Algérie résistance
Le prisonnier X,
une histoire australienne du Mossad
Mohsen Abdelmoumen
L’agent du
Mossad Ben Zygier. D.R.
Samedi 29 novembre 2014
Savez-vous que l’Australie autorise
ses citoyens à changer quatre fois par
an leur nom sur leur passeport, ce qui
leur permet de créer à chaque fois une
nouvelle identité et un nouveau
passeport ? Le cas de l’agent du Mossad
Ben Zygier, assassiné dans les geôles
israéliennes, nous renseigne sur le
degré de délabrement du système
australien et constitue un fait inédit
dans l’histoire de l’identification des
ressortissants d’un pays. Zygier a été
recruté par le Mossad et grâce à ses
quatre passeports australiens, chacun
portant un nom différent (Ben Zygier,
Ben Allen, Ben Alon, Benjamin Burrows),
il a pu espionner pour le compte du
Mossad. L’affaire Zygier met à jour un
énorme scandale : l’utilisation par le
Mossad de passeports australiens
renouvelables sous des noms différents,
ce qui lui permet d’accomplir des
assassinats et autres basses besognes
avec la complicité de Juifs possédant la
double nationalité australienne et
israélienne. Selon la presse
australienne, Zygier s’apprêtait à
révéler les abus et autres opérations
mafieuses du Mossad dans l’utilisation
de ces passeports pour ses agents.
C’est ce qui l’a tué.
Depuis ces révélations, les
détenteurs de passeports australiens,
surtout ceux qui visitent des pays
ennemis d’Israël (Syrie, Liban, Iran…)
sont des suspects potentiels. Les
changements de noms sur les passeports
de Zygier ne sont pas passés inaperçus
des services de renseignements
australiens (ASIO) qui l’avaient
questionné notamment sur ses activités
dans des pays comme le Liban et l’Iran
où il a pu séjourner grâce à ses
multiples passeports. L’ASIO suspectait
Zygier d’espionner pour le compte du
Mossad de même que trois autres Juifs
australiens binationaux qui avaient
émigré en Israël pendant la dernière
décennie. Ces derniers étaient également
retournés en Australie pour changer
leurs noms sur leurs passeports et ainsi
en obtenir de nouveaux. D’après The
Sydney Morning Herald et autres
médias, l’ASIO suspectait Zygier de
vouloir révéler des informations sur les
modes opératoires du Mossad, notamment
sur l’utilisation de passeports
étrangers comme ceux d’Australie, soit
au gouvernement australien soit aux
médias, avant qu’il ne soit kidnappé et
ramené manu militari en Israël,
emprisonné et liquidé quelques mois plus
tard. Selon un officier des
renseignements australiens dont les
paroles ont été reprises par Fairfax
Media, Mr Zygier » pourrait
avoir été sur le point de faire des
révélations mais il n’en a jamais eu la
possibilité ».
Huit jours après la révélation par la
police de Dubaï que des agents du Mossad
suspectés d’avoir assassiné un
responsable du Hamas avaient utilisé des
passeports australiens, le Mossad a
informé l’ASIO de l’arrestation de
Zygier sans fournir les détails des
charges portées contre lui. A l’époque,
les relations entre l’Australie et
Israël étaient très tendues à cause de
cette utilisation de passeports
australiens pour l’assassinat d’un des
commandants du Hamas, Mahmoud
al-Mabhouh, à Dubaï. Le responsable du
bureau de liaison de l’ASIO à Tel Aviv
avait été prévenu de l’emprisonnement de
Zygier par le Shin Bet. L’agent a pu
être victime d’un règlement de compte
entre les services de renseignements
australiens et le Mossad, car
l’Australie furieuse de l’utilisation
frauduleuse de ses passeports par les
tueurs du Mossad avait expulsé en Mai
2010 le conseiller de l’ambassade
israélienne Eli Elkoubi qui était
également officier du Mossad à
l’étranger. Tel Aviv s’était plaint que
le nom et la fonction d’Elkoubi au sein
du Mossad aient été dévoilés et publiés
dans le journal Canberra Times. Autrement
dit, l’Australie avait décidé de griller
l’un des hauts officiers du Mossad.
Ben Zygier a changé de nom et de
passeport à trois reprises. Parmi les
trois autres Australiens devenus
également Israéliens et sous
surveillance de l’ASIO, l’un avait
changé d’identité également trois foi,
et les autres à deux reprises, tous
optant pour des noms à consonance
anglo-australienne au lieu de juive
européenne. A l’évidence, cela leur
permettait de ne pas être suspectés et
refoulés dans des pays arabes et ou
musulmans, Dans chacun des cas, ces
hommes avaient utilisé leurs nouveaux
passeports pour se rendre en Iran, en
Syrie, au Liban, soit des pays qui ne
reconnaissent pas Israël ou refusent
l’entrée à quiconque présente un
passeport portant un tampon de séjour en
Israël.
L’agence australienne Fairfax
Media qui a suivi de près toutes
ces affaires de passeports, avait
enquêté sur ces hommes et sur leurs
liens avec une société européenne qui
vendait du matériel électronique en Iran
et qui servait de couverture pour les
activités d’espionnage du Mossad. Ce qui
a fait dire aux médias israéliens que
l’Iran allait pouvoir désormais remonter
la filière et démasquer les
espions. Toujours selon l’agence, Zygier
était entré en Australie en 2009 sous
prétexte d’obtenir un MBA à l’université
Monash et avait noué relation avec un
groupe d’étudiants d’Arabie Saoudite et
d’Iran sur le campus universitaire
Caulfield. Idem pour les trois autres
binationaux évoqués ci-dessus qui
travaillaient aussi pour le Mossad. Un
officier des renseignements israéliens
avait déclaré à Fairfax en
2010, lors de l’affaire de Dubaï, qu’il
est notoire que le Mossad contacte des
Juifs venus s’installer en Israël
afin qu’ils l’aident en lui confiant
leurs passeports. « Leurs noms sont
utilisés plus tard mais les personnes
elles-mêmes ne sont pas impliquées » avait
t-il expliqué. Ce n’était pas le cas de
Zygier qui était sous surveillance de
l’ASIO depuis au moins six mois avant
l’assassinat de Dubaï.
