de « Jabhat Fateh al-Cham »
[Le front de la conquête du Levant]. Un
changement soudain alors que jusqu’ici,
le Front al-Nosra avait refusé toutes
les offres venues de Turquie, du Qatar
et de l’Arabie saoudite pour qu’il se
distancie, ne serait-ce que verbalement,
d’Al-Qaïda. Une opération menée
précipitamment, plutôt destinée à
Washington afin d’inviter certaines
administrations à coordonner les efforts
pour saper l’entente russo-américaine et
certainement pas destinée à répondre aux
offres des gouvernements de la Turquie,
de l'Arabie Saoudite, du Qatar, d’Israël
ou de la France ; laquelle avait
proposé, par la voix de son Président,
de traiter le Front al-Nosra selon une
équation similaire à celle appliquée au
Hamas : un mouvement religieux national
ayant quelques pratiques terroristes qui
pourrait néanmoins être adapté au
processus politique, moyennant certaines
conditions.
-
La déclaration de
Hillary Clinton, tout juste investie par
le Parti démocrate dans la course à la
présidence [3], affirmant qu’elle
prévoyait de revoir complètement la
stratégie américaine en Syrie et de
déloger le Président Bachar al-Assad,
alors que l’Administration Obama aurait
consenti à ne plus soutenir cette
politique à son égard.
-
Des paroles qui
resteraient vagues si Ashton Carter
-lequel aurait reçu la promesse de
rester à son poste au cas où Hillary
Clinton était élue- n’avait parlé très
clairement de son intention de
concentrer ses efforts sur le sud de la
Syrie pour combattre Daech [4],
en ignorant totalement le Front al-Nosra,
bien qu’il soit notoirement connu que
Daech est peu représenté dans le sud
syrien, tandis que le Front al-Nosra y
est en étroite relation avec l'Arabie
Saoudite, via la frontière jordanienne,
et remplit une fonction centrale dans la
stratégie sécuritaire
américano-israélienne, notamment par la
mise en place de ladite « ceinture de
sécurité » autour du Golan afin
d’empêcher la Résistance d’atteindre la
ligne de désengagement.
Ajoutez à ce
qui précède que les armes sophistiquées,
dont des missiles anti-aériens,
utilisées par le Front al-Nosra dans le
nord de la Syrie, confirment la
complicité américaine, sans laquelle ces
armes ne pourraient se trouver en sa
possession, même si elles étaient issues
de l’arsenal de l’armée saoudienne,
qatarie, turque ou émiratie, comme le
disent les médias russes depuis que
l’hélicoptère russe de transport
militaire a été abattu ce 1er
août dans la province d’Idleb.
Or, pour tous
ceux qui s’opposent à ce qu’ils
qualifient de « concessions » accordées
par Barak Obama à la Russie et surtout à
l’Iran, Hillary Clinton répondrait au
mieux à leurs aspirations, car c’est de
l'équilibre des forces avec la Russie et
l'Iran que dépendra le rôle des
États-Unis et de leurs alliés dans le
nouvel ordre mondial qui se dessine,
notamment les alliés saoudien et
israélien.
En effet, le
profil d’Hillary Clinton qui héritera de
l’échec des guerres de George W. Bush
qu’elle a soutenues, qui aura perdu son
poste de Secrétaire d’État pour s’être
acharnée contre la Syrie avant
d’admettre son impuissance, qui se sera
opposée à l’accord sur le nucléaire
iranien avant de reconnaître que c’était
le meilleur choix possible, correspond
le mieux à l'opportunisme politique
recherché par Washington et ses
alliés ces jours-ci. Comment en
douteraient-ils, alors que c’est le type
même du politicien dont les prises de
position sont fonction d’intérêts
financiers personnels et dont le
parcours est semé d’un nombre record de
dossiers prouvant sa corruption ? Pour
exemple, son rôle documenté dans la
livraison d'armes chimiques au Front al-Nosra
par l’intermédiaire de l'ambassade
américaine à Benghazi, dans le seul but
de justifier la guerre contre la Syrie.
