THE CONVERSATION
Libye : comment sortir de l’impasse
Moncef Djaziri
Réouverture de l'ambassade d'Italie à
Tripoli, le 10 janvier 2017.
Mahmud Turkia/AFP
Lundi 30 janvier 2017
Source :
http://theconversation.com/L’Accord politique
de 2015 conçu pour faciliter la période
de transition et conduire à
l’élaboration d’une Constitution et à
l’élection d’un nouveau Parlement pose
aujourd’hui des problèmes d’application.
Pis, il n’a rien résolu. Depuis son
adoption, la Libye a progressivement
sombré dans un état de quasi-anarchie.
Le pouvoir que les puissances
occidentales ont aidé à s’installer à
Tripoli n’a toujours pas été légitimité.
Le premier ministre
Faïez Sarraj est contesté et n’exerce
aucune autorité réelle sur le pays. Le
Conseil présidentiel, pléthorique, qu’il
dirige est traversé par des conflits qui
l’entravent. Les institutions publiques
comme la Banque centrale libyenne ou
encore l’Entreprise nationale du pétrole
(ENA) sont paralysées et souffrent d’un
manque de leadership national légitime.
Ayant contribué à
l’élaboration de cet Accord politique,
l'ONU se trouve décrédibilisée et
l’actuel chef de mission des Nations
unies en Libye, Martin Kobler, lui non
plus, n’a plus guère d’autorité. Il
exerce peu d’influence et son image est
ternie en raison de la dégradation des
conditions économiques et sociales en
Libye qu’il n’a pas su endiguer. Sa
responsabilité se trouve ainsi engagée
et la question de son remplacement est
d’ailleurs régulièrement posée par les
autorités à l’est du pays qui refusent
de le recevoir.
Les trois
raisons de l’échec
L’analyse des
transitions démocratiques montre que,
dans plusieurs cas étudiés, l’Accord
politique constitue un moyen de gérer la
période transitionnelle en impliquant
les « modérés » et les « durs » dans un
processus de négociation leur permettant
de transcender leurs oppositions et de
dépasser leurs conflits. Cela suppose
une identification des vrais détenteurs
du pouvoir et la capacité de repérer les
acteurs influents en les faisant
travailler ensemble.
Dans le cas libyen,
l’Accord politique de Skhirat (Maroc) a
été élaboré selon des critères très
différents de ceux énoncés. Les parties
libyennes au dialogue, comme des membres
de partis politiques ou de représentants
des ONG libyennes censés d’incarner la
société civile, n’étaient en réalité pas
représentatives. Il s’agissait en fait
de personnes qui, pour la plupart,
n’avaient aucune légitimité ni de réels
pouvoirs dans la société. La grande
majorité d’entre elles avait sans doute
des compétences mais peu de poids
social, et ne disposait d’aucun réseau
social significatif ni de structure
d’influence. Les signataires de l’Accord
dans leur majorité n’ont engagé
qu’eux-mêmes et en aucune manière les
groupes influents en Libye. C’est la
première raison de l’inefficience de
l’Accord.
La seconde raison,
c’est la confusion et l’incohérence des
pouvoirs qu’il instaure. En effet, le
pouvoir exécutif est constitué d’un
Conseil présidentiel de neuf membres
avec un président et trois
vice-présidents, ainsi qu’un
gouvernement d’accord national (GAN). La
source de légitimité du pouvoir exécutif
n’est donc pas très claire. Ainsi nous
ne savons pas d’où procède le pouvoir
exécutif.
L’Accord de 2015
stipule que le « Conseil des ministres
exerce l’autorité exécutive et assure le
fonctionnement normal des institutions
publiques de l’État. Il établit et
exécute le programme du gouvernement,
propose des projets et élabore le
budget ». Mais, dans le même temps, le
président du Conseil présidentiel dirige
le Conseil des ministres et il est donc
premier ministre, poste qu’il cumule
avec celui de la Présidence du Conseil
présidentiel, fonction équivalente à
celle d’un chef d’État. Dans la
hiérarchie des pouvoirs, le Conseil
présidentiel et son président ainsi que
le GAN sont placés au-dessus du
Parlement de Tobrouk (est de la Libye).
Martin Kobler (à gauche) en discussion
avec le ministre libyen des Affaires
étrangères,
Mohamed Tahar Siala à Tripoli, le
8 janvier dernier.
Mahmud Turkia/AFP
La troisième
raison, la création d’un Haut Conseil
d’État (HCE), une deuxième Chambre à
côté du Parlement reconnu, instaure un
bicaméralisme « quasi-parfait » ou
« équilibré » – ce qui est inapproprié
dans le cas d’un pays profondément
divisé. Il suppose des démocraties
consensuelles, pacifiées et stables.
Dans le cas libyen, la société est loin
d’être pacifiée, le consensus est
inexistant entre les élites politiques
de l’Est et de l’Ouest et le pays n’est
pas stabilisé.
Dans une telle
perspective, la création du HCE, que
l’ONU a encouragée, complique davantage
le processus de transition démocratique
plutôt qu’elle ne le facilite. L’Accord
politique prévoit, par exemple, que le
Parlement de Tobrouk doit se concerter
avec le HCE pour toutes les décisions
importantes. C’est en particulier le cas
pour la nomination du gouverneur de la
Banque Centrale, du chef du Bureau des
audits, du chef du Contrôle
administratif, du chef de l’autorité
anticorruption, du chef de la Haute
Cour, du Procureur général.
