Interview
Le juriste Jan Fermon : « J’ai beaucoup
de respect pour le rôle précurseur que
le peuple algérien a joué dans la lutte
contre le colonialisme »
Mohsen Abdelmoumen
Samedi 21 février 2015
Mohsen Abdelmoumen :
En quoi consiste le travail de
l’Association Internationale des
Juristes Démocrates ?
Jan Fermon :
L’Association Internationale des
Juristes Démocrates (AIJD)
est une organisation composée de
juristes engagés dans la défense des
droits de l’Homme, du droit
international, du droit à la paix, donc
ce sont des gens qui luttent au sein
d’associations dans des causes pour la
justice, mais en tant que juristes. Par
ailleurs, l’association organise tous
les quatre ou cinq ans un congrès
mondial où se rencontrent les juristes,
avocats et juges actifs dans des ONG. Le
but de ces congrès est de permettre à
tous les juristes militants qui ont ce
type d’activité de se rencontrer, de
présenter leurs expériences et leur
travail, d’avoir un échange et d’établir
des collaborations internationales entre
juristes progressistes engagés dans la
lutte pour la justice.
Vous soutenez indéniablement
la cause palestinienne, que pouvez-vous
nous dire par rapport à ce sujet ?
Notre association a une très longue
tradition de solidarité avec les
mouvements de libération. Vous-même êtes
algérien. L’un des pionniers de notre
association est votre premier ministre
de la Justice après l’Indépendance de
l’Algérie, Amar Bentoumi, et ce n’est
pas un hasard si notre association était
du côté du mouvement algérien de
Libération Nationale pendant la guerre
de libération.
Vous parlez du FLN (Front de
Libération Nationale)…
De la même manière, nous sommes aux
côtés du peuple palestinien depuis très
longtemps. Toutes nos associations
mènent des actions de solidarité avec le
peuple palestinien dans leurs pays
respectifs, et en tant qu’association
internationale, nous menons de multiples
activités de solidarité avec la
Palestine depuis toujours. Pour nous,
c’est une cause très importante parce
qu’elle est le dernier cas de
colonialisme dans le monde après la
chute de l’apartheid.
Coordonnez-vous vos actions
avec les autres organisations qui
luttent pour la libération de la
Palestine, comme celles qui sont très
actives aux Etats-Unis ou les BDS ?
Etes-vous en contact avec elles ?
Oui. L’AIJD est composée
d’associations nationales de juristes
engagés. Par exemple, la National
Lawyers Guild (NLG), notre
organisation américaine, est extrêmement
active dans la lutte pour la Palestine
et donc elle est évidemment en contact
permanent avec tous les organismes
américains engagés dans la solidarité
avec la Palestine, de même que toutes
nos associations qui agissent sur un
plan national dans de nombreux pays.
Combien de pays sont
représentés dans l’AIJD ?
60 pays étaient présents au 18e
Congrès qui s’est tenu à Bruxelles du 15
au 19 avril 2014. C’est à peu près le
nombre de pays avec lesquels nous
entretenons des contacts réguliers au
niveau des diverses associations
nationales.
Etiez-vous l’organisateur du
Congrès qui s’est déroulé à Bruxelles ?
Non, je suis membre de l’association
belge qui porte un nom anglais pour
éviter tous les problèmes linguistiques
qui existent dans notre pays (rires),
vous savez que la Belgique connaît de
nombreux problèmes linguistiques. De
plus, ce nom anglais lui permet d’être
universellement compréhensible. Notre
association s’appelle Progress
Lawyers Network (Réseau d’Avocats
Progrès), Progress étant un mot
que l’on peut comprendre dans toutes les
langues et qui représente bien ce que
nous faisons. Nous travaillons pour le
progrès en étant du côté des réfugiés,
des travailleurs, du mouvement de la
paix, etc.
Quelle est votre position par
rapport à la cause du peuple du Sahara
Occidental ?
L’association internationale a
toujours eu une position de soutien pour
le droit à l’autodétermination du peuple
sahraoui. Plusieurs de nos associations
mènent des activités concrètes de
solidarité, notamment notre association
française, et en tant qu’association
internationale, nous avons toujours pris
position pour le droit à
l’autodétermination.
Subissez-vous des pressions
quelconques du lobby sioniste ici en
Belgique ?
Je dois dire que non mais de toute
façon, nous ne sommes pas faciles à
impressionner.
Parce que vous êtes des noms
connus ?
Non, simplement parce que nous sommes
des militants qui luttons depuis
toujours. Il y a longtemps maintenant,
lorsque j’étudiais à l’Université Libre
de Bruxelles, nous menions des actions
de solidarité avec la Palestine en tant
qu’étudiants. C’étaient des actions
anti-apartheid, de solidarité avec la
Palestine, de solidarité avec les
travailleurs en Europe, etc. Ce sont des
actions que nous continuerons à mener.
Qu’il y ait des pressions ou pas, ce
n’est pas ça qui va nous faire reculer
ou avancer.
J’ai réalisé l’interview
d’Eric David que vous connaissez, quel
est votre lien avec le Tribunal Russell
?
Nous sommes deux organisations
indépendantes.