Lorsqu’il
était encore directeur de la CIA, David
Petraeus a formé avec Hillary Clinton le
duo menant la guerre contre la Syrie.
Aujourd’hui, c’est au tour d’Ashton
Carter, de le remplacer dans ce duo,
pour profiter de ce qui reste du mandat
d'Obama afin de réduire les concessions
accordées par ce dernier et ainsi
garantir aux USA une dimension
internationale plus large, notamment
face à la Russie, et une dimension
régionale dominante à l'Arabie saoudite
et à Israël face à l’Iran ; le Front al-Nosra
étant le cheval de Troie nécessaire à la
réussite de ces deux missions.
Telle est
l'explication du changement de nom
précipité du Front al-Nosra et de la
livraison de missiles sol-air avec
l’accord du Secrétariat à la Défense des
États-Unis ; le nouveau duo marchant sur
les traces du précédent avec la même
volonté de faire de ce Front le
partenaire qu’il substituerait à l’Armée
syrienne dans la guerre contre Daech.
En effet, le
désaccord, entre décideurs américains,
sur les options possibles dans le cadre
d’un règlement du conflit sur la Syrie,
pourraient se résumer en deux
équations :
-
La première
correspond aux calculs d’Obama et de son
ministre des Affaires étrangères, John
Kerry. Elle consiste à dire que jouer
avec la Russie et l'Iran, en couvrant le
Front al-Nosra et en refusant de le
combattre, priverait Washington de
l’opportunité de gagner la guerre contre
Daech et accorderait à la Russie, à
l'Iran et à la Syrie, les lauriers de la
victoire sur Daech et le Front al-Nosra
à la fois.
-
La deuxième,
adoptée par Clinton, Carter et certaines
élites démocrates et républicaines,
repose sur l’« afghanisation » de la
Syrie afin d’y piéger la Russie et lui
faire payer le prix fort par un maximum
de subventions et d’armes accordées au
Front al-Nosra, ce qui permettrait
d’exploiter le temps pour arriver à
négocier dans de meilleures conditions,
étant donné que la guerre d'usure n'a
pas encore atteint ses objectifs et que
la Russie et l'Iran sont directement
impliqués dans la guerre. D’où les
efforts en cours pour faire en sorte que
le Front al-Nosra se transforme en
partenaire de type Taliban plutôt que du
type Al-Qaïda et, par conséquent, de
prolonger la guerre sans s’impliquer
directement. Ainsi, c’est en position de
force, face à Moscou et Téhéran, que
Washington pourrait réussir à maintenir
certains équilibres et avantages pour
lui-même et ses alliés.
Mais il
semble que ce ne soit pas possible de
prendre le risque d’attendre la
prochaine administration US pour tester
cette deuxième équation car, entretemps,
les points d’entente entre
l’administration actuelle et Moscou
pourraient anéantir le Front al-Nosra et
déboucher sur la victoire de la Russie,
de l’Iran et de la Syrie. Par
conséquent, le meilleur moment pour la
mettre en application se situe juste
avant le dernier quart d’heure du mandat
d’Obama. En cas de réussite, la
prochaine administration entamerait les
négociations en position de force. En
cas d’échec, il sera toujours temps de
profiter de ce qui reste du mandat d’Obama
pour sauver la situation et revenir vers
les points d’entente avec Moscou.
En ce sens,
l’annonce faite par Ashton Carter de
raids concentrés sur le sud de la Syrie
et ce qu’elle sous-entendait comme
déploiement, sur les frontières du
Golan, d'unités du Front al-Nosra rendu
« modéré » par la simple modification de
son nom, plus la guerre féroce menée
actuellement par ce même Front al-Nosra
dans le nord de la Syrie contre la
Russie, la Syrie, l'Iran et le Hezbollah
à l’ombre des déclarations bafouillantes
des États-Unis et des encouragements
publics de l’Arabie saoudite et
d’Israël, révèlent le chaînon manquant
de la série des tentatives d’Hillary
Clinton ; à savoir, la Turquie dont la
coopération est indispensable à la
réussite de son projet.