Selon la TV australienne ABC,
Zygier aurait fourni des informations à
l’ASIO sur différents plans du Mossad,
dont une importante opération en Italie.
C’est probablement pour avoir été
« retourné » par l’ASIO que le Mossad a
« suicidé » Zygier en 2010 et que
l’Australie, soutien inconditionnel au
régime sioniste, n’a rien fait pour le
sortir de prison. Par ailleurs, le site
du CRIF, affichait que »
L’Allemagne a proposé ses services
consulaires aux ressortissants
israéliens qui se heurteraient à des
difficultés dans les pays avec lesquels
Israël n’a pas de relations
diplomatiques ». Est-ce à dire que
l’Allemagne serait prête à fournir une
couverture diplomatique aux
« ressortissants israéliens » agents du
Mossad qui ne disposent pas d’une double
nationalité, comme c’était le cas de Ben
Zygier et d’autres ?
Dans une interview avec la chaîne
australienne ABC, l’ancien
ministre des Affaires étrangères
australien Alexandre Downer a déclaré à
l’époque que « Ben Zygier aurait
commis un acte qui lui aurait valu une
telle peine », notant qu « il
avait dans le temps (dans les années
2005-2007) dévoilé l’utilisation par le
Mossad de passeports australiens vrai et
faux et qu’Israël avait reçu des
avertissements à cet égard « .
Toujours selon ABC, « Ben
Zygier avait coopéré avec l’intelligence
australienne et fourni des détails sur
les opérations du Mossad, notamment une
opération de grande envergure en Italie
qui se préparait depuis des années « .
La famille de Ben Zygier avait rompu
le silence en contactant le
correspondant du quotidien israélien
le Yediot Ahronot pour dire « qu’elle
exige qu’Israël révèle toute la vérité
et qu’elle attendait la publication des
résultats de la commission d’enquête
israélienne avec impatience ». Le
ministre de la sécurité intérieure
israélien Yitzhak Aharonovitch avait
alors assuré « qu’aucun prisonnier
X, c’est-à-dire détenu sous un faux nom,
n’est actuellement emprisonné en
Israël ». « Il n’y a pas de détenus
anonymes en Israël » avait affirmé
le ministre dont les propos avaient été
diffusés par la radio publique
israélienne. D’après lui, « il y a
une supervision appropriée (sur les
prisons), la loi est respectée, il y a
également un grand souci pour la
sécurité de l’Etat d’Israël qui mène
parfois des actions secrètes pour se
protéger ». Le quotidien Maariv,
citant des responsables des services
pénitentiaires, a affirmé pour sa part
que Ben Zygier se serait pendu à l’aide
de draps dans les toilettes de sa
cellule qui n’était pas équipée de
caméras, précisant que les services
pénitentiaires n’ont pas été informés
d’éventuelles « tendances suicidaires »
du détenu. M. Aharonovitch, chargé des
services pénitentiaires, avait réaffirmé
que le rapport sur le décès de Ben
Zygier rédigé par une juge avait conclu
à son suicide. « Il est possible que
ce rapport soit rendu public
prochainement dans sa totalité ou
partiellement », avait ajouté le
ministre. Notons par ailleurs que le
même ministre, après avoir déclaré qu’il
n’y avait pas prisonnier X dans les
prisons israéliennes, s’était contredit
avec brio en affirmant que Ben Zygier
avait accepté d’être détenu sous un faux
nom afin de protéger la sécurité
nationale et sa famille. Il avait
également consenti à l’ordre
d’interdiction de publication sur son
affaire, qui a été ensuite confirmé par
l’ancienne présidente de la Cour suprême
israélienne Dorit Beinish. Rappelons que
les médias israéliens avaient auparavant
révélé que Ben Zygier n’était pas le
seul détenu X en « Israël » !
Au vu des conséquences de ce scandale
gigantesque, peut-on se targuer d’une
quelconque politique de coordination de
la lutte antiterroriste à travers le
monde, sachant que certains Etats
offrent des passeports à volonté à leurs
citoyens ? L’Australie nous démontre les
défaillances de son système et son
impact néfaste sur la sécurité mondiale.
Nous devons attirer l’attention des
autorités algériennes sur ce précédent
dangereux pour notre sécurité tout en
sachant que notre pays ne reconnaît pas
l’Etat d’Israël et on se demande si nous
n’avons pas déjà été ciblés par cette
grande opération du Mossad. Nous
n’arrêterons jamais de réclamer une
vigilance implacable, notamment sur
l’utilisation des passeports australiens
à des fins de déstabilisation des Etats
et l’Algérie devrait contrôler
rigoureusement dans ses points d’accès
au territoire, tout individu porteur
d’un passeport australien pouvant
s’avérer être un agent du Mossad. Comme
dit le proverbe australien: Le repas
de l’un est poison pour l’autre.
Mohsen Abdelmoumen
Published on Oximity, November 29,
2014:https://www.oximity.com/article/Le-prisonnier-X-une-histoire-australie-1?faid=512983
Reçu de l'auteur pour publication
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