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Algérie Résistance

Le Dr. Ghania Ait-Ghezala: « Notre chère Algérie
pense que nous sommes des sous-citoyens »

Mohsen Abdelmoumen


Le Dr. Ghania Ait-Ghezala. DR.

Lundi 22 février 2016

Mohsen Abdelmoumen: Vous êtes une brillante chercheuse en biologie moléculaire, pouvons-nous avoir une idée de l’impact de vos recherches dans le domaine de la santé?

Dr. Ghania Ait-Ghezala : L’impact de mon travail sur la santé est un peu difficile à déterminer et je vais revenir un peu en arrière, au temps où j’ai fait mon PhD. J’ai fait mon doctorat en France, à Paris, et mon travail de recherche portait principalement sur la trisomie 21. Je faisais partie d’une équipe qui avait établi la cartographie de la région principale qui est responsable de la plupart des signes de la trisomie 21 et qui s’appelle la DCR (Down syndrome Critical Region). J’ai passé presque six ans à travailler sur cette région et j’ai fait plusieurs publications dont la plus importante concernait la description de tous les gènes qui sont contenus dans cette région. Ainsi, certains de ces gènes sont maintenant connus pour être responsables des signes de la maladie, notamment tout ce qui est cardiaque. Mon travail a été récompensé par la fondation française pour la recherche sur la trisomie 21, et j’ai été une des premières, une Algérienne, à recevoir ce prix.

Dès que j’ai eu fini mon PhD, j’ai été contactée par un laboratoire aux États-Unis qui travaillait sur la maladie d’Alzheimer. Pour moi, c’était une transition évidente étant donné que l’un des gènes qui est responsable des formes familiales de la maladie d’Alzheimer se trouve sur le chromosome 21 qui est aussi un des chromosomes présent en trois copies dans la trisomie 21. En outre, 100% des trisomiques finissent par développer un Alzheimer. La connexion est donc incontestable. J’ai décidé d’accepter la proposition et j’ai pris ma valise pour venir aux États-Unis.

Initialement, je faisais de la recherche sur la maladie d’Alzheimer, mais il existait un projet très important et ils n’avaient personne pour le conduire. Ce projet concernait les enfants atteints du syndrome de Tourette. Plusieurs familles souffrant du syndrome avaient une translocation chromosomique et il n’y avait personne pour cartographier cette région afin d’essayer d’identifier le gène responsable du syndrome de Tourette. Je m’en suis donc chargée. J’ai commencé par cartographier la région et le travail a été publié. En outre, j’ai isolé un gène dans cette région. Le rapport n’a pas encore été publié parce qu’on essaie de finaliser le travail en essayant de comprendre ce qui se passe, non seulement au niveau du gène, mais au niveau de la protéine, donc cela prend pas mal de temps.

Je continuais à travailler sur la maladie d’Alzheimer et je m’intéressais principalement à tout ce qui était neuro-inflammation, donc l’inflammation au niveau du cerveau, et j’ai publié plusieurs travaux à ce sujet. Comme je me concentrais principalement sur la maladie d’Alzheimer, je voulais élargir un peu mon horizon et intégrer toutes les conditions où il y avait un phénomène de neuro-inflammation, par exemple le traumatisme crânien.

Pendant les années 2010 où la crise économique a touché tout le monde, il fallait trouver d’autres moyens pour financer la recherche. À cette époque, le département de la Défense des États-Unis avait réservé des fonds pour la recherche pour comprendre les causes de ce qu’il appelle le Gulf War syndrome et qui touche les militaires qui ont participé à la première guerre du Golfe en 1990-91 et dont les signes cliniques montraient qu’ils avaient peut-être une inflammation du cerveau. J’ai donc fait une demande pour des fonds au département de la Défense pour travailler sur le sujet, une demande qui m’a été accordée et j’ai travaillé quelques années dans ce domaine. Deux papiers ont été publiés et trois autres sont en cours, montrant que les symptômes sont liés principalement à un dysfonctionnement de la mitochondrie, une organelle qui produit l’énergie nécessaire au bon fonctionnement des cellules. Il y a donc une dysfonction au niveau de cette organelle et aussi une neuro-inflammation, due à un système immunitaire dysfonctionnel. Après quelques années de travaux dans ce domaine, le département de la Défense m’a invitée à leur soumettre un autre projet pour continuer ma recherche. J’attends leur réponse.

Tous ces détails vous expliquent quels sont les domaines de recherche dans lesquels je suis impliquée. Concernant la maladie d’Alzheimer, et c’est sans doute l’un de mes plus grands accomplissements, les travaux que j’ai effectués avec mes collègues à l’Institut Roskamp ont mené à développer un médicament qui est actuellement testé en phase 3 en Europe. Ce médicament permet de traiter la maladie d’Alzheimer, donc je suis très fière de faire partie de l’équipe qui a permis cela. Les accomplissements scientifiques sont dus principalement au fait qu’ici aux États-Unis, ce qui est important, ce sont les compétences, et non la provenance, l’ethnie, ou l’âge, et je me considère comme une jeune scientifique. Récemment, l’Institut dont je fais partie, toujours dans le sens de trouver des fonds pour financer la recherche, a créé une succursale chargée de générer des fonds pour la recherche. Nous avons essayé de voir quel était le domaine susceptible de nous permettre un autofinancement. Aux États-Unis, tout ce qui OGM n’est pas régulé ni légiféré, les entreprises font ce qu’elles veulent, il n’y a aucune obligation à indiquer la teneur ou non d’OGM dans les produits, mais les choses commencent à changer. Cependant, il y a très peu de laboratoires qui testent les OGM ici aux États-Unis. Pour tester les OGM, il faut avoir une certification internationale qu’on appelle ISO 17025 qui définit les normes internationales. Comme je suis généticienne, on m’a donné les fonds et les moyens, et je viens de recevoir l’accréditation ISO me permettant de faire ces tests sur les OGM. Donc, en plus de ma recherche scientifique, j’essaie de me diversifier. Ces dernières années, je me suis de plus en plus intéressée à tout ce qui est suppléments alimentaires, vitamines, etc. Les apports supplémentaires font presque partie de la tradition et sont très populaires ici aux États-Unis, parce que les gens n’ont pas nécessairement une bonne hygiène de vie, et que l’obésité est un problème très important ici, et souvent souffrent de carences. À l’institut, nous testons ces suppléments et vérifions qu’ils contiennent bien ce qu’ils sont supposés contenir et testons leur activité.

Non seulement, votre travail de recherche a un impact sur la santé, mais aussi sur la nutrition, ce qui est important. Vous avez été formée initialement dans une université algérienne, est-ce que cela a été facile pour vous d’intégrer la recherche scientifique aux États-Unis ?

J’ai effectivement été formée initialement en Algérie. Avant que j’arrive aux États-Unis, j’ai fait un passage à Paris. J’imagine que la plupart des scientifiques algériens aux États-Unis font un petit passage à Paris, et j’ai eu mon PhD en France. Peut-être que la transition Algérie-France à été plus facile pour moi étant donné que j’avais fait le choix déjà très jeune de faire de la recherche. Je savais que la recherche en Algérie était très précaire. J’ai donc décidé de faire mon projet de recherche pour mon ingéniorat en France.

Dans quelle université ?

J’étais à Paris VII. Avant même que je finisse Bab Ezzouar, je suis partie un mois en France pour prospecter, je n’ai pas trouvé de laboratoire et je suis revenue en Algérie. J’étais cependant déterminée. Quelques mois après, j’ai décidé de faire une autre tentative. Je suis encore partie en France pour un mois, j’ai fait du porte-à-porte mais je suis encore revenue bredouille. Je suis retournée une troisième fois en France et la semaine où je devais rentrer en Algérie, quelqu’un m’a mise en contact avec un laboratoire. Je suis allée à mon interview et ils m’ont donné toute une pile de papiers à lire sans me dire ni oui ni non. Et donc, avant que l’interview ne se termine, je leur ai dit que je devais retourner en Algérie et que s’ils étaient intéressés à ce que je fasse mon stage chez eux, ils devaient me le dire maintenant. Ils m’ont acceptée et je suis repartie en Algérie pour dire à mes parents que j’avais trouvé un stage. Au départ, ils n’étaient pas contents, mais je suis repartie pour neuf mois en France. J’étais autofinancée, je travaillais sur le côté et j’avais la chance d’être accueillie par ma sœur et mon beau-frère pendant la durée de mon stage. Pendant mon stage, j’ai envoyé mon dossier à plusieurs PhD et j’ai été choisie pour un doctorat qui m’intéressait. Après mon stage, je suis retournée en Algérie où j’ai effectué ma soutenance et je suis revenue en France pour faire mon doctorat. Comme je l’ai dit auparavant, une fois mon doctorat terminé, un laboratoire aux États-Unis a manifesté de l’intérêt pour mon profil, ils m’ont contactée et je suis partie. Ce qui a été difficile au départ n’avait rien à voir avec mes compétences, mais était d’ordre personnel. Je souffrais d’être éloignée de ma famille, d’être seule aux États-Unis. Ce n’était pas comme quitter l’Algérie pour la France qui est à deux heures de vol. Venir aux États-Unis était plus difficile au sens personnel, et non professionnel.

Comment s’est passé l’intégration ?

Aux États-Unis, on ne vous demande pas d’où vous venez du moment que vous êtes compétent. Le mot intégration n’est presque pas un mot valide ici, comparé à la France. En France, dès qu’on envoie un dossier ou que le mot « algérien » intervient, il y a une sorte de réticence, alors qu’ici aux États-Unis, je n’ai jamais été confrontée à une situation où ma nationalité a été mise en question, et il y a seize ans que je vis ici.

Pourquoi avez-vous choisi les États-Unis comme destination ? Est-ce pour pouvoir continuer vos recherches ou est-ce un choix d’une autre nature ?

Cela a été un choix purement scientifique. J’étais heureuse lors de mon séjour en France, le laboratoire avec lequel je travaillais était content de mon travail, mais j’avais conscience que si je voulais progresser dans le domaine de la science, il fallait que je maîtrise la langue de la science, c’est-à-dire l’anglais. Quel est le meilleur moyen d’apprendre l’anglais si ce n’est de vivre dans un pays où on le parle ? C’était donc un choix dans ce sens-là. Pour moi, il était important que je maîtrise l’anglais aussi bien que le français. J’arrivais à lire et à écrire des articles en anglais, mais je ne pouvais pas tenir une conversation. Par exemple, lorsque j’étais en France, aller à des congrès internationaux et présenter mes travaux en anglais était un handicap et je sentais que c’était quelque chose qui me retenait en arrière. J’ai décidé qu’il fallait que j’élimine cet obstacle. Donc, venir aux USA est devenu un choix facile.

En tant que scientifique algérienne, l’accueil aux États-Unis a-t-il été à la hauteur de vos attentes, tant sur le plan académique que sur le plan personnel ?

En fait, je n’attendais rien parce que mon objectif initial n’était pas de rester aux États-Unis. Je pensais rester les trois ans que couvraient mon contrat, apprendre la langue, la maîtriser, et revenir peut-être en Europe. Mon objectif était de maîtriser la langue et d’apprendre de nouvelles choses. On m’a fait venir aux États-Unis sur base de mes capacités scientifiques et de ma maîtrise de la génétique, donc, au départ, je n’ai pas appris de nouvelles techniques, c’est moi qui suis venue avec un apport dans le laboratoire qui m’a accueillie.

Vous étiez la valeur ajoutée, en quelque sorte. Vous n’étiez pas là pour vous former mais pour apporter vos connaissances.

Donc, je n’avais pas d’attente particulière, mais quand je suis arrivée, j’ai réalisé la différence entre le budget consacré à la recherche ici aux États-Unis et celui alloué à un laboratoire moyen en France. La différence était tellement énorme que c’en était une agréable surprise. Au point de vue personnel, le laboratoire qui m’a accueillie est en quelque sorte devenu ma seconde famille étant donné que j’étais seule ici aux États-Unis.

Pensez-vous que si vous étiez restée en Algérie, vous auriez pu concrétiser les recherches que vous menez actuellement et dans lesquelles vous êtes spécialisée ?

C’est triste à dire mais la réponse est non, je n’aurais jamais atteint le degré de connaissances que j’ai maintenant. Je n’aurais peut-être jamais publié, je ne me serais pas sentie aussi utile au point de vue scientifique et des travaux que je réalise. J’aurais sans doute fait du sur-place en Algérie. C’est désolant de dire cela mais je vois des collègues qui ont fait la Fac avec moi et qui n’ont pas eu la même opportunité. Bien sûr, je n’ai pas attendu que l’opportunité vienne à moi, j’ai travaillé pour qu’elle se réalise et je n’ai pas eu peur de pousser des portes. C’est malheureux, mais la recherche en Algérie n’est pas développée, et encore moins à l’époque où je suis partie. Je ne sais pas quel est l’état de la recherche actuelle mais cela aurait été regrettable de perdre mon potentiel si j’étais restée en Algérie.

Quel que soit le pays dans le monde, est-ce l’investissement humain qui importe ou plutôt les moyens matériels, ou bien les deux à la fois ?

Je pense que c’est principalement l’investissement humain. Quand on investit dans l’humain, le matériel suit. Si l’on passait plus de temps à investir dans le potentiel humain, que ce soit en Algérie ou quel que soit le pays, le reste suivrait. On voit nettement la progression des pays qui investissent dans leur potentiel humain et l’encouragent, en comparaison de l’Algérie où le potentiel humain est dénigré. Si l’on investit dans le potentiel humain, tout ce qui est financier suivra, parce qu’investir dans l’humain fait qu’immanquablement, le lucratif vient ensuite.

Avez-vous entendu parler d’un changement constitutionnel récent dans votre pays natal l’Algérie ?

Malheureusement oui, j’ai entendu parler de l’article 51. D’une part, cet article est en contradiction avec plusieurs articles de la Constitution, notamment les articles 24, 29, 61, qui disent tous qu’il n’y a pas de discrimination entre les citoyens algériens, que l’identité des citoyens algériens est un renforcement de leurs liens avec la nation, ces différents articles parlant de l’égalité entre les citoyens, de leurs devoirs, etc. et l’on nous sort un article 51 qui nous traite de sous-citoyens. Bref, j’ai tous les devoirs mais aucun avantage. Je rejoins beaucoup de nos compatriotes qui se sont exprimés. Je n’ai ni l’intention ni l’envie de postuler une position-clé en Algérie, tout ce que je veux c’est de voir l’Algérie, mon pays, progresser, être compétitif au même titre que n’importe quel pays, et si mon apport intellectuel peut l’aider à progresser, je l’offrirai avec plaisir sans que l’article 51 dicte ce que je dois ou ne dois pas faire en tant que citoyenne algérienne.

Qualifieriez-vous cet article d’aberration sachant que dans toutes les Constitutions du monde, on dit que tous les citoyens sont égaux ?

Je considère que cet article est méprisable. Il est humiliant de penser que l’Algérie dans l’état actuel n’a pas besoin des capacités algériennes qui sont à l’étranger, qui se sont trouvées, qui occupent des postes importants aux États-Unis, en France, en Belgique, au Canada, peu importe le pays où elles/ils se trouvent, qui sont consultées par des organismes nationaux de ces différents pays, mais notre chère Algérie pense que nous sommes des sous-citoyens et qu’on n’a rien à apporter à notre pays.

Es-ce que cet article 51 qui prive les compétences algériennes installées à l’étranger d’obtenir des postes à responsabilité vous concerne ?

Personnellement, je n’ai aucune aspiration pour occuper un poste important en Algérie, mais j’ai l’impression que l’on met en cause ma citoyenneté et mes valeurs, comme si j’étais devenue une Algérienne que l’on peut jeter parce qu’on en n’a pas besoin, ou parce que je suis une menace. Je ne sais pas. D’une part, cela ne me concerne pas parce que je n’ai pas l’intention d’occuper un poste important, d’autre part, cela met en cause ma citoyenneté et mon amour pour l’Algérie. Mes sentiments sont un peu mitigés.

Pourquoi ce pouvoir, ce gouvernement ou ce système politique algérien a-t-il peur de l’immigration algérienne installée à l’étranger ?

J’aurais du mal à répondre à cette question et j’ose espérer que ce n’est pas le cas. Mais j’imagine que l’on veut encourager la médiocrité. Une nation qui n’évolue pas sera toujours médiocre et sera un peu plus manipulable, acceptera plus l’injustice, contrairement à un peuple qui fait appel à ses compétences pour changer le pays, pour le ramener à des valeurs qui sont égales à n’importe quel autre pays au monde, qui soit compétitif, surtout que nous sommes à une ère de mondialisation. Si l’on veut être compétitif, il faut utiliser tous les moyens qui sont à notre disposition, et il y a des milliers et des milliers d’intellectuels algériens à l’étranger qui sont prêts à aider leur pays, mais malheureusement, on ne le leur permet pas.

Croyez-vous que des pays qui marginalisent leurs compétences à l’étranger peuvent effectuer un décollage quelconque, que ce soit dans le domaine scientifique ou autre ?

Étant donné l’article 51, j’espère qu’ils pourront le faire sans les compétences algériennes établies à l’étranger, ce dont je doute fort. S’ils peuvent le faire, tant mieux, mais dans l’état actuel des choses, et je ne suis pas en train de dénigrer mes collègues intellectuels qui sont toujours en Algérie, loin de là, on a besoin de toutes nos compétences, indépendamment de leur localisation géographique. On peut apprendre à tout âge, on peut apprendre de n’importe qui, et c’est peut-être l’une des valeurs les plus importantes que j’ai apprises ici, aux États-Unis, c’est qu’on apprend tous les jours, on n’a jamais fini d’apprendre. Alors qu’en Algérie, on sait tout, on a tout appris, personne ne peut nous apprendre quoi que ce soit, ce qui est une erreur majeure.

Si l’État algérien faisait appel à vos compétences, seriez-vous partante ?

Je serais partante comme j’ai été partante il y a quelques années quand ils ont invité une quinzaine d’Algériens installés aux États-Unis spécialisés dans plusieurs domaines de la science. Il y avait des biologistes, des chimistes, des mathématiciens, des physiciens, tous des scientifiques de très haut calibre. Nous avons passé trois jours en Algérie, nous avons fait des conférences, établi des projets mais cela fait maintenant cinq ou six ans, voire plus, et rien ne s’est concrétisé. Si mon pays fait appel à moi, je serais plus que contente d’aider mais j’aimerais qu’on ne me fasse pas perdre mon temps et qu’on ait vraiment besoin de moi, qu’on écoute mes recommandations parce que je suis spécialiste dans mon domaine. Si je suis dans une session de consultation avec un organisme aux États-Unis qui demande mon avis, on m’écoute et prend en considération mes recommandations en tant que spécialiste de mon domaine. J’aimerais que l’Algérie me témoigne le même respect que celui que je connais ici. Je fais partie d’Algerian American Foundation for Culture, Education, Science and Technology (la Fondation des Algériens Américains pour la Culture, l’Education, la Science et la Technologie). On essaie de tisser des liens avec l’Algérie, on a essayé par les canaux officiels, par le Gouvernement, mais les choses n’ont pas bougé, maintenant on essaie d’être directement en contact avec nos compatriotes intellectuels en Algérie, pour développer des projets et tisser des liens. On peut les recevoir, les aider, etc.

Donc, malgré l’article 51 et la stigmatisation de l’immigration, malgré ce qu’ils ont fait, vous êtes quand même prête à tendre la main ?

Tout à fait. L’année où j’ai décidé de partir d’Algérie, mon rêve était d’aller faire un doctorat en France, les États-Unis n’étant même pas dans mon radar, et de revenir enseigner en Algérie, de revenir à Bab Ezzouar, l’université qui m’avait formée. Mais pendant ces six années de mon PhD, je voyais comment les choses se dégradaient. Je suis partie pendant la décennie noire, donc l’idée de revenir a pratiquement disparu. Et puis, je trouvais un peu hypocrite de devoir valider mes diplômes français en Algérie pour avoir un poste.

Ils vous ont demandé de valider en Algérie vos diplômes obtenus en France ?

Oui. J’imagine qu’ils veulent faire le même traitement que la France qui veut que les diplômes algériens soient validés en France. J’aurais aimé, mais vu les conditions et le climat politique à l’époque, l’idée de rentrer en Algérie n’était plus une priorité, mais plutôt la maîtrise de la langue anglaise. Peut-être qu’un jour je rentrerai en Algérie si l’occasion se présente et que les conditions idéales sont réunies. Je suis prête à rentrer à condition d’apporter quelque chose de positif.

Vous êtes prête à rentrer même s’ils vous mettent dans un bureau quelconque, dans, par exemple, la wilaya d’Adrar ?

Si l’occasion se présente pour moi de rentrer et si je décide de rentrer, il faudrait que ce soit dans mon domaine, que je puisse apporter quelque chose de positif dans le domaine de la recherche. Tout ce qui touche aux maladies neurodégénératives qui sont complètement ignorées en Algérie, les maladies d’Alzheimer, de Parkinson, les traumatismes crâniens. Je n’ai pas envie de me retrouver dans un bureau mais plutôt dans un laboratoire, dans les hôpitaux, là où je peux vraiment être utile. Donc, si l’occasion se présente pour moi de rentrer en Algérie, ce sera pour apporter une plus-value, apporter mon expertise.

Avec un parcours de scientifique aussi riche, comment voyez-vous l’Algérie d’aujourd’hui ?

Il y a environ quatre ans que je n’y suis pas allée. J’envisage de partir là-bas au mois d’avril donc, j’en saurai plus à ce moment-là. Mais si je devais comparer l’Algérie à une personne, je dirais qu’elle essaie d’arranger l’aspect extérieur alors qu’elle souffre d’une maladie intérieure grave. On essaie d’embellir Alger, notamment en construisant des édifices énormes, alors qu’il existe des problèmes à résoudre beaucoup plus importants. Avant d’édifier une super grande mosquée, le théâtre d’Alger, toutes ces choses qui sont à mes yeux dérisoires, il y a des problèmes plus importants. Notamment apporter des changements en matière d’éducation, du système de santé, de transport, d’hygiène dans la ville d’Alger, etc. Je parle d’Alger étant donné que c’est là où je vais quand je suis en Algérie. Toutes ces constructions n’ont pas lieu d’être et ne sont pas d’une importance capitale même si Alger pourrait être un peu plus belle et attractive, mais il y a des priorités. Il faut que l’Algérie commence à penser à ses priorités.

Les dirigeants actuels de l’Algérie éprouvent une véritable fascination pour la France alors que d’autres pays existent, et vous êtes l’exemple de quelqu’un qui fait une carrière brillante aux États-Unis. Comment expliquez-vous que l’on puisse s’enfermer dans une sorte de cloisonnement alors que le monde est vaste ? À votre avis, pourquoi les dirigeants algériens se focalisent-ils sur la France qui n’est pas aussi importante et compétitive que d’autres pays ?

J’imagine qu’il s’agit d’un complexe relatif à la Guerre d’Indépendance. Nos dirigeants actuels proviennent de cette génération et n‘ont peut-être jamais réussi à couper le cordon ombilical. Honnêtement, quand je pense à l’Algérie, je nourris beaucoup d’espoir par rapport aux nouvelles générations. J’y vois beaucoup de potentiel et d’ouverture sur le monde.

On voit effectivement une classe dirigeante tournée vers la France et une jeunesse tournée vers le monde. Comment expliquez-vous ce décalage ?

Comme je vous l’ai dit, la plupart de nos dirigeants font partie de la génération de l’époque de la Guerre d’Algérie, et n’ayant sans doute jamais coupé le cordon, la France est en quelque sorte leur « mère-patrie ». On a encore du mal à se détacher de cette époque, on se compare toujours à la France, on a toujours un complexe par rapport à la France, et heureusement que les nouvelles générations ne participent pas à cette tendance. Cela peu paraître un peu simpliste, mais je pense que la nouvelle génération, parce qu’elle est tournée vers les médias sociaux, réalise que le monde ne se réduit pas à la France, à Paris, donc j’ai beaucoup d’espoir par rapport à cette nouvelle génération. J’attends le jour où elle prendra le pouvoir et qu’on avance enfin.

Vous pensez que les dirigeants actuels vont les laisser passer ?

Eh bien, ce ne sont même pas des sexagénaires, la moyenne d’âge de notre gouvernement est entre 60 et 70 ans, j’espère qu’ils ne vont plus rester très longtemps, à moins qu’ils n’aient découvert le gêne de la vie éternelle. J’attends avec impatience une nouvelle vague de jeunes dirigeants dynamiques, des dirigeants de ma génération.

C’est la biologiste qui parle, donc vous placez vos espoirs dans la biologie (rires).

Absolument (rires).

Pour renchérir, comment expliquez-vous que chez nous, de simples maires de France, comme la maire de Paris, Anne Hidalgo, ou le maire de Bordeaux, Alain Juppé, qui sont complètement insignifiants au regard du monde ou même par rapport à des maires de grandes villes aux États-Unis ou en Chine, sont reçus en grande pompe par le chef d’État, avec folklore, chorale et les honneurs, alors que des chercheurs tels que vous, qui avez un impact universel sur la santé, êtes méprisés ? Comment expliquez-vous ce mépris envers nous-mêmes ?

Honnêtement, je ne sais pas. Je n’étais même pas au courant qu’ils recevaient des maires de villes françaises comme des dignitaires. Permettez-moi d’aller plus loin. Vous dites qu’ils sont en train de recevoir de simples maires de villes françaises avec fanfares et tapis rouge, alors que nous, Algériens intellectuels à l’étranger, quand nous allons en Algérie et demandons audience à nos compatriotes, ministres ou délégués, parce que nous avons envie de les aider, de partager avec eux nos compétences, il faut supplier pour avoir une audience, et souvent, on fait face à des portes fermées.

Vos recherches portent-elles toujours sur la maladie d’Alzheimer, le syndrome de Down et celui de la Tourette, ou avez-vous d’autres projets de recherche ?

Comme je vous l’ai expliqué plus tôt, je m’intéresse principalement à la maladie d’Alzheimer, mais aussi à tout ce qui touche au cerveau, donc aux traumatismes crâniens, au Gulf War syndrome, syndrome spécifique aux militaires qui ont participé à la Guerre du Golfe en 1990-91, je m’intéresse aussi depuis un an à tout ce qui est nutrition saine, aux apports de vitamines et de suppléments, et également à tout ce qui est génétiquement modifié. Je m’intéresse aussi au vieillissement. La nutrition a un lien avec le vieillissement. Il n’y a pas de honte à vieillir mais on peut vieillir dans des bonnes conditions, saines, et retarder les maladies neurodégénératives. Il y a de simples choses que l’on peut faire comme de l’exercice, manger sainement, pour retarder ces maladies neurodégénératives. Surtout en Algérie, par exemple, où ces maladies ne sont pas traitées de façon raisonnable, ou qui sont mal diagnostiquées. En fait, en Algérie, quelqu’un qui a une maladie neurodégénérative, on a tendance à dire « mahboul » (maboul) et c’est tout, alors que ce sont des conditions médicales.