C’est ce qui
ressort de plusieurs rapports des
services de renseignement turc et russe
sur le rôle joué par David Petraeus dans
le coup d'État en Turquie à partir du
moment où Erdogan s’est tourné vers
Moscou et que le pari sur le Front al-Nosra
avait échoué, sur le rôle du cabinet
spécialisé en droit des affaires de
Hillary Clinton dans la gestion des
intérêts de Fethullah Gulen aux USA et à
l'étranger, sur le rôle de la base d’Incirlik
et du commandant de la « US Central
Command ».
Si ces
informations sont confirmées, elles
pourraient expliquer l’échec du coup
d’État en Turquie et empêcher Hillary
Clinton de mettre à profit le dernier
quart d’heure du mandat d’Obama, malgré
les largesses financières de l’Arabie
saoudite et le soutien public d’Israël.
D’après des
observateurs à Moscou, ce qui se passe
actuellement dans le nord de la Syrie et
à Washington signifie que
l’Administration Obama s’est déjà
transformée en canard boiteux et que les
accords qu’elle aurait conclus ne sont
que de l’encre sur papier, étant donné
qu’elle ne peut les mettre à exécution,
ni même les protéger. C’est pourquoi,
mieux vaut laisser l’action militaire
sur le terrain décider du mot de la fin.
C’est
d’ailleurs le chemin suivi par les
Syriens, les Iraniens et le Hezbollah.
Moscou, qui les en a dissuadés à un
moment donné pour permettre à Washington
de se positionner sur le chemin d’une
entente politique, semble aujourd’hui
considérer que la Turquie est un
meilleur partenaire que Washington pour
une telle entente, et qu’une éventuelle
future administration Clinton est
indigne de confiance à moins de lui
arracher ses crocs.
Pour cela, il
faut écraser le Front al-Nosra, retarder
l’agenda de la guerre contre Daech et
laisser les interactions
turco-américaines découvrir le rôle
d’Hillary Clinton dans le coup d’État
raté en Turquie.
Nasser
Kandil
03 ;
04/07/2016
Sources :
Extraits à partir de deux articles d’Al-Binaa
http://www.al-binaa.com/?article=130889
http://www.al-binaa.com/?article=131095
Traduction
de l’arabe par Mouna Alno-Nakhal
Notes :
[1] « Les
Etats-Unis ont exprimé vendredi leur
très grand scepticisme sur l'ouverture
par le régime syrien de couloirs
humanitaires à Alep annoncée par la
Russie, le secrétaire d'Etat John Kerry
évoquant même une possible ruse de
Moscou… »
http://video.lefigaro.fr/figaro/video/syrie-washington-tres-sceptique-sur-des-couloirs-humanitaires-du-regime-a-alep/5064911418001/
[2] Le
canular d’Al-Qaïda en Syrie : le front
al-Nosra écarté. Un nouveau front est né
http://french.almanar.com.lb/adetails.php?fromval=1&cid=18&frid=18&eid=317381
[3] Syrie :
Hillary Clinton délogerait Bachar al-Assad
une fois élue
http://www.lopinion.fr/edition/international/syrie-hillary-clinton-delogerait-bachar-al-assad-fois-elue-107731
[4] La
coalition veut ouvrir un front contre
l'EI dans le sud de la Syrie
http://www.lefigaro.fr/flash-actu/2016/07/27/97001-20160727FILWWW00320-la-coalition-veut-ouvrir-un-front-contre-l-ei-dans-le-sud-de-la-syrie.php
Monsieur Nasser Kandil est libanais,
ancien député, Directeur de Top News-nasser-kandil,
et Rédacteur en chef du quotidien
libanais Al-Binaa
Le sommaire de Mouna Alno-Nakhal
Le
dossier Syrie
Les dernières mises à jour
|