Le Parlement doit
également se concerter avec le HCE pour
l’acceptation du gouvernement et la
nomination d’un premier ministre ou son
renvoi. Dans une société désorganisée,
où les groupes et les milices sont en
guerre, les mécanismes de navette entre
les deux Chambres instaurés par l’Accord
politique le rendent inapplicable, voire
générateur de conflits additionnels.
Comment sortir
de l’impasse actuelle ?
Depuis plus d’une
année, l’Accord politique de décembre
2015 a donc montré ses limites. Il n’a
toujours pas été approuvé par le
Parlement à Tobrouk et n’a donc aucune
légitimité. Au lieu de faciliter la
transition, il l’a compliqué davantage
et a aggravé la crise. Pour en sortir,
la communauté internationale doit se
rendre à l’évidence et accepter
d’amender cet Accord ou le repenser sur
de nouvelles bases.
D’abord, il faut
instaurer un nouveau dialogue
interlibyen impliquant la présence
d’acteurs représentatifs ayant un réel
pouvoir et une influence étendue sur
l’ensemble du territoire. Cela doit
concerner les représentants du pouvoir à
Tobrouk, y compris le Maréchal Haftar et
les grandes tribus de l’Est, de l’Ouest
et du Sud.
Il faut, ensuite,
adopter des mécanismes simplifiés et des
institutions cohérentes. L’exécutif doit
être incarné par un premier ministre et
un gouvernement légitimés par le
Parlement de Tobrouk (la Chambre des
Représentants) qui demeure, pour le
moment, la seule instance élue et
disposant de la légitimité issue des
urnes. Pour des raisons de gouvernance,
le Conseil présidentiel doit être
redimensionné et ses compétences et
attributions redéfinies et réduites pour
ne pas entrer en concurrence et en
conflit avec les compétences du Premier
ministre et du gouvernement.
Soldats de
l’armée nationale libyenne dans les
faubourgs de Benghazi, le 14 janvier
2017.
Abdullah
Doma/AFP
S’il est peut-être
judicieux d’avoir une institution
présidentielle aux côtés du
gouvernement, elle ne peut être
collégiale comme c’est le cas dans
l’Accord actuel. Il faut donc un
président et un vice-président, voire
deux vice-présidents choisis de manière
consensuelle et qui symbolisent la
représentation des trois entités
historiques du pays : Cyrénaïque, Fezzan
et Tripolitaine. Il faut surtout une
claire séparation des fonctions et des
organes entre le Conseil présidentiel et
le gouvernement. Le Conseil
présidentiel, dont la présidence doit
être tournante, ne peut avoir qu’une
fonction essentiellement de
représentation de l’État libyen.
Par ailleurs, les
compétences du Haut Conseil d’État (HCE)
doivent être redéfinies afin qu’elles
soient cohérentes avec ce que devrait
être sa stricte et exclusive fonction
consultative. La Libye ne peut
supporter, sans graves dommages, un
« bicaméralisme équilibré », comme celui
résultant de l’Accord de 2015. Enfin,
c’est à la Chambre des Représentants de
Tobrouk de nommer le Commandant en chef
de l’armée, conformément à la logique du
système parlementaire qui est en
filigrane dans l’Accord. A moins qu’on
veuille aller vers un système
présidentiel, auquel cas il faudra un
président élu au suffrage universel et
qui peut alors disposer du Commandement
en chef des forces armées et en nommer
le chef. Cela implique d’amender
l’Accord actuel.
Initiative
tripartite
La communauté
internationale et l’ONU persistent à
considérer l’Accord de 2015 comme étant
la seule solution de sortie du marasme
actuel. Or, les divisions et les
violences quotidiennes montrent que la
crise ne fait que s’aggraver et le rejet
de l’Accord s’amplifier – ce qui
contraste avec l’unanimisme d’apparence
autour de ce pacte, qui a été récemment
relégitimé par l’ONU.
Néanmoins,
différentes pressions s’exercent
actuellement de l’intérieur et de
l’extérieur pour amender cet Accord et
le rendre acceptable par le Parlement de
Tobrouk, les tribus de l’Est et par le
Maréchal Haftar, désigné Commandant en
chef de l’armée nationale libyenne par
la Chambre des Représentants de Tobrouk.
Des tentatives de dialogue à l’intérieur
du pays sont entreprises en vue de
réformer l’Accord.
Au niveau
international, des efforts sont déployés
par les pays voisins de la Libye pour
l’aider à y introduire des modifications
afin de rendre l’Accord acceptable à
l’Est, comme à l’Ouest et au Sud, et
donc enfin applicable. L’initiative
récente tripartite (Algérie, Egypte et
Tunisie), qui doit déboucher très
prochainement sur un sommet des chefs
d’État de ces pays, est l’un des signes
indiquant qu’un processus est en cours
en vue d’une réforme de l’Accord de
2015.
C’est là la seule
issue pacifique et négociée à la crise
et l’unique moyen de sortir de l’impasse
actuelle qui, si elle devait persister,
plongerait le pays dans une vraie une
guerre civile dont les prémices existent
déjà. Etant donné les risques de
désintégration du pays et des menaces de
l’État islamique Daesch qui persistent
en dépit de sa défaite relative à Syrte,
il est urgent d’aller vers des
modifications très substantielles de
l’Accord politique de Skhirat.
Moncef Djaziri
Enseignant-chercheur in Libyan politics, University of Lausanne
Le dossier
Libye
Les dernières mises à jour
|