Ce nouveau créneau de la nutrition n’est-il pas propre à la vie américaine, car on sait que beaucoup d’Américains souffrent de surpoids, bien que nous ayons chez nous un député, Baha Eddine Tliba, qui pourrait bénéficier de vos conseils ?

C’est sûr que c’est un problème qui touche énormément de monde aux États-Unis, dû à leur régime alimentaire qui est très gras et sucré. C’est un problème très important ici, ce n’est pas un secret, mais on voit de plus en plus des pays qui sont réputés pour être des pays soi-disant « sains » comme la France et ailleurs en Europe où l’obésité est en augmentation. Ce n’est pas un problème lié exclusivement aux États-Unis. Certes, c’est un problème énorme ici, mais il commence à se répandre partout dans le monde. Et par conséquent, le diabète aussi. En Algérie, les signes d’opulence et d’obésité commencent à se manifester aussi. Allons-nous attendre le jour où cela deviendra un problème ou allons-nous essayer d’attaquer avant que cela atteigne des proportions où le coût médical sera une charge pour le pays ? Là est la question.

Interview réalisée par Mohsen Abdelmoumen

Qui est le Dr. Ghania Ait-Ghezala ?

Le Dr. Ait-Ghezala est une scientifique algérienne, chef du département biologie génomique moléculaire à l’Institut Roskamp aux États-Unis, chargée de diriger une équipe pluridisciplinaire qui se consacre à la compréhension des troubles neuropsychiatriques et neurodégénératifs en mettant l’accent sur l’identification et le développement de nouveaux agents thérapeutiques pour le traitement de la maladie d’Alzheimer. Elle est également chef de la biologie moléculaire chez Archer Pharmaceuticals où elle dirige le programme axé sur le développement de la biologie moléculaire et cellulaire.

Le Dr. Ait-Ghezala a obtenu son diplôme à l’Université des Sciences et Technologies Houari Boumediene (USTHB) à Bab Ezzouar en Algérie. Elle a ensuite obtenu un diplôme de maîtrise et un doctorat en génétique moléculaire du vieillissement. Son travail se concentrait dans la cartographie physique et la transcription de la région D21S55-ERG impliquée dans la pathogénie du syndrome de Down. Son travail a conduit à l’isolement de neuf unités de transcription. Le Dr. Ait-Ghezala a reçu un prix de l’Association Française du Syndrome de Down « AFRT 21 » pour ses réalisations dans le domaine du syndrome de Down. En 1998-1999, elle a été nommée par le CNRS de Paris pour travailler sur un projet européen visant à créer un modèle de souris surexprimant le gène de PCP4. Elle a ensuite obtenu une bourse pour une formation postdoctorale à l’Institut Roskamp à l’Université de Floride du Sud aux États-Unis, au département psychiatrie dans le domaine des troubles de l’enfance. Elle a poursuivi le clonage et la caractérisation d’un point de rupture chromosomique qui se produit dans deux familles non apparentées avec le syndrome de Tourette. Ses travaux lui ont valu un prix prestigieux de l’Association du Syndrome de Tourette, puisqu’il n’est attribué que quinze fois par année.

Le Dr. Ait-Ghezala est également impliquée dans la formation d’étudiants de différents collèges de la région de Saratosa ainsi que des doctorants de l’Université Internationale de Floride et de l’Open University de Londres. Elle est diplômée des membres du corps professoral, de l’Ordre des Arts et des Sciences, du CFR de Florida International University. Elle fait également partie du Programme de doctorat Neuroscience de l’Open University de Londres, affilié au centre du Comité du Recrutement et des Admissions 2008.

Published in Oximity, February 22, 2016:https://www.oximity.com/article/Le-Dr.-Ghania-Ait-Ghezala-Notre-ch-1

Reçu de l'auteur pour publication

 

 

   

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Source: Mohsen Abdelmoumen
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