Coordonnez-vous vos actions ?
Oui, on coordonne, on se connaît, on
se parle, on est présent dans les
activités. Je crois qu’il est très
important qu’il y ait une multitude
d’initiatives qui soient prises et que
chacun sur son terrain essaie de
manifester cette solidarité, car ce
n’est que de cette manière que le
mouvement peut s’élargir. Nous avons
évidemment exprimé notre soutien à cette
excellente initiative du Tribunal
Russell, des membres de nos associations
y ont participé mais tout le mérite
revient au travail de l’équipe du
Tribunal Russell. Ensemble, toutes ces
organisations forment un puissant
mouvement de solidarité qui est
nécessaire.
Donc, vous pensez que seule
la résistance mondiale pourra l’emporter
contre l’impérialisme, en soutenant les
causes des peuples sous domination et
qui endurent les guerres, surtout dans
nos pays arabo-musulmans ?
Tout d’abord, les 500 délégués qui
ont participé au dernier congrès sont
tous des résistants. Ce sont des gens
qui, d’une manière ou d’une autre, et en
tant qu’avocats, sont engagés non pas
dans des discussions académiques et
juridiques, mais dans une action
concrète dans leurs pays, en
collaboration étroite avec les
mouvements qui luttent au niveau
national et qui soutiennent les
mouvements de libération, les
travailleurs, etc. Ensuite,
personnellement, je pense que
l’impérialisme tel que nous le
connaissons aujourd’hui est un système
condamné. Ce n’est pas possible qu’il
survive. La planète ne peut pas
continuer de la même façon avec, d’une
part, une accumulation totalement
absurde des richesses, et de l’autre
côté, toute la pauvreté, la misère et
l’oppression qui augmentent. Il va de
soi que la politique criminelle et
injuste de l’impérialisme va faire
naître beaucoup de résistance. Nous
essayons avec notre formation et nos
connaissances particulières de juristes
d’aider les mouvements de libération.
Nous n’avons pas la prétention de penser
que les juristes peuvent changer le
monde, ce sont les peuples qui changent
le monde par leurs luttes. Mais dans ces
luttes, les peuples se heurtent à des
questions juridiques, et parfois des
militants sont poursuivis et
criminalisés. A d’autres moments, il
s’agit de formuler sous une forme
juridique des revendications pour les
peuples. Notre association a notamment
joué un rôle très important dans
l’adoption par l’Assemblée générale des
Nations Unies d’une résolution sur le
droit au développement. Nous formulons
de nouveaux droits, ou nous essayons
d’aider à les formuler. Nous avons mené
des actions concrètes dans nos
différents pays contre la guerre, comme
par exemple, le cas d’un jeune avocat
costaricain. Le Costa Rica a inscrit
dans sa Constitution l’interdiction de
participer à des guerres étrangères et
au moment de l’agression contre l’Irak,
le Costa Rica voulait quand même se
joindre à la coalition. Très
courageusement, cet avocat a mené une
action devant la Cour Suprême de son
pays, ce qui a empêché la participation
du Costa Rica à la guerre d’agression
contre l’Irak. C’est le genre d’actions
dans lesquelles sont engagés tous les
juristes de notre association
internationale, à différents niveaux,
pour différentes causes, pour différents
types d’actions, mais tous militent de
cette façon-là. Nous tentons de cette
manière de soutenir tous les mouvements
des peuples dans leur diversité. Nous
essayons de soutenir les luttes des
peuples et des travailleurs, là où c’est
possible, par nos connaissances
juridiques spécifiques.
Vous avez croisé l’Algérie
sur votre chemin, que pouvez-vous dire
au peuple algérien ?
J’ai beaucoup de respect pour le rôle
précurseur que le peuple algérien a joué
dans la lutte contre le colonialisme. Je
pense qu’encore aujourd’hui, l’Algérie a
une position et un prestige
considérables dans le mouvement des
non-alignés, l’Algérie y ayant joué un
rôle très important. Je sais aussi que
l’Algérie a connu des difficultés,
notamment suite à la mondialisation et à
la façon dont le monde économique et
financier essaie de mettre la main sur
tout, partout dans le monde. Cela a
causé de graves problèmes économiques
mais aussi politiques pour le peuple
algérien, mais je suis sûr qu’il les
surmontera parce que c’est un peuple qui
a toujours lutté et qui sait comment
lutter.
Interview réalisée à
Bruxelles par Mohsen Abdelmoumen
Qui est Jan Fermon ?
Jan Fermon est un juriste de renom,
spécialiste du droit pénal belge,
européen et international, du droit
international humanitaire et du droit de
l’immigration, chercheur en droit pénal
à l’université de Maastricht (Pays-Bas),
et secrétaire général adjoint de
l’Association Internationale des
Juristes Démocrates. Il a écrit
plusieurs ouvrages, dont Défense
politique: une analyse d’affaires
pénales politiques actuelles, en
collaboration avec Ties Prakken ;
Justice, affaire de classes,
coécrit avec Christian Panier.
Published in Oximity, February
02, 2015:https://www.oximity.com/article/Le-juriste-Jan-Fermon-J-ai-beaucoup-de-1?faid=585